Une telle rencontre doit servir l’unité et ne pas être qu’un simple échange de politesses, affirme celui qui fut préfet de la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi (CDF) de 2012 à 2017. Le cardinal allemand espère que cet événement sera un bon signe pour l’œcuménisme. Il était, le 27 mai 2018, l’invité d’honneur du traditionnel pèlerinage annuel des amis et bienfaiteurs de la section suisse de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED/ACN) à l’abbatiale d’Einsiedeln.
Dans une interview accordée à cette occasion à cath.ch, le prélat venu de Rome a souhaité que cette rencontre n’en reste pas aux mondanités, mais aborde aussi les différences qui doivent être dépassées. «La rencontre amicale, c’est bien, mais cela ne suffit pas !»
Avec les Eglises et communautés ecclésiales membres du COE, «nous pouvons prier ensemble, et nous avons beaucoup en commun: la Bible, le baptême qui est reconnu mutuellement, le Notre Père…»
Pour le cardinal Müller, si pour les orthodoxes, on parle effectivement d’Eglises, ce n’est pas le cas pour les protestants. Ils sont des communautés ecclésiales, car ils n’ont pas la succession apostolique, tandis que les anglicans ont perdu cette succession apostolique.
Il reste, notamment avec les protestants, des divergences profondes: sur la question des sacrements (les protestants, dans leur immense majorité, n’en admettent que deux: le baptême et la Cène, contre sept pour les catholiques), de la sacramentalité de l’Eglise, et celle de la succession apostolique. Pour le cardinal Müller, le but de l’œcuménisme, en effet, n’est pas de gommer tout simplement les différences dans les questions essentielles de la foi, comme c’est le cas en ce qui concerne les sacrements.
Le prélat, qui vit à Rome, n’a plus de fonctions directes en ce qui concerne la doctrine de la foi. En juillet dernier, le pape François n’a pas renouvelé son mandat en tant que préfet de la Congrégation qu’il présidait depuis 2012. «Normalement, le mandat est prolongé automatiquement, et je ne sais pas pourquoi il n’en n’a pas été ainsi».
Certaines divergences pourraient expliquer cette décision, notamment en ce qui concerne l’exhortation apostolique post-synodale du pape François Amoris laetitia, sur l’amour dans la famille, publiée en avril 2016. Ce sont en particulier les interprétations d’Amoris laetitia ouvrant les sacrements à certains divorcés remariés, dans certains cas spécifiques et après un cheminement adéquat, qui posent problème à certains. Le cardinal Müller compte parmi les partisans d’une interprétation stricte d’Amoris laetitia.
Le pape François a par contre donné la note de «magistère authentique» à son échange épistolaire de septembre 2016 avec les évêques argentins au sujet de l’interprétation du chapitre VIII de l’exhortation apostolique sur la famille, renforçant ainsi sa portée doctrinale.
«Je ne suis pas convaincu de la qualité théologique de ce document, confie le cardinal Müller. Un tel document devrait se baser sur les paroles du Christ à propos de l’indissolubilité du mariage, sur les Ecritures, sur l’enseignement des Conciles… Amoris laetitia contient des manques du point de vue théologique, ce qui provoque de graves divergences d’interprétations. Des Conférences épiscopales ont ainsi pu en avoir des interprétations contradictoires, voire diamétralement opposées, car le document manque de la clarté nécessaire. Il n’y aurait pas eu ces interprétations contradictoires si la rédaction finale avait été revue par la Congrégation pour la doctrine de la foi, ce qui n’a pas été le cas. L’Eglise en souffre!»
Le cardinal Müller déplore que les remarques de la Congrégation pour la doctrine de la foi n’aient pas été toutes prises en compte dans la rédaction finale du texte, «car la Congrégation l’aurait amélioré!» Il aurait souhaité que le pape, avant publication, réunisse le collège des cardinaux, «le sénat du pape», pour traiter des divergences, ce qui aurait évité qu’on discute publiquement des ‘dubia‘, des points controversés, soulevés par le document.
L’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi dit ne pas pouvoir suivre de façon aveugle le pape, «car Pierre n’est pas le ‘boss’ des évêques, il y a une collégialité des évêques. Nous ne pouvons pas nous contenter d’un mot d’ordre de Rome, car l’autorité du pape est liée à celle des évêques, suivant la tradition apostolique, les Ecritures, les Conciles».
Pour le cardinal Müller, «le pape est le gardien de la doctrine, pas celui qui produit la doctrine». Il ne peut y avoir de nouvelle révolution, car il faut suivre l’enseignement du Christ et des apôtres, en particulier en ce qui concerne l’indissolubilité du mariage. «On ne peut pas dire que cet enseignement ne convient plus à notre temps. On ne peut pas corriger les paroles de Jésus!»
On parle beaucoup de décentralisation et on donne aux Conférences épiscopales des compétences doctrinales qu’elles ne peuvent avoir, affirme-t-il, relevant qu’elles ne sont qu’une instance administrative. «Il n’y a qu’une doctrine avec et sous Pierre», et les différentes cultures ne sont pas la source de la Révélation. «Les cultures ne sont qu’une manière dans laquelle s’exprime la Révélation: il n’y a pas de ‘foi suisse’, de ‘foi allemande’ ou de ‘foi américaine’, mais une seule et unique Révélation; car le Christ ne voulait pas séparer, mais unifier!» JB
Encadré
Nommé par le pape Jean Paul II évêque de Ratisbonne, en Basse-Bavière, à l’automne 2002, le cardinal Müller a été président de la Commission œcuménique de la Conférence épiscopale allemande. Le prélat né le 31 décembre 1947 à Mayence, dans le Land de Rhénanie-Palatinat, a obtenu, en 1977, son doctorat en théologie en soutenant une thèse sur le théologien protestant Dietrich Bonhoeffer. En 1986, il est appelé à la chaire de théologie dogmatique à l’Université Louis-Maximilien de Munich, avant son ordination épiscopale.
Ami personnel de Benoît XVI, mais également du théologien de la libération péruvien Gustavo Gutierrez, il a été vice-président de la Commission pour la foi et membre de la Commission pour l’Eglise dans le monde de la Conférence épiscopale allemande.
Le 20 décembre 2007, il est nommé membre de la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi pour un mandat de cinq ans, avant d’en devenir le préfet en 2012. En janvier 2009, il est nommé consulteur du Conseil pontifical pour la culture, et en 2012, membre de la Congrégation pour l’éducation catholique et du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. En tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il a également été président de la Commission pontificale Ecclesia Dei, de la Commission biblique pontificale et de la Commission théologique internationale. Il a été nommé membre de la Congrégation pour les Eglises orientales le 19 février 2014. (cath.ch/be)
Jacques Berset
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