Que faites-vous le 21 juin 2018? Trois mois plus tôt, Morgane Madi aurait naturellement répondu: «C’est la Fête de la musique, comme chaque année!» Pourtant, un appel en fin mars allait quelque peu changer ses plans. «Je venais de finir mon dernier cours. J’étais encore en salle de classe, quand mon téléphone a sonné». Elle décroche. C’est Mgr Alain de Raemy. «Es-tu libre le 21 juin prochain?», lui demande-t-il. «Non, je suis engagée pour jouer de la harpe à Lausanne pour la Fête de la musique», répond l’enseignante, domiciliée sur les hauteurs de la cité vaudoise. «Mais sais-tu ce qui se passe à Palexpo ce jour-là?», poursuit l’évêque auxiliaire de LGF (Lausanne, Genève et Fribourg). «Pas vraiment», avoue Morgane.
Le messager épiscopal lui apprend donc que le pape François viendra à Genève et qu’il y célébrera une messe. Mais surtout, qu’elle est pressentie pour rassembler un chœur de jeunes et le diriger pour l’occasion. Pourquoi elle ? Morgane ne saurait le dire. «Peut-être pour mes compétences musicales et mon réseau de chanteurs cathos romands», hasarde-t-elle.
Sa mission débute par la prise de contact avec des chanteurs. Sachant que les organisateurs voulaient former un chœur constitué de jeunes, de toute la Romandie, qui soient bons chanteurs et qui animent régulièrement des messes. «Les informations variaient d’une semaine à l’autre, confie la musicienne. D’abord, on m’a dit de réunir 30 chanteurs. Ensuite il en fallait plus de 40. Et enfin, ne pas dépasser 40 personnes, car cela correspond à la capacité maximale de l’estrade».
A un moment donné, Morgane a reçu énormément de demandes de choristes. «J’avoue qu’à ce moment-là j’ai eu peur: comment gérer tout cela? Comment ne pas frustrer ceux qui ne pourront pas participer? Le plus dur était de devoir sélectionner des chanteurs, mais il fallait être sûr que les gens soient compétents». Au total, l’animation de la messe sera assurée par 40 choristes et 10 musiciens.
Parmi les nombreuses heures investies de manière bénévole, il a fallu également composer le programme des chants. Faire un programme ‘jeune’, qui ait une certaine unité et qui soit compatible avec l’assemblée. Qu’il y ait quelques ‘gros tubes’, comme le Laude Dominum de Taizé, tout en respectant les directives de Rome. «Le Vatican souhaitait par exemple un ‘ordinaire’ en latin (Kyrie, Alléluia, Sanctus et Agnus Dei, ndlr), et moi je voulais qu’il soit assez facile à chanter pour l’assemblée». Son choix s’est porté sur la Messe de saint Boniface, éditée par l’Emmanuel. Car tous s’accordent à dire que cette messe n’est pas un concert et que l’assemblée est vraiment invitée à chanter.
Née Droxler en 1987, Morgane grandit aux Brenets (NE), près de La Chaux-de-Fonds. Aînée d’une famille de cinq enfants, elle reçoit une éducation catholique. Depuis sa plus tendre enfance, la foi joue un rôle majeur dans sa vie. A côté, la passion pour la musique se développe rapidement et elle débute le hautbois à 7 ans.
«Prendre une année pour moi et pour approfondir ma foi»
Après la maturité gymnasiale en philosophie et histoire, Morgane hésite à se lancer dans une carrière d’hautboïste. Elle s’inscrit pour une année d’anthropologie chrétienne à l’Institut Philanthropos, à Bourguillon (FR). «Je voulais prendre une année pour moi, pour approfondir ma foi et faire une expérience communautaire, explique-t-elle. Sans pour autant me lancer dans un cursus complet de théologie». Une année durant laquelle elle va terminer parallèlement son Certificat de fin d’études amateur au Conservatoire de La Chaux-de-Fonds, à 19 ans.
