Le cardinal Joseph Zen, «opposant le plus ardent à l’ouverture à la Chine du pape François» selon l’agence de presse Associated Press, a vivement critiqué la proposition de changement de garde dans le diocèse de Shantou et a révélé, dans un post de Facebook, qu’il s’était rendu au Vatican le 10 janvier 2018 pour en parler personnellement avec le pape.
Reprise par l’agence Asianews, cette lettre du cardinal Zen met en garde contre l'»unification» proposée de l’Eglise de Chine, entre une Eglise «officielle» et une Eglise «souterraine»: cette unification «obligera quiconque [à entrer] dans cette communauté. Le Vatican donnerait ainsi sa bénédiction à une Eglise schismatique nouvelle et plus forte, lavant la mauvaise conscience de ceux qui sont déjà volontairement des renégats et des autres qui sont prêts à les rejoindre».
Selon l’évêque émérite de Hong Kong, le pontife craindrait un éventuel point de rupture dans une Eglise divisée face au régime chinois. «Certains disent que tous les efforts pour parvenir à un accord [entre la Chine et le Saint-Siège] visent à éviter un schisme ecclésial. C’est ridicule! Le schisme est déjà là, dans l’Eglise indépendante. Les papes ont évité d’utiliser le mot ‘schisme’ parce qu’ils savaient que beaucoup dans la communauté catholique officielle n’y étaient pas de leur plein gré, mais sous une forte pression».
Le prélat chinois indique avoir été reçu pendant une demi-heure par le pape, le 12 janvier au Vatican avant le voyage apostolique au Chili et au Pérou.
«Pour être sûr que [ma] voix soit entendue par le Saint-Père, raconte le haut prélat, j’ai pris de suite la décision d’aller à Rome». Arrivé le 10 janvier, le cardinal a eu juste le temps de participer à l’audience générale et de demander un rendez-vous au pape, lors du ›bacciamano’ de la fin de l’audience.
Le cardinal Zen est alors porteur d’une lettre de Mgr Pierre Zhuang Jianjian, évêque de Shantou, dans le Guangdong, âgé de 88 ans, à qui il a été demandé de démissionner pour laisser la place à un évêque «excommunié», à savoir Mgr Joseph Huang Bing-zhang. Ordonné sans mandat pontifical, ce dernier est sur le siège épiscopal de Shantou depuis 2011. Il est membre de l’Assemblée nationale populaire (ANP), le parlement chinois qui compte quelque 3’000 députés, dont plus des deux tiers sont des bureaucrates et des membres du Parti communiste chinois.
Selon Asianews à Rome – agence de l’Institut pontifical des Missions étrangères PIME de Milan – une délégation du Vatican avait tenté fin 2017 d’obtenir que des évêques nommés par Rome laissent leur place à des évêques ›illégitimes’, mais reconnus par le régime de Pékin. Le prélat de Hong Kong, connu pour son franc-parler, doute que ce soit une bonne chose d’essayer de trouver un terrain d’entente pour combler le fossé qui sépare depuis des décennies le Vatican et la Chine.
Le prélat se demande ainsi sur son blog s’il peut y avoir quelque chose de «commun avec un régime totalitaire». «Pouvez-vous imaginer un accord entre saint Joseph et Hérode ?», interroge-t-il. Ainsi, se demande-t-il: «Est-ce que peut-être je pense que le Vatican est en train de vendre l’Eglise catholique en Chine? Oui décidément, s’ils vont dans la direction qui est évidente dans tout ce qu’ils ont fait au cours des derniers mois et des dernières années».
Selon le cardinal Zen – rompant ainsi la confidentialité de tels entretiens, au nom du «droit à la vérité» – le pape a demandé à ses collaborateurs de «ne pas créer un autre cas Mindszenty». Une référence au cardinal Jozsef Mindszenty, archevêque métropolitain d’Esztergom et primat de Hongrie, emprisonné par les communistes en 1948, libéré lors de l’insurrection de 1956, réfugié à l’ambassade des Etats-Unis à Budapest, le cardinal Mindszenty ne put quitter la Hongrie qu’en 1971. Pour le cardinal Zen, cette référence dans la bouche du pape a été une «consolation et un encouragement».
Le prélat chinois, âgé de 86 ans, s’est montré ces derniers mois très critique quant à la perspective d’un accord entre le Saint-Siège et le gouvernement chinois. Notamment sur le point crucial de la nomination d’évêques.
Il souligne dans sa note que le problème n’est pas la démission des évêques légitimes, «mais la demande de faire de la place aux évêques illégitimes et excommuniés». Bien que le droit canonique concernant la démission pour raison d’âge n’ait jamais été appliqué en Chine, relève-t-il, «de nombreux anciens évêques clandestins ont insisté pour avoir un successeur, mais ils n’ont jamais reçu de réponse du Saint-Siège. D’autres, qui ont déjà un successeur désigné, et disposent peut-être même de la bulle de nomination signée par le Saint-Père, ont reçu l’ordre de ne pas procéder à l’ordination par crainte d’offenser le gouvernement».
S’il reconnaît être pessimiste concernant la situation actuelle de l’Eglise en Chine, il affirme que son sentiment est basé sur sa longue et directe expérience à ce propos. «De 1989 à 1996, j’ai passé six mois par an à enseigner dans divers séminaires de la communauté catholique officielle. Et j’ai une expérience directe de la situation d’esclavage et d’humiliation à laquelle sont soumis nos frères évêques. Selon des informations récentes, il n’y a aucune raison de changer cette vision pessimiste».
Et de rappeler que gouvernement communiste avait édicté de nouvelles règles plus strictes qui restreignent la liberté religieuse. «Ils sont en train de mettre en œuvre les règlements qui n’existaient jusqu’à présent que sur papier». En effet, depuis le 1er février 2018, le fait de se rendre à la messe d’une communauté «souterraine», c’est-à-dire non reconnue au plan légal, ne sera désormais plus toléré. (cath.ch/asian/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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