C’est «le» sujet qui divise la Belgique en ce moment: au cours des dernières semaines, la politique migratoire du gouvernement, incarnée par son secrétaire d’Etat à l’Asile, Theo Francken, a fait exploser le débat politique, mais est aussi – ce qui est assez rare pour être souligné – devenu le centre des préoccupations de la société civile.
Ainsi, alors que le pape a placé la question migratoire au cœur de son pontificat, les évêques de Belgique ont rendu visite à des réfugiés à l’occasion de la Journée mondiale du migrant et du réfugié, le 14 janvier dernier. Depuis des mois, des milliers de citoyens se relaient pour accueillir chez eux des réfugiés. Le point culminant de l’action de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés de Bruxelles a été, le soir du 21 janvier, la chaîne humaine déployée autour de la gare du Nord afin d’empêcher les arrestations prévues par les forces de l’ordre.
L’existence même d’une initiative de ce genre aurait été jugée impossible il y a quelques années, voire il y a quelques mois encore. Professeur émérite de psychologie à l’UCL, Bernard Rimé, qui travaille sur le «partage social des émotions», juge le phénomène avec bienveillance: «Ce qui est intéressant ici, c’est que la source puissante de cette émotion collective est une indignation morale très forte, la perception d’un non-respect des valeurs qui fondent toute la culture et l’histoire occidentales, la solidarité, l’aide aux plus démunis, les Droits de l’Homme». Des gens contestent, ajoute le professeur, parce qu’ils considèrent que des dirigeants politiques belges ou européens ne respectent pas ces valeurs.
«Mais ils ne se contentent pas de rester dans l’émotion et la protestation, ils y joignent l’action. Cette mobilisation ne peut fonctionner qu’à trois conditions», détaille Bernard Rimé: la prise de conscience de cet écart entre les valeurs et les politiques, le partage de cette émotion qui permet de créer une identité de groupe et – et c’est ce qui est particulièrement intéressant dans ce cas-ci – l’existence d’un script, à savoir que l’on a mis en place des voies et des moyens pour rendre les solutions possibles. «Si cela n’existait pas, l’action serait inhibée et, ici, justement, les pistes pratiques sont mises sur pied«.
Depuis 2015, Mehdi Kassou est le visage le plus connu de cette Plateforme citoyenne. Il gère notamment la page Facebook sur laquelle, chaque jour, hébergeurs et transporteurs se manifestent pour prendre en charge ces réfugiés (aujourd’hui, 45’000 personnes sont inscrites sur la Plateforme citoyenne et 34’000 sur le groupe ›Hébergement’). «En 2015, on a fait appel aux premiers hébergeurs pour les personnes les plus vulnérables de la gare du Nord. De fil en aiguille, la politique migratoire, les arrestations répétitives, les expulsions, les enfermements en centres fermés nous ont amenés, à partir de juillet 2017, à faire un rêve fou: parvenir à protéger et héberger toutes les personnes ».
«Aujourd’hui, on y arrive. Il y a trois mois, on en a laissé 38 une nuit sur le carreau; aujourd’hui, c’est très rare que nous n’arrivions pas à loger tout le monde. À Noël, on a envoyé 626 personnes dans des familles! Theo Francken est devenu le chargé de communication de la plateforme! A chacune de ses sorties, il indigne plus de gens qui réagissent en faisant le pas, en demandant comment ils peuvent à leur tour venir aider ces personnes et finissent pas créer une véritable chaîne qui permet de se relayer: certains accueillent des gens un soir, d’autres chaque soir. 80% des témoignages commencent par ‘J’avais peur’ et finissent par de la reconnaissance«.
Ce qui est sans doute le plus remarquable dans cette mobilisation, c’est le fait que l’on ne peut réduire les hébergeurs à un public précis, ni socialement ni idéologiquement ni géographiquement. «Les gens qui sont bénévoles ici ne signent rien, ne sont pas membres d’associations, ce sont des citoyens qui se disent ›Il y a un besoin, j’y réponds’, ils prennent leur voiture et viennent», dit Mehdi Kassou.
«Il y a eu des tentatives de récupération politique mais les gens qui viennent aujourd’hui au Parc Maximilien n’ont rien à voir avec des activistes d’extrême gauche et ne se résument pas à des bobos: c’est monsieur et madame Tout-le-monde». Il y a, selon Mehdi Kassou, de tout dans ce public: «ce ne sont pas des gens qui crient au premier rang des manifs, mais des gens qui n’étaient jamais descendus dans la rue pour manifester, comme cette grand-mère de 70 ans qui vit sa vie de mamie et n’en a rien à faire de la politique; elle vient en voiture chercher des gens et demain elle fera barrage de son corps s’il le faut.» (cath.ch/jfl/bh)
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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