Trop tard, Zu spät, c’est le titre de votre livre en allemand. Mgr Werlen, l’Eglise a-t-elle raté le train?
C’est ainsi, on doit faire face. Trop tard signifie que nous sommes dans le désert. Avec la baisse du nombre de fidèles, le manque d’assistants pastoraux, l’Eglise vit des expériences de désert. Et l’Eglise doit se confronter à cela. Ce n’est qu’ainsi qu’elle sera en mesure de comprendre ce que Dieu veut lui dire.
Est-ce que l’Eglise peut encore faire quelque chose alors qu’il est, comme vous le dites, «minuit moins cinq» ?
Il n’y a pas de raison de paniquer parce qu’on est à minuit moins cinq: on commence à se précipiter et à chercher des boucs émissaires. Mais, par contre, à minuit moins cinq, on ne maîtrise plus tout. Ainsi une nouvelle ouverture apparaît. Soudain nous sommes touchés à nouveau et nous découvrons que des personnes, que nous prenions d’habitude de négliger, ont des choses à nous dire.
C’est aussi une des affirmations principales de votre livre: l’Esprit de Dieu agit également en dehors du christianisme. Qu’est-ce qui est provocant, comme le dit le sous-titre du livre?
Le concile Vatican II avait déjà affirmé clairement que l’Esprit de Dieu agit aussi en dehors de l’Eglise. Mais au sein de l’Eglise, il y a des gens qui ont beaucoup de peine avec cette idée. Pour eux, cela ne doit pas exister. J’ai été choqué, récemment, lorsqu’un évêque a fait part, dans un article, de sa difficulté en apprenant que, pour le prochain Synode des jeunes, le pape François avait invité des jeunes qui s’étaient détournés de l’Eglise, plutôt qu’uniquement des jeunes proches de l’Eglise. C’est justement cette expérience du désert que le pape veut amener au Synode.
Qu’est-ce que ces ‘absents’ ont à dire alors à l’Eglise ?
Beaucoup de personnes qui ont quitté l’Eglise ont de bonnes raisons de l’avoir fait. Elles ne comprennent pas la langue, elles ne se sentent pas rejointes, elles ne peuvent pas faire part de leurs besoins, elles ont fait des expériences qui les ont blessées. Saint Benoît disait à l’adresse de l’abbé du monastère: «Quand un hôte fait une critique, réfléchis-y sagement, pour savoir si ce n’est pas lui que le Seigneur envoie justement pour cela». C’est une attitude à avoir pour faire face à ceux qui adressent une critique.
Est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard là aussi? Beaucoup de personnes distanciées de l’Eglise n’ont pas envie de lui dire quelque chose.
Chez beaucoup de gens, il n’y a effectivement plus que de l’indifférence. Néanmoins, j’ai l’impression qu’il est facile de s’adresser aux gens à travers ce qui nous est confié en tant qu’Eglise, mais pas dans des structures ecclésiastiques. Quand je suis dans le train ou quand je voyage en faisant du stop, il m’arrive très rapidement d’engager une conversation sur des questions de foi, même avec des gens qui sont éloignés de l’Eglise.
Les représentants de l’Eglise devraient donc aborder les gens de façon plus directe?
Nous devons sortir de nos sécurités et des palais où nous nous trouvons. Nous devons cheminer tout à fait normalement avec les gens.
Mais il y a beaucoup de représentants d’Eglise qui font cela. Je pense à l’Eglise engagée dans le travail de rue ou à la pastorale dans le milieu de la prostitution?
Oui, bien sûr! Mais cela n’est pas reconnu dans les cercles de l’Eglise, qui préfèrent les traditions à la Tradition, ou alors c’est pas apprécié ou à peine considéré comme un engagement chrétien.
Que voulez-vous dire à propos de la différence entre la Tradition et les traditions?
La Tradition, c’est la fidélité à Jésus-Christ à travers les vicissitudes du temps. Les traditions sont des manières d’exprimer cette fidélité à un moment donné. Nous ne devons pas renoncer à la Tradition. Mais les traditions doivent être abandonnées, lorsqu’elles se mettent en travers de la Tradition.
Si cette distinction était faite, de nombreux problèmes pourraient être résolus dans l’Eglise, selon vous. Pouvez-vous expliquer cela?
Quand un évêque dit: «Dans ce domaine, l’Eglise n’a pas de compétence, là nous ne pouvons rien dire», un signal d’alarme s’allume chez moi. Dans l’Ecriture, je n’ai encore jamais trouvé de situations où des personnes rencontrent Dieu ou Jésus et reçoivent une telle réponse. Cela équivaudrait à l’attitude des pharisiens qui disent: «C’est le shabbat et durant le shabbat, on ne peut guérir personne».
Pour Jésus, la personne est plus importante que le shabbat. Suivre Jésus, cela signifie aider la personne dans le besoin, pour qu’elle puisse reprendre souffle. Quand des personnes sont en détresse, l’Eglise a le devoir d’élever la voix.
Vous vous demandez, à propos de l’abbaye d’Einsiedeln, s’il ne faudrait pas la remplacer par un simple bâtiment neuf. Vous le dites sérieusement ?
Oui. L’édifice actuel proclame un message de pouvoir. Aujourd’hui, nous aimerions annoncer un autre message. Un des pas les plus importants du pape François a consisté, au Vatican, à quitter le palais pour aller habiter dans la maison d’hôtes. Son engagement en faveur des pauvres et des réfugiés ne serait pas crédible s’il n’avait pas, en même temps, fait ce geste. Est-ce que ce ne devrait pas être valable pour nous aussi?
Mais il n’a pas démoli le Vatican…
Néanmoins, je pense que nous devons vraiment aller dans cette direction. J’ai déjà exprimé cette idée auparavant. Nous devons y réfléchir et, au moins, faire tout ce que nous pouvons pour que le bâtiment devienne ‘perméable’, afin que le message de pouvoir qu’il exprime soit amoindri. Je suis convaincu qu’une communauté gagne en crédibilité si elle a le courage de lâcher prise.
A votre avis, la prospérité d’un ordre religieux se mesure à sa crédibilité et non pas au nombre de ses membres. Les ordres religieux et l’Eglise peuvent donc diminuer tranquillement, aussi longtemps qu’il y a des gens qui vivent l’Evangile de façon crédible…
Tant que des gens vivent l’Evangile, l’Eglise est vivante. Elle vit là où elle est accueillante avec un zèle chrétien. Non seulement envers certains groupes, mais partout où quelqu’un est dans le besoin. Mais aussi là où les gens ont une attitude différente, où les gens nous mettent au défi. A travers eux, l’Eglise peut rencontrer Dieu. Il va sans dire que beaucoup de formes et d’institutions ecclésiales peuvent disparaître sans que ne s’effondre ce qui est profondément enraciné dans l’Eglise. (cath.ch/stam/kath.ch/bl)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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