Elle choisit ensuite l’Université de Fribourg en histoire et français, plutôt que la voie musicale. «Au conservatoire, tranche-t-elle, la compétition incessante me dérangeait et m’avait presque fait perdre ma passion pour la musique». Sans compter que Morgane se définit avant tout comme ‘musicienne généraliste’, ce qui est incompatible, selon elle, avec une voie professionnelle spécifique. «Je joue de la guitare et du piano. Je chante et j’aime également bien composer». Elle a également dirigé des chœurs d’église et chœurs d’enfants au sein de paroisses ou lors de manifestations catholiques.
L’Université va la pousser à étudier un an à Bochum, près de Cologne, en Allemagne. Et six mois à Belfast, en Irlande du Nord. «J’ai fais mon travail de Master sur des missionnaires protestants lausannois, envoyés en Afrique du Sud vers 1900. C’est ce qui m’a amené à habiter à Lausanne», se souvient-elle. Diplômée, elle trouve une place en enseignement secondaire dans le canton de Vaud.
En 2012, Morgane occupe sa vie entre enseignement et musique. Elle a quelques paralysies épisodiques de la main ou de la joue, mais rien d’alarmant. «Je pensais que c’était normal, jusqu’à ce que, usé par le travail intensif de hautbois et d’enseignement, je fasse de grosses attaques cérébrales et que je doive m’arrêter totalement. J’ai passé deux semaines au CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois) jusqu’à ce qu’on découvre ce que j’avais».
Le verdict tombe. Elle est atteinte de Moya Moya. Une maladie rare, connue surtout au Japon, qui touche les artères du cerveau. Elle doit à tout prix éviter de provoquer des pressions à la tête. Résultat? «J’ai été obligée d’arrêter de jouer du hautbois. Car la pression exercée est supérieure à celle d’une trompette. Ça a été dur», reconnaît la passionnée. Elle perçoit tout de même un aspect positif: de ne pas s’être lancée professionnellement. Car, à peine le Master en hautbois terminé, on lui aurait annoncé l’interdiction d’en jouer. «Je ne peux pas guérir de cette maladie. Mais je me sens bien. J’oublie presque je suis malade. Et donc, j’essaye de ne pas trop y penser non plus. Et de vivre, rassure-t-elle. J’ai pu jouer un peu de flûte à bec baroque. Mais surtout, je me suis mise à la harpe celtique – celle-là même qui m’avait fait de l’œil lors de mon séjour à Belfast.
En 2014, elle rencontre Hossein, d’origine iranienne, qui a terminé un doctorat en chimie mécanique à l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne). Un nouveau défi attend Morgane. Car Hossein, issu d’un pays où la religion est très autoritaire, a totalement rejeté cette religiosité qui est, pour lui, synonyme de politique. Comment pourra-t-il supporter une femme qui accorde une si grande place à la foi? «Dans mon milieu, ça a été une surprise, se rappelle Morgane. Non seulement du fait que je trouve quelqu’un qui ne soit pas catholique, mais en plus qui soit d’origine musulmane. J’avais un peu peur des réactions, mais mes amis les plus proches ont très rapidement accueilli Hossein à bras ouverts».
«Ces valeurs, que je qualifierais de chrétiennes, lui étaient communes»
Ce jeune couple, que tout séparait en apparence, a fini par se trouver des atomes crochus. «En se fréquentant, je me suis rendue compte que ma vision du monde et les valeurs auxquelles j’aspirais étaient partagées par Hossein. Et étonnamment, ces valeurs, que je qualifierais de chrétiennes, lui étaient bien plus communes qu’à autres garçons européens peu chrétiens que j’ai connu avant lui». Aujourd’hui mariés, Hossein et Morgane ont un enfant, que la maman a souhaité baptiser catholique. Et c’est avec bienveillance que Hossein suit l’engagement de Morgane pour la préparation de la messe papale.
«On se lance dans cette aventure. Mais sans savoir vraiment à quoi on s’engage»
«Le Saint-Père vient, alors on se lance dans cette aventure. Mais sans savoir vraiment à quoi on s’engage», relate la cheffe de chœur désignée. «Malgré l’investissement hors normes, c’est un immense honneur de pouvoir diriger ce chœur, se réjouit Morgane Madi, qui se compose de jeunes vraiment engagés et qui viennent de toute la Suisse romande». (cath.ch/gr)
Grégory Roth
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/morgane-madi-madame-musique-de-la-messe-du-pape/