Accompagné de Jan Probst, directeur suisse d’Aide à l’Eglise en détresse (AED), Roberto Simona, responsable d’AED pour la Suisse romande et italienne, a visité du 24 janvier au 5 février 2018 les communautés chrétiennes au sud du Niger, dans une zone proche de la frontière septentrionale du Nigeria, où sévit la secte islamiste Boko Haram.
Le Tessinois d’origine s’était déjà rendu il y a cinq ans dans ce pays déstabilisé par les menées islamistes pour y visiter les projets financés par AED. La première grosse alerte dans ce pays à l’islam traditionnel plutôt tolérant et pacifique avait éclaté en septembre 2012. Des fanatiques, manipulés par des prédicateurs fondamentalistes, avaient incendié l’église catholique de Zinder, la deuxième ville du pays, sous le prétexte du lancement sur internet du film «L’innocence des musulmans», un pamphlet anti-islamique provocateur produit aux Etats-Unis. Les protestants également avaient vu leur temple mis à sac.
Le 15 janvier 2015, nouvelle alerte, bien plus sérieuse cette fois-ci: à l’occasion de manifestations d’islamistes en réaction à la parution, la veille, d’une caricature de Mahomet publiée par le magazine français Charlie Hebdo, la mission catholique de Zinder, dans le diocèse de Maradi, était entièrement saccagée, le dispensaire et l’école des sœurs de l’Assomption incendiés. Les violences avaient causé la mort de cinq personnes et une cinquantaine d’autres avaient été blessées. Le Centre culturel franco-nigérien et plusieurs églises étaient aussi incendiés.
Le surlendemain, les émeutes avaient touché Niamey, la capitale, à 1’200 km et à une quinzaine d’heures de route de Zinder. Bilan: 45 églises, cinq hôtels, 36 débits de boissons, un orphelinat et une école chrétienne pillés puis incendiés, ainsi que 128 blessés.
Trois ans après, témoigne Roberto Simona, les cicatrices des émeutes sont bien visibles à Zinder: une partie des chrétiens sont partis. Avant tout ceux venant des pays limitrophes – Bénin, Burkina Faso, Nigeria, Togo. Il en reste quelques centaines. Bien qu’installés parfois depuis plusieurs générations, les catholiques nigériens sont encore souvent considérés comme des étrangers, membres d’une religion étrangère à la culture locale.
La présence militaire, dans cette ville de 300’000 habitants, est bien visible, car la menace toute proche de Boko Haram est perceptible. Les murs noircis de l’école catholique – fréquentée par une majorité d’élèves musulmans – témoignent de la violence des émeutiers qui en voulaient à l’Eglise, généralement très appréciée de la population pour ses œuvres sociales et son engagement pour la promotion de la femme.
«Le couvent a été brûlé, les sœurs sont parties, remarque le responsable d’AED, et la question se pose s’il faut reconstruire l’école. La cathédrale de Zinder a été dévastée et les fidèles célèbrent la messe dans un autre bâtiment. Les paroissiens de Ste-Thérèse de l’Enfant Jésus ne savent pas s’il faut tout raser, ou reconstruire en conservant les murs restés debout. Sur place, les gens disent que beaucoup de ces jeunes fanatisés, qui s’en sont pris au dispensaire, à l’école, à l’église, viennent de l’extérieur».
Boko Haram, qui sévit de plus en plus en dehors des frontières du Nigeria, n’est pas loin, note Roberto Simona, «mais d’aucuns se demandent également quel rôle ont joué des membres de l’opposition politique, pour essayer de déstabiliser le pays. C’est l’interprétation des gens sur place, une opinion partagée par l’archevêque de Niamey, Mgr Djalwana Laurent Lompo, et l’évêque de Maradi, Mgr Ambroise Ouédraogo. A Niamey, les émeutiers s’en sont pris aux églises et aux habitations des chrétiens, pas aux édifices musulmans. Heureusement, les forces de police ont pu protéger la cathédrale».
A Zinder, malgré la présence des forces armées, les paroissiens qui sont restés ne sont pas très rassurés: la frontière avec le Nigeria n’est qu’à une trentaine de kilomètres. Mais ils veulent que la paroisse reste le lieu de rencontre de la communauté chrétienne, qui n’a plus rien depuis les émeutes. Roberto Simona plaide en faveur de la reconstruction des bâtiments paroissiaux, mais la question de l’école reste ouverte, les sœurs étant parties.
Dans la campagne alentour, la situation est difficile: en raison de la sécheresse, les paysans sont sans travail et le chômage les frappe durement. Selon l’Unicef, près de 89 % des femmes de Maradi sont mariées avant l’âge de 18 ans. «Une majorité des filles sont forcées de se marier à l’âge de 11 ans…Les familles, qui ont de nombreux enfants, se débarrassent ainsi d’une bouche à nourrir!» Certaines s’enfuient de leur nouvelle famille et sont contraintes de quitter leur village et de se réfugier en ville. Elles se prostituent pour survivre.
«Un groupe de religieuses héroïques, soutenues par l’AED, crée des projets pour les soutenir. Dans cette société polygame, elles mettent en garde les femmes contre les risques d’un mariage précoce», relève Roberto Simona. Avec 7,6 enfants par femme, le Niger enregistre le taux de fécondité le plus élevé du monde. A Maradi, ville du sud-est du pays, c’est même le chiffre record de 8,4. Pour beaucoup de Nigériens, faire beaucoup d’enfants, c’est aussi être un bon musulman, une large progéniture étant une promesse de prospérité.
Conséquence de cette démographie galopante, nombre de jeunes sont poussés à émigrer. «Ils cherchent à se rendre en Europe, en passant par la Libye ou l’Algérie, mais cela devient toujours plus difficile. En Libye, les Noirs ne sont pas respectés, ils sont considérés comme des esclaves. Alors que chaque mois plus de 30’000 Africains traversent le pays pour tenter de rejoindre l’Europe, de plus en plus de Nigériens reviennent au pays, tant le voyage est périlleux. Certains font halte dans les paroisses, surtout les chrétiens.
Dans cette région du Sahel, qui fait face depuis des décennies à une transformation rapide de son environnement, les sécheresses récurrentes et le phénomène de désertification ont un fort impact sur la population, dont une partie souffre de la faim.
«La réalité du Niger est complètement ignorée de la communauté internationale et des grands médias, raison de plus pour que l’on soutienne le tout petit troupeau que sont les chrétiens dans ce pays. S’ils sont parfois discriminés, ils représentent un apport appréciable au développement du pays, en particulier les religieuses, qui sont notamment actives dans la promotion des filles et des femmes, très vulnérables dans cette société patriarcale et polygame». JB
Sur une population qui atteint les 20 millions, quelque 22’000 catholiques vivent au Niger, essentiellement dans l’archidiocèse de Niamey, qui s’étend sur 200’000 km². A sa tête se trouve Mgr Djalwana Laurent Lompo, le premier évêque nigérien. Il a succédé en 2014 à Mgr Michel Cartatéguy, un religieux français membre de la Société des Missionnaires d’Afrique. L’immense diocèse de Maradi (plus d’un million de km² pour un millier et demi de catholiques), est dirigé par Mgr Ambroise Ouédraogo, originaire du Burkina Faso. (cath.ch/be)
Jacques Berset
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