«Et si une fois tu perdais tout ce que tu as, qu’est-ce qui te resterait?» La question a tellement taraudé Bernard Gabioud, qu’il a cherché comment il pouvait expérimenter dans la réalité ce dépouillement total.
A la cure du Châbles, où il réside avec des confrères chanoines du Grand-Saint-Bernard, Bernard Gabioud tourne les pages des nombreux albums photos où il retrouve les lieux de ses retraites aux confins du monde. Les dromadaires succèdent aux dunes orangées et aux monumentaux reliefs du Hoggar rougeoyant dans le soleil couchant.
A la fin des années 1970, le Valaisan a intégré l’hospice du Grand-Saint-Bernard. Il vit «une expérience extraordinaire» dans cette communauté et dans ce lieu qui lui conviennent parfaitement. A côté des ses activités de religieux, il est en effet guide de montagne. Mais s’il ressent déjà, dans ses Alpes natales, la possibilité d’une ascèse spirituelle, il cherche malgré tout un lieu où l’approfondir.
«Dans le désert, la qualité du silence permet d’éveiller la conscience»
Il a alors l’occasion de faire des expériences de retraite dans le sud de la France, avec les Petits Frères de Jésus. «Mais j’avais le désir d’aller encore plus loin», confie-t-il. Après avoir lu les écrits de Charles de Foucauld, il développe une fascination pour le bienheureux qui a longtemps vécu en ermite dans le Sahara algérien. «J’ai saisi à quel point il avait été façonné par le désert. J’ai su que c’était le lieu où moi aussi je devais aller».
Grâce aux Petits Frères de Jésus, qui s’inspirent de la spiritualité de Charles de Foucauld, Bernard Gabioud fait, en 1979, un premier séjour de 40 jours dans l’ermitage du bienheureux, à Béni-Abbès, au sud-ouest de l’Algérie. L’expérience le marque si profondément qu’il décide de s’enfoncer encore plus profondément dans le désert. Il va notamment du côté de Tamanrasset, et sur le plateau de l’Assekrem, où Charles de Foucauld avait un autre ermitage.
«Le défi était de découvrir sur quoi je fondais ma vie», explique-t-il. Face à la solitude extrême, il doit d’abord lutter contre la tentation de retourner sur ses pas. «Ce qui me faisait tenir était de savoir que le Seigneur m’avait donné rendez-vous», explique-t-il. Passant des semaines entières sans une présence humaine, il se détache peu à peu de ce qui encombre son esprit. «Au désert, on se départit de tout sauf de soi-même». «Ce dont on fait en premier lieu l’expérience, c’est de sa pauvreté, de sa fragilité, de sa faiblesse». Mais cela lui permet de poser sur sa vie un autre regard, le regard «originel». Il y ressent ainsi La présence, celle «qui donne à notre vie son sens, sa grandeur, sa dignité». Une présence qui habite et qui bouleverse, «parce qu’elle est amour». Il découvre que Dieu est père.
Dans le désert, la qualité du silence permet de s’éveiller à cette conscience. Le bruit du vent est souvent la seule chose que l’on y entend. «Et ce son n’est pas anodin. Je crois qu’il nous permet de rejoindre notre souffle intérieur, qu’habituellement on ne parvient pas à entendre».
Bernard Gabioud a depuis accompagné dans les ergs et les regs du Sahara de nombreux groupes de retraite. Afin que d’autres puissent trouver dans ce dépouillement total la même plénitude qu’il a pu découvrir.
En ministère depuis cinq ans dans le Val de Bagnes, il retourne moins régulièrement en Afrique du Nord. Alors, au cours de l’année, et plus intensément pendant le carême, il tente de retrouver des lieux et des temps où il peu ressentir cet éloignement du monde. «Carême a l’avantage d’éveiller en nous le désir de cette plénitude», explique-t-il. «C’est l’occasion de se confronter au vide, afin de vivre cette rencontre qui vient de l’intérieur. Ce n’est pas facile, car contrairement à la situation au désert, nous avons ici de multiples possibilités de fuir ce vide». (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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