«Tends ta main vers l’allégeance […] crie de tout ton cœur vengeance, car tu ne peux plus te taire», entend-on sur fond de musique rap dans la vidéo de propagande de l’Etat islamique. Le film d’une quinzaine de minutes a servi de support à la journée de réflexion pour une trentaine d’agents pastoraux catholiques romands réunis au Centre de formation continue de l’Université de Fribourg.
La vidéo met en scène un certain Abu Salman al Faransi, de son nom de guerre. Ce jeune Français aux yeux bleus explique être né dans une famille chrétienne. Il a été baptisé, bien que ses parents n’aient pas été intéressés par la religion.
Ayant survécu «miraculeusement» à un accident de scooter, il a trouvé dans l’islam wahhabite des réponses aux questions existentielles qui ont surgi de cette expérience. Dans la vidéo de juillet 2015, il raconte comment il a fini par rejoindre le califat en Syrie, «le seul gouvernement authentiquement musulman au monde». A la fin du film, qui mêle musique contemporaine et images d’archives, il appelle les musulmans de France à rejoindre l’État islamique au Levant, en Libye ou en Afrique.
Mallory Schneuwly Purdie, chargée de recherche au Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg (CSIS), explique que cette oeuvre de propagande est un archétype des stratégies de recrutement des groupes djihadistes. Le film développe notamment une «apologie de la normalité», en s’articulant sur un schéma télévisuel connu. Il présente en outre le témoignage d’un «citoyen lambda», au visage juvénile, d’apparence anodine, presque inoffensive. Alors qu’il menace de mort à la fin du film, sur fond d’images de l’attentat contre Charlie Hebdo, les habitants des États de la coalition anti-djihadiste.
Le message adressé aux recrues potentielles de l’EI est clair: «si même un Français chrétien typique peut nous rejoindre, vous, jeunes musulmans de France, le pouvez d’autant plus».
Les agents pastoraux ont décrypté ensemble la vidéo. Ils ont pu mettre en lumière nombre de mécanismes qui mènent certains jeunes vers la radicalisation islamiste. Le message diffusé tend à offrir une alternative de vie à des jeunes en situation d’exclusion sociale. Abu Salman al Faransi évoque ainsi l’opportunité pour les jeunes de trouver, dans le califat, des tâches adaptées à leurs compétences spécifiques. Le film s’efforce de manière générale de stigmatiser la culture occidentale et d’offrir au public visé un nouveau projet de société. Dans un processus de narration où le vrai visage de l’émetteur se dévoile progressivement, comme c’est le cas dans les tentatives de recrutement de Daech sur les réseaux sociaux.
Beaucoup de personnes présentes à la Journée organisée par le Centre d’études pastorales comparées de l’Université de Fribourg ont régulièrement des contacts avec des jeunes musulmans, dans des activités d’enseignement ou des services d’aumônerie. Peu d’entre eux ont cependant été directement confrontés à des cas de radicalisation. Mais tous souhaitent acquérir les outils pour y faire face.
«Une très petite minorité des musulmans de Suisse est concernée»
Mallory Schneuwly Purdie a d’abord mis en garde contre la simplification de ce concept. Il n’existe pas une seule radicalisation et sa définition diverge selon la discipline scientifique et l’angle de vue pris par l’observateur. Les points communs concernent l’adoption d’une idéologie extrémiste et la contestation de l’ordre établi.
La sociologue des religions a rappelé le «terreau» sur lequel l’islam radical a prospéré. Elle a notamment pointé du doigt le rôle de l’Arabie saoudite et ses efforts pour diffuser dans le monde, à coup de pétro-dollars, la doctrine wahhabite. Tout en n’ignorant pas la responsabilité de nombreux pays du monde, en particulier des Etats-Unis, dans la création de conditions qui ont permis à l’islam rigoriste de se propager.
Le wahhabisme, qui prône une approche directe et littérale du Coran, est liée au salafisme, un courant qui enjoint à imiter en toute chose le prophète Mahomet et les premiers dirigeants de l’islam.
Il n’existe cependant pas, a noté la sociologue, «un salafisme», mais «des salafismes». La forme la plus courante en est la version dite «quiétiste». Il s’agit d’une forme d’islam ultraconservatrice, mais non violente, qui rejette toute implication politique. Si les salafistes quiétistes ne sont pas considérés comme dangereux pour la sécurité publique, ils posent résolument des problèmes de participation sociales aux sociétés démocratiques.
Le salafisme «politique» prône le renversement des régimes «impies». Ce courant, qui sympathise souvent avec les idées djihadistes, se cantonne néanmoins en Occident à avancer les revendications de l’islam radical.
La troisième forme de salafisme dite «révolutionnaire» est, elle, clairement violente. Elle considère le djihad armé comme une obligation religieuse. Contrairement aux autres salafistes, ses tenants tendent à porter leur action à un niveau aussi bien international que local.
Pour Mallory Schneuwly Purdie, le terrorisme naît de la rencontre, chez un individu, entre une idéologie et une inclinaison à l’action violente. Une étude de Florent Bielemann, étudiant à l’Université de Genève et analyste à FedPol, a récemment mis en avant que la dimension biographique de la personne était le facteur le plus déterminant dans un passage à l’acte. Autrement dit, un individu familier des actes de violence a beaucoup plus de risques de recourir au terrorisme qu’une personne très idéologisée qui n’aurait pas un passé violent. Selon ces recherches, la dimension socio-économique est le deuxième facteur de passage à l’acte. Suivent les aspects politiques, idéologiques et psychologiques.
«La mixité sociale est la meilleure prévention contre la radicalisation»
La sociologue souligne ainsi que la grande majorité des personnes dites radicalisées ne passeront jamais à l’action violente. Sur les près de 500’000 musulmans habitant en Suisse, 1’200 sont connus comme «ayant des affinités avec le salafisme». Sur ce nombre, 550 sont considérés comme «à risque» et surveillés par les services spéciaux. Cette problématique concerne donc une très petite minorité des musulmans du pays. Mais le rendu médiatique des actes terroristes fait que le public a une perception exagérée du phénomène de radicalisation.
Si Mallory Schneuwly Purdie reconnaît l’absolue nécessité des moyens sécuritaires directs pour faire face au terrorisme, elle exhorte à traiter le mal à la racine.
Pour contrer, tout d’abord, les influences étrangères néfastes, il est important que les acteurs religieux musulmans puissent acquérir un ancrage solide dans la société et la culture du pays d’accueil. Le CSIS est l’un des organismes, en Suisse, à fournir un effort en ce sens.
Elle appelle également les autorités à adopter des politiques civiles et urbaines éclairées. «Car la mixité sociale est la meilleure prévention contre la radicalisation». Elle juge en outre qu’un travail de renégociation des identités confessionnelles doit être fait, notamment dans le rapport entre laïcité et revendications religieuses.
La juste attitude à adopter, pour un agent pastoral confronté à un cas de radicalisation, est la disponibilité et l’écoute, ont finalement relevé les participants. «Il s’agit d’accueillir le jeune où il est». Afin de ne pas être dans le jugement et créer un rapport de confiance. Mais l’un des aspects les plus importants est de donner à la personne des clés de lecture. Les agents pastoraux romands ont ainsi été appelés à développer, à leur niveau, des outils destinés à éveiller l’esprit critique des jeunes. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/contre-radicalisation-eveiller-lesprit-critique-jeunes/