La Réforme a été portée par des acteurs qui ont marqué l’histoire de leur nom. Luther depuis l’Allemagne, Calvin et sa Rome protestante à Genève, Zwingli à Zurich. Et Guillaume Farel? Un peu moins connu, le prédicateur a pourtant joué un rôle crucial dans le développement de la Réforme en Suisse romande.
Excellent pédagogue, Farel est également un orateur hors pair qui sait exciter les sentiments des foules. En homme de son temps, il a très vite compris l’importance et le rôle que pouvait jouer l’imprimerie dans la propagation des idées réformées. Pourtant, un peu comme Pierre Viret, Farel fait figure de second couteau. Peut-être parce qu’il n’a pas le savoir et la connaissance théologique d’un Zwingli ou d’un Calvin. Farel le reconnait d’ailleurs volontiers: «Aujourd’hui, l’Institution chrétienne (de Calvin) est le meilleur instrument pour connaître la foi chrétienne», écrit-il à la fin de sa vie.
Guillaume Farel n’aurait donc été qu’un agitateur de talent dont les prédications suscitaient parfois des scènes iconoclastes? Pour l’historien Christian Grosse, Farel remplit également le rôle de passeur: «Il écrit beaucoup en français et c’est dans cette langue qu’il va faire une synthèse de cette théologie latine et allemande, la rendant accessible à un large public».
Guillaume Farel, un démon? Ce serait trop dire. Mais tout de même, ce réformateur déterminé et tranchant n’est pas un ange pour autant. Pour lui, n’en déplaise aux bons catholiques, les statues de la Vierge sont des «Vénus», l’eucharistie un «dieu de pâte» et la messe une idolâtrie.
Quand Berne entreprend la conquête du Pays de Vaud en 1525, il se met au service du canton comme propagateur de la Réforme. Sa mission: remplacer le clergé catholique par des pasteurs francophones. Guillaume Farel commence de manière camouflée, sous le titre de maître d’école, dans la région d’Aigle. Il agira de la même manière à Orbe, Grandson, Yverdon, Neuchâtel et même à Genève avec son collègue Froment en 1532. C’est ensuite seulement qu’il se révèle comme prédicant. Mais cela ne se passe pas toujours facilement.
En 1536, Farel, plus polémiste qu’organisateur, retient Jean Calvin à Genève pour lui confier la direction de l’Église locale. Mais en 1538, tous les deux sont chassés de la ville par les autorités qui n’acceptent pas leur façon d’exclure de la Cène des notables «indignes». Calvin reviendra à Genève en 1541 par la grande porte mais Farel restera à Neuchâtel.
Les deux se brouillent cependant à propos de la Cène, Farel ayant une position plus symboliste que Calvin. En 1558, le remariage de Farel avec une toute jeune fille alors qu’il a près de 70 ans achève de les séparer. Cette rupture ne déplaît pas aux Bernois qui n’aiment pas du tout la théologie genevoise – ils chasseront d’ailleurs les pasteurs calvinistes de Lausanne une année plus tard.
Mais qu’importe, Farel a parfaitement rempli la mission qu’ils attendaient de lui. Quand il meurt en 1565, le Pays de Vaud est installé durablement dans le camp réformé.
Je suis jésuite et historien, spécialiste des chemins sinueux, ceux de l’histoire de l’Eglise tout comme ceux qui arpentent les Alpes. Durant 20 ans, j’ai été directeur spirituel des Séminaires diocésains romands. Après plusieurs années à la tête de la Revue culturelle Choisir, je suis aujourd’hui responsable des programmes du Centre d’accueil et de spiritualité Notre-Dame de la Route à Villars-sur-Glâne.
Au sens théologique, Guillaume Farel fut bel et bien un «ange», à savoir un envoyé de Dieu, un prophète des temps nouveaux, tandis que sur le plan humain, il fut un personnage impétueux, dont le radicalisme fut critiqué même par les partisans de son camp.
Rétrospectivement, nous avons tendance à juger Guillaume Farel comme un imposteur des idées nouvelles, irrespectueux de ses adversaires. Connaissant les aboutissements de ses missions, souvent favorables à long terme à l’intrépide Réformateur, nous nous imaginons qu’il menait un combat gagné d’avance. Or localement, le rapport de forces n’était pour ainsi dire jamais en sa faveur. Lorsqu’il abordait une région pionnière, n’ayant pas encore été confrontée à la foi évangélique, Farel était à peu près certain de se heurter à une triple résistance de la part du peuple dérangé dans ses habitudes liturgiques, du clergé dont il contestait la légitimité, et des autorités civiles soucieuses de maintenir un ordre public que son action vigoureuse ne manquait pas de chambouler. Farel risqua sa vie d’innombrables fois.
Exemples parmi tant d’autres, à Metz en 1525, il est menacé d’arrestation. Peu après, à Valangin, près de Neuchâtel, il est battu et traîné à la chapelle. On lui frappe la tête contre une pierre. A Genève, dès 1536, il subit les émeutes et une tentative d’empoisonnement. Brimé, il ne s’avoue pas vaincu et ne quitte la ville qu’après y avoir établit la Réforme et installé Jean Calvin. En 1546, à Gorze près de Metz, après une charge de l’armée contre les protestants, sa tête est mise à prix. Sa vie durant, l’interminable périple de Farel à travers la France, la Suisse, l’Alsace et le Piémont est dû autant aux persécutions qu’il subit qu’à ses propres initiatives.
Pasteur et théologien. Soucieux de mieux actualiser le message évangélique, une formation de journaliste m’a conduit à devenir co-rédacteur en chef du Journal Réformés.
Guillaume Farel en quelques dates
1489 : Naissance à Gap
1499: études de théologie à Paris. Fréquente les théologiens Lefèvre d’etables et Guillaume Briçonnet
1526: Mandaté par Berne, il arpente le pays romand afin d’y propager la Réforme
1530: Neuchâtel passe à la Réforme sous son impulsion
1532-1536: Il prêche régulièrement à Genève
1533: Il installe le premier imprimeur ouvertement réformé à Neuchâtel
1536: Il convainc Calvin de s’installer à Genève
1538: Banni de Genève, il se retire à Neuchâtel
1542: Invité par les édiles de Metz, il y prêche régulièrement
1558: Son union avec une jeune fille de 18 ans fait scandale. Il se brouille avec Calvin
1565: Farel décède à Neuchâtel
Raphaël Zbinden
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