Souvent agacés, ironiques, énervés, parfois louangeurs et reconnaissants, les commentaires tombés en avalanche sur les réseaux sociaux, après les déclarations, fin février 2018, du cardinal Robert Sarah estimant que la communion dans la main faisait le jeu du diable, montrent que le sujet reste très sensible.
En prenant position, dans la préface d’un livre publié en Italie, contre les normes liturgiques en vigueur, le préfet de la Congrégation pour le culte divin fait bien plus qu’exprimer une simple opinion privée. Il a donc semblé pertinent à cath.ch de revenir de manière plus approfondie sur les arguments avancés dans ce texte par le cardinal guinéen.
«Quand je lis que je suis presque un suppôt de Satan quand je reçois la communion dans la main, vous me permettrez de réagir»
«Quand je lis que je suis presque un suppôt de Satan quand je reçois la communion dans la main, vous me permettrez de réagir. Je communie aussi souvent dans la bouche que dans la main et j’espère le faire très respectueusement dans les deux cas.» Cet avis de Pascale, sur Facebook, résume assez bien le débat suscité par les propos du cardinal Sarah.»On en a marre de ce genre d’affirmations qui ne sèment que polémique et zizanie, s’emporte Daniel. Sans parler de l’image faussée de Dieu qu’elles transmettent et quelle triste théologie de l’incarnation elles traînent avec elles. C’est de l’idéologie culturelle et non de la spiritualité.»
Le cardinal a aussi ses soutiens: «On ne peut pas en vouloir à des catholiques de rester fidèles à l’enseignement de l’Eglise. Je déplore aujourd’hui que certains catholiques sont plus tolérants avec les protestants qu’avec leurs frères ‘tradis’. Comment gommer des siècles de tradition pour un progressisme forcené…», relève Réjane.
La possibilité de recevoir la communion debout et sur la main a été pensée comme un aspect parmi d’autres du «ressourcement en tradition» qui a été, avec la recherche de la participation active, l’axe majeur de la réforme liturgique issue du Concile Vatican II, explique le Frère Patrick Prétot, moine bénédictin, professeur à l’Institut catholique de Paris, et professeur invité à l’Université de Fribourg, consulté par cath.ch. La communion dans la main est attestée chez les Pères de l’Eglise tels Cyrille de Jérusalem et Jean Chrysostome.
Selon l’argument central du cardinal Sarah, la communion dans la main favoriserait l’affaiblissement de la foi en la présence réelle du Christ dans l’hostie, et induirait une grave perte du sens du sacré. Mais lier de manière aussi «immédiate»un mode d’administration des sacrements avec une doctrine interpelle. Que telle forme de distribution de la communion puisse être apte à traduire la foi de l’Eglise en la présence du Seigneur dans l’Eucharistie est une chose, que cette forme soit la seule envisageable en est une autre, rappelle le liturgiste.
Selon les historiens, la réception à genoux et sur la langue remonterait en pays franc au Haut-Moyen-Age. Elle serait liée aux multiples déplacements culturels de l’Occident qui se sont produits à l’époque carolingienne. Mais, on oublie trop souvent que même le concile de Trente (1545-1563) qui, après la Réforme protestante, a précisé certains aspects des pratiques de l’Eglise, affirme explicitement la possibilité pour l’Eglise de modifier le mode d’administration des sacrements.
En outre, la pratique n’est pas uniforme dans l’Eglise catholique elle-même. Ainsi, dans les Eglises de rite oriental rattachées à Rome, le rapport à l’Eucharistie, dans la célébration et le culte, est différent sans qu’on puisse pour autant suspecter l’authenticité de leurs traditions. De même, si les traditions théologiques orientales et occidentales sur l’eucharistie sont différentes, cela n’atteint pas l’unité dans la foi.
