«Le crime organisé a quasiment pris le contrôle de Rio. C’est une métastase qui se propage dans notre pays et menace la tranquillité de notre peuple». Tels sont les propos tenus par Michel Temer, vendredi 16 février 2018, au cours de la cérémonie de signature du décret. Le texte, qui a pris effet immédiatement – mais qui doit encore être approuvé par le Parlement dans la semaine – implique que toutes les forces de police (qui dépendent au Brésil de chaque Etat) seront placées sous l’autorité de l’armée, donc de Brasilia.
Ce décret, intitulé «intervention fédérale dans la sécurité» de Rio, est une première depuis la fin de la dictature militaire, en 1985. Depuis cette signature le texte suscite d’innombrables critiques dans la mégapole de 12,6 millions d’habitants (agglomération comprise) ainsi que dans le reste du pays. Le spectre d’un retour à un régime militaire est largement agité par la société civile et par de nombreux intellectuels, que ce soit à travers la presse et les réseaux sociaux.
Depuis 2009 qu’il est à la tête de l’archevêché de Rio, Mgr Orani João Tempesta a déjà été victime d’une agression avec une arme pointée sur la tête. Son anneau de cardinal (du moins une copie) lui a été volé. Il a dû se protéger d’échanges de tirs dans la rue et a vu, l’an dernier, la Résidence Assunção, le lieu de séjour du pape François en 2013 lors des Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ), criblée par des impacts de balles lors de la fuite de trafiquants de drogue de la favela La Rocinha.
Dans un entretien accordé à la BBC Brésil en début de semaine, l’archevêque de Rio, nommé cardinal en 2014, a évoqué l’impuissance ressentie lors de ces évènements. «Pourtant ce que j’ai vu et vécu n’a pas réveillé chez moi un sentiment de colère envers ces personnes, mais le sentiment de l’obligation de travailler d’avantage pour la paix, celles des jeunes et des adolescents notamment», explique-t-il.
Interrogé sur la pertinence de voir l’armée fédérale assurer la sécurité de Rio, Mgr Orani Tempesta, a préféré rester prudent. «Je ne suis pas un technicien pour savoir ce qui est meilleur ou pas. Il faut attendre les résultats pour vérifier si c’est bon ou pas». Le prélat a néanmoins précisé que «nous sommes face à une guerre au Brésil et à Rio en ce qui concerne la sécurité (…)».
Mgr Orani Tempesta a cependant précisé que, contrairement à d’autres périodes récentes (ndlr Jeux Olympiques, Coupe du Monde) où les militaires ont été mobilisés pour stationner dans des favelas, «(…) il s’agit là d’une intervention dans l’organisation des polices civile et militaire qui, je l’espère, apportera des résultats positifs».
Dans la lettre pastorale qu’il avait rédigée pour le lancement de la Campagne de Fraternité 2018 intitulée «Fraternité et résolution de la violence», Mgr Orani Tempesta avait indiqué qu’il était «effrayé» par le niveau de violence dans le pays et dans son diocèse. Relancé sur ce thème lors de l’entretien, l’archevêque a souligné que «la situation de violence à Rio a atteint un niveau absurde tel que les gens ont peur de sortir de chez eux, qu’ils sont préoccupés par l’heure à laquelle ils vont rentrer chez eux et par la violence qu’ils doivent affronter au quotidien».
«L›augmentation de la criminalité et de la violence doit amener la société à se repenser. Ce n’est pas le pays, l’Etat ou la ville que nous voulons et dans laquelle nous rêvons de vivre. Nous voulons avoir la tranquillité d’aller et venir à n’importe quelle heure, de pouvoir sortir en toute sécurité, avoir des emplois et une éducation de qualité pour tous. Même s’il convient de faire confiance aux autorités et demander à ce qu’elles remplissent leur mission, poursuit le cardinal, il ne faut néanmoins pas rajouter de la violence à la violence».
Interrogé sur la manière dont l’Eglise pouvait aider à lutter contre l’augmentation de la violence, et l’impact espéré de la Campagne de Fraternité 2018, Mgr Orani Tempesta, a martelé qu’il est «possible, malgré le climat violent ambiant dans la société et jusqu’à travers les réseaux sociaux, de construire une culture de paix, de pardon, de réconciliation. Bien sûr, cela n’exonère pas l’Etat de ses responsabilités et de faire sa part, que ce soit dans le cadre de la justice, de la sécurité, mais aussi de la santé, de l’éducation et de l’emploi. Mais il faut désarmer, non pas seulement les personnes, mais aussi les cœurs». (cath.ch/jcg/be)
Jacques Berset
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