«Vivent les Guggenmusiks, les confettis et les cortèges, pourvu qu’ils soient suivis d’un beau carême!», affirme François-Xavier Amherdt. Car, pour le professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg, le couple «carnaval-carême» doit demeurer inséparable.
Il reste un peu de temps, avant le Mercredi des cendres, cette année le 14 février, pour laisser libre cours à la liberté, à la fantaisie, aux excès. Ensuite, ce sera le temps de la «reprise en main». Car le carême «incarne le retour aux sources, la conversion vers Dieu, l’arrachement au péché», souligne le théologien. Le carnaval s’est toujours positionné en contraste avec cette période perçue comme rude et morose.
Ce genre de festivités, qui conjuguent une période de «chaos», de bombance et de renversement de l’ordre établi avec un temps de restriction et de retour au «cosmos» universel, existent en fait depuis la nuit des temps.
La Pâque juive a historicisé la fête agricole du sacrifice du premier mouton du troupeau – dont le sang éloignait l’exterminateur – et des premières gerbes de la récolte offertes pour obtenir la fertilité.
Au 2e siècle avant J.C., les Babyloniens célébraient les «Sacées». Pendant cette période de 5 jours, esclaves et maîtres échangeaient leurs rôles respectifs. Les habitants de la Rome antique faisaient de même lors des Saturnales, célébrées à l’occasion du solstice d’hiver. Cette dernière tradition a été adaptée au Moyen Age pour finir par donner le carnaval tel qu’on le connaît aujourd’hui. Comme de nombreuses autres fêtes païennes, elle a été adaptée aux traditions chrétiennes.
On retrouve ainsi dans le carnaval occidental de nombreux traits du paganisme. Avec, par exemple, l’incendie du bonhomme hiver, pour faciliter l’arrivée du printemps et se protéger des assauts des puissances ennemies. Carême et Pâques étant liés au rythme cosmique de la lune et de la nature, cette dimension du retour du printemps, du renouveau de la vie plus forte que le froid, la nuit et la mort, est à prendre en compte, relève François-Xavier Amherdt.
«L’Eglise institution ne s’est jamais opposée à ces fêtes profanes de régulation, où les fidèles pouvaient échapper un temps à leur quotidien», précise-t-il. L’Eglise a pu réprimer des excès, lorsque de la «régulation», l’on est passé à la transgression non contrôlée.
Et le professeur de mentionner la Fête des fous, célébrée pendant plusieurs siècles fin décembre, qui impliquait une espèce de parodie de la liturgie. On pouvait souvent y voir un faux évêque monté sur un âne et un clergé déguisé, voire maquillé ou masqué. Cette fête a été interdite au Concile de Trente, au 16e siècle.
«Mais, il y a du bon dans ces aspirations, y compris pour les normes de l’Eglise», soutient le théologien.»Puisque avec le Christ, les derniers sont les premiers, les petits sont à la première place dans le cœur du Père, les pauvres sont privilégiés. Marie chante dans son Magnificat l’action du Seigneur qui renverse les puissants de leurs trônes, disperse les superbes, renvoie les riches les mains vides, comble de biens les affamés et élève les humbles. Ce genre de pratiques permettent aux personnes d’exprimer leurs aspirations cachées, leurs pulsions d’habitude réfrénées ou leurs désirs d’une autre organisation de la société. Ce ne sont que les excès et les coups bas, rendus possibles par les masques et les déguisements, que l’Evangile dénonce. Au fond, comme toujours, ce qui se vit avec mesure, même une certaine forme de folie, contribue au bien et à la croissance des êtres et de la société», affirme François-Xavier Amherdt.
Le théologien met cependant en garde contre la trop grande place que tendent à occuper les festivités de réjouissance dans notre société. «L’ennui c’est que désormais tout le monde, ou presque, fête carnaval de novembre à février, mais que pratiquement plus personne ne vit le carême». Et le professeur de citer Giuseppe Roncalli . Alors qu’il était nonce à Paris, quelqu’un avait demandé au futur Jean XXIII: «Pourquoi l’Eglise ne diviserait-elle pas les 40 jours de Carême en quatre tranches? Ce serait moins exigeant et plus supportable!» Le prélat italien avait répondu: «Parce que dans ces conditions, on ferait quatre fois carnaval et plus du tout Carême». (cath.ch/rz)
Le carnaval, pas une fête chrétienne
Dans un calendrier liturgique chrétien et catholique, le carnaval n’apparaît pas. Il ne se conçoit qu’en contraste avec le carême.
Le terme d’origine italienne (carnelevare), à l’origine du mot carnaval, signifie «enlever la viande», aliment «luxueux» à l’époque. Il correspond donc aux jours dits «gras» précédant le Mercredi des cendres. Comme il n’y avait pas à l’époque de réfrigérateur, et que l’abstinence du Carême demeurait sévère, on mangeait tout ce qui devenait interdit dès le début du temps préparatoire à Pâques.
Une date qui bouge
Dans les régions dont le calendrier est marqué par les fêtes de tradition catholique, la date du carnaval change suivant l’année, en correspondance avec celle de Pâques. Cette date pouvant se déplacer sur six semaines entre la deuxième partie de mars et la fin avril, celle de carnaval peut tomber entre le tout début de février et la mi-mars.
Les cantons de tradition protestante ont, depuis la Réforme, pris leurs distances par rapport aux pratiques strictes du jeûne de carême. Si bien que dans ces régions non influencées par les habitudes catholiques, le carnaval a lieu en plein carême. C’est par exemple le cas des Brandons de Payerne, ou encore de la Fastnacht de Bâle. RZ
Raphaël Zbinden
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