Pour le cardinal Sarah, l’exemple des saints, tels Mère Teresa et Jean Paul II, est un argument important pour la défense de la réception de la communion dans la bouche, plutôt que dans la main. Mais on ne peut pas accorder à ces exemples le statut de fondation pour des normes. Il faudrait dans ce cas opposer Mère Teresa à Cyrille de Jérusalem qui distribuait la communion dans la main, relève le théologien. L’invocation de l’ange de Fatima, qui donna la communion sur la langue aux petits voyants portugais, en 1916, n’emporte pas plus l’adhésion. Il était tout à fait normal que l’ange se conforme à la pratique connue des enfants de l’époque.
«La cible de Satan est le sacrifice de la Messe et la présence réelle de Jésus dans l’hostie consacrée»
Sur un ton dramatique, le cardinal Sarah souligne «comment l’attaque la plus insidieuse du diable consiste à essayer d’éteindre la foi en l’Eucharistie, semant des erreurs et favorisant une manière inadaptée de la recevoir; en effet, la guerre entre Michel et ses Anges d’une part, et Lucifer de l’autre, se poursuit dans le cœur des fidèles: La cible de Satan est le sacrifice de la Messe et la présence réelle de Jésus dans l’hostie consacrée». Ne peut-on pas penser plutôt que ce n’est pas la banalisation mais au contraire la survalorisation sacrale d’une chose qui alimente le désir de détournement sacrilège, s’interroge alors le liturgiste.
Derrière la manière de recevoir la communion, se jouent non seulement des convictions théologiques concernant la foi eucharistique, mais aussi des représentations anthropologiques qui ont trait aux différentes cultures dans l’espace et le temps, relève le bénédictin.
Ainsi présenter la communion sur la langue comme seule pratique valide, tend à affirmer que les fidèles n’ont pas le droit ou ne sont pas dignes de toucher l’hostie. On voit aussitôt que cette vision emporte une certaine conception du ministère où les prêtres seuls sont habilités à toucher le Corps sacramentel avec les mains, en vertu du pouvoir d’ordre reçu par l’ordination.
Mais la redécouverte du diaconat au Concile Vatican II, change cette perspective, puisqu’il «appartient» aux diacres notamment «de conserver et de distribuer l’Eucharistie». On ne peut donc plus penser comme dans le passé la question du contact avec l’hostie. Dans sa lettre aux prêtres Dominicae Cenae pour le Jeudi Saint 1980, le pape Jean-Paul II ajoute qu’il «ne fait aucun doute que l’Église peut concéder cette faculté à des personnes qui ne sont ni prêtres ni diacres, comme le sont les acolytes dans l’exercice de leur ministère».
«L’Église, ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique»
Cette réticence à l’égard d’un contact avec les mains, de l’hostie comprise comme réalité sacrée par excellence, relève aussi d’archétypes anthropologiques que l’on retrouve d’ailleurs également hors du christianisme. Affirmer avec le cardinal Sarah que communier debout et dans la main est une «attitude de manque de soumission aux signes de Dieu», c’est se référer à des données culturelles dont on sait qu’elles varient selon les lieux et les époques.
En opposant communion dans la main et dans la bouche, on touche le rapport entre la discipline dans les célébrations et l’unité des communautés. Dans la société contemporaine, où chacun choisit la loi à laquelle il entend se soumettre, la nécessaire régulation des usages pour assurer le ‘vivre ensemble’ peut devenir difficile, estime le spécialiste. Par ailleurs, revient sans cesse la question de la responsabilité propre des évêques et des conférences épiscopales en matière de liturgie, thème de la précédente divergence entre le cardinal Sarah et le pape François en octobre dernier.
Derrière la problématique du geste de communion, c’est l’une des options de fond du Concile Vatican II qui se trouve en question. La Constitution conciliaire stipulait en effet que l’Église, «ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique». «L’unité substantielle du rite romain» étant sauve, «on admettra des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples».
