Je m’étais rendu en 1984 au Salvador, en pleine guerre civile qui fit des dizaines de milliers de morts. La première chose que j’avais faite alors était de me rendre à la cathédrale de San Salvador, qui portait encore, sur ses façades de béton brut, les traces des balles tirées sur la foule lors de l’enterrement de Mgr Romero. Là, dans une chapelle latérale, adossée à un gros bloc de béton peint en jaune, une vieille femme aux cheveux gris et ébouriffés, en larmes, déposant une branche de palmier sur la modeste tombe de «l’archevêque des pauvres». Je la sors de ses prières et elle me dit avec émotion: «Monseigneur avait pris notre défense, dénoncé les tortures et les assassinats quotidiens… Qui va nous défendre maintenant ?»
Mgr Romero: s’ils me tuent, je ressusciterai dans le peuple salvadorien
Je me rends ensuite au siège de la Conférence épiscopale, et suis reçu par de jeunes catholiques de la «Pastoral juvenil». Je leur parle de Mgr Romero, de son impact sur une société rongée par la violence. Ils me confient en cachette deux posters du saint homme – qui sont toujours affichés dans mon bureau depuis cette date – en me disant: «Ici, dans ces bâtiments de la Conférence épiscopale, on ne peut pas les exposer… Un ordre venu d’en-haut!»
Plus tard, à la radio de l’archevêché, Radio YSAX, «La Voz Panamericana», qui relayait les homélies tant attendues de Mgr Romero et qui fut la cible de plusieurs attentats à l’explosif, le ton avait lui aussi changé: le prêtre en charge me parle de ces prêtres «marxistes» qui appuient la guérilla. Quelques années plus tard, les jésuites de l’Université catholique centroaméricaine étaient assassinés par le bataillon «d’élite» Atlacatl, toujours avec le même prétexte: réclamer le respect des droits humains et la justice sociale, comme l’avait fait Mgr Romero, c’était «subversif».
C’est ce que demandait, voire exigeait, dans ses sermons l’évêque martyr. Mais c’est aussi la parole du pape François, qui a précipité le dossier, après maintes tentatives d’étouffement de la part de certains évêques salvadoriens très politisés à droite. Ainsi Mgr Romeo Tovar Astorga, l’évêque (émérite depuis 2016) de Santa Ana, farouchement opposé à l’idée de voir Mgr Romero accéder à l’honneur des autels. «C’est une figure très manipulée par les politiciens de gauche… La canonisation de Mgr Romero, en ce moment, pourrait être dommageable, car ainsi on va canoniser ›l’idéologie communiste’. Il vaudrait mieux attendre!», me lâchait-il en ce printemps 2014, en me recevant dans son évêché situé à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de San Salvador.
Le pape François, qui est latino-américain, connaît au plus profond la réalité de son continent, et ne s’est pas laissé impressionner par les positions parfois très idéologiques de maints prélats de cette région du monde. Pour le moment, ils ont perdu de leur influence à Rome!
Jacques Berset | 09.03.2018
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