Lors de l’audience générale du mercredi 21 mars 2018, le pape François a corrigé indirectement, sur le fond et sur la forme, les propos du cardinal Sarah. Dans sa catéchèse sur la célébration de la messe le pontife est revenu sur la communion en citant la Présentation générale du missel romain : «Selon la pratique ecclésiale, le fidèle s’approche normalement de l’Eucharistie en procession, comme nous l’avons dit, et il communie debout, ou bien agenouillé, selon ce qui est établi par la conférence épiscopale, en recevant le sacrement dans la bouche ou bien, là où cela est autorisé, dans la main, comme il le préfère.» (cath.ch/mp)
Le Père de l’Eglise Cyrille de Jérusalem, écrit vers 365:
«Quand donc tu approches, ne t’avances pas les paumes des mains étendues, ni les doigts disjoints ; mais fais de ta main gauche un trône pour ta main droite puisque celle-ci doit recevoir le Roi, et, dans le creux de ta main, reçois le corps du Christ disant: ‘Amen.'»
Cyrille de Jérusalem: Catéchèses mystagogiques, V, 21, Paris, Cerf, «Sources chrétiennes», 126, 1966
Dans ses livres, ses prédications, ses conférences, ses interviews, Robert Sarah n’a de cesse de tancer vertement «les mauvaises décisions délibérément prises pas de nombreux prêtres qui embrouillent les fidèles». Retour sur quelques uns des épisodes les plus significatifs.
En mai 2015, avant moment du synode sur la famille, il affirme que ceux qui donnent la communion aux divorcés remariés «insultent le Christ». Il pointe alors du doigt «la perte de foi» de certains clercs face au sacrement de l’eucharistie.
En avril 2016, en présentant son livre «On ne plaisante pas avec les sacrements», il regrette que «la liturgie soit devenue un spectacle où on se moque de la présence de Dieu». Il affirme que le pape lui a demandé de «chasser les photographes de l’autel».
En mai 2016, dans un interview à Famille Chrétienne, il estime que la «liturgie est en danger» et plaide avec conviction pour que les prêtres reviennent à la célébration ‘ad orientem’, c’est-à-dire face à Dieu, donc dos au peuple. «J’ai la conviction que toute la crise que connaît l’Eglise […] vient de ce que la présence de Dieu dans l’eucharistie n’est pas perçue, voire niée en pratique». Il rappelle que les nouvelles traductions du missel romain doivent «impérativement respecter le latin». L’attaque est si forte que le Bureau de presse du Saint-Siège doit jouer les pompiers pour expliquer qu’aucune nouvelle directive liturgique n’est prévue, notamment concernant la messe dos au peuple. Alors que le cardinal affirme avoir reçu du pape la mission de préparer «une réforme de la réforme», le porte parole du Saint-Siège l’invite à ne pas utiliser cette expression «souvent source d’équivoque».
L’année 2017 n’est pas moins avare en disputes. En mars, il dénonce le «désastre» de la liturgie, une «dévastation» et un véritable «schisme» provoqué par les promoteurs modernes de la liturgie qui ont voulu la remodeler selon leur idées, oubliant que la liturgie est d’abord un mystère.
En juillet, la congrégation publie une instruction pour le demander de veiller à la qualité des hosties et du vin nécessaires à la célébration de la messe. Cette norme interdit les hosties sans gluten, ce que la presse interprète comme un manque de respect envers les personnes souffrant d’une allergie ou d’une intolérance à cette substance.
En septembre, le clash le plus net concerne la publication d’un motu proprio Magnum Principium, par lequel le pape François concède aux conférences épiscopales une plus grande autonomie en matière de traductions liturgiques. L’interprétation qu’en fait le préfet est si restrictive que le pape François en personne lui écrit une lettre le 15 octobre pour remettre les points sur les ‘i’ et lui rappeler que désormais la confirmation du Saint Siège ne «suppose plus un examen mot à mot» du texte liturgique.
En octobre dans son livre «La force du silence», le cardinal insiste à nouveau: «La réforme de la réforme se fera, malgré les grincements de dents, elle adviendra.» (cath.ch/mp)
Maurice Page
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