En ce début d’année 2018, elle a répondu aux questions de Silvana Bassetti pour le Courrier pastoral de l’Eglise catholique romaine – Genève (ECR), sur la nature et la raison de son engagement.
Sage-femme de profession, vous vous êtes rapidement engagée dans la politique. Pour changer le monde?
Oui. J’ai fait de la politique avant de faire mon école de sage-femme. J’étais déjà engagée au niveau paroissial dans le groupe de jeunes, avec qui j’ai fait du théâtre et lavé des voitures pour venir en aide aux victimes de la famine du Biafra. Après notre mariage, mon mari et moi sommes allés vivre à Veyrier et nous avons eu des enfants. Je travaillais à mi-temps et, très vite, nous avons été confrontés à des difficultés quotidiennes très concrètes: l’absence de crèche ou des trottoirs trop étroits pour les poussettes. Nous nous sommes rendu compte que pour faire bouger les choses, il fallait passer par la politique. Le parti socialiste défendait des idées de solidarité que je partage. La formation pour devenir sage-femme est venue après.
Les activités de sage-femme et de politicienne sont aux deux extrêmes du rapport à l’humain, l’un touche l’intime, l’autre la société dans son ensemble. Diriez-vous qu’elles dialoguent entre elles?
Depuis plusieurs années, je n’exerce plus la profession de sage-femme, à cause de mes engagements au Conseil des États et de mon activité au Conseil de l’Europe. Mais je reste sage-femme, une profession qui m’habite et qui soutient mon engagement politique. J’ai déposé de nombreuses propositions parlementaires en lien avec la grossesse, la maternité, les enfants et les familles.
«Il ne suffit pas d’être fiers d’être le berceau de la Croix-Rouge, nous avons un rôle de fraternité à jouer»
L’asile et de l’immigration figurent dans vos thématiques prioritaires. Mais on entend dire que la Suisse «ne peut pas accueillir toute la misère du monde». Que répondez-vous?
Je me bats pour que mon pays soit digne de ses ambitions et de ses capacités. La Suisse est un petit pays qui s’est construit et est devenu l’un des pays les plus riches du monde. Dans cette situation, nous devons accueillir les personnes qui frappent à notre porte et qui ont besoin d’aide. Tout le monde n’est pas réfugié au sens strict du terme, tout le monde n’a pas le droit de venir et rester en Suisse, mais les personnes sont en souffrance à cause de graves situations économiques, de la faim, de la maladie, de la guerre… Ces personnes, nous devons les accueillir dans leur dignité, dans le respect des règles et du droit. Il ne suffit pas d’être fiers d’être le berceau de la Croix-Rouge, nous avons un rôle de fraternité à jouer. Ces personnes sont nos frères et sœurs en humanité.
Une expression très fréquente dans notre Église.
Oui et je suis très contente que l’Église et, en particulier, le pape François l’affirment, plus fort aujourd’hui qu’à d’autres époques. J’ai eu la chance de rencontrer le pape François lors d’une audience publique l’année dernière et j’ai pu le remercier personnellement de son engagement pour les réfugiés. Il a posé des gestes et des signes courageux, dont nous avons besoin pour nous rappeler que ces personnes, les plus fragiles, sont vraiment nos frères et sœurs. Je me suis toujours retrouvée dans la défense des plus faibles. Il ne s’agit pas d’opposer les faibles de là-bas aux faibles d’ici.
Le Conseil fédéral a récemment annoncé que la Suisse accueillera jusqu’à 80 réfugiés actuellement en Libye suite à une demande du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Je salue le fait que la Suisse s’engage. Et si tous les pays d’Europe font pareil, c’est encore mieux. Mais certains ne veulent pas jouer le jeu. D’autre part, la situation effroyable des personnes migrantes en Libye est en partie le résultat de la fermeture des frontières européennes. L’accueil de ces cas urgents est une forme de réparation! Parallèlement, je constate que la Suisse coupe dans l’aide au développement. Et ce sont celles et ceux qui disent qu’il y a trop de réfugiés et qui veulent construire des murs autour de l’Europe qui coupent dans les budgets d’aide au développement. Je ne trouve pas cela cohérent.
«Les musulmans ne constituent pas une communauté monocolore et uniforme dans leur manière de vivre la foi»
Un défi de l’immigration très médiatisé et débattu est la place de l’islam dans nos sociétés occidentales de tradition chrétienne. Vrai ou faux débat?
C’est une question complexe. Il y a eu la superposition de deux éléments. Nous avons observé l’arrivée de personnes d’ex-Yougoslavie, d’Albanie ou de Turquie. Des communautés qui ont très vite fait grandir le nombre de personnes de confession musulmane dans notre pays. Cette immigration s’est développée peu avant l’irruption du terrorisme islamiste et cela a nourri les peurs et les amalgames. Tout comme pour les chrétiens, je ne pense pas que les musulmans constituent une communauté monocolore et uniforme dans leur manière de vivre la foi. Je ne connais pas bien l’islam, mais je sais qu’il est possible d’être musulman, pacifique et de respecter l’ordre établi. Je ne pense donc pas qu’il soit juste de dire que c’est une religion incompatible avec nos sociétés.
Pourtant il y a des revendications d’exemption pour les cours de natation ou la question du voile?
Nous nous sommes battues pour l’égalité entre hommes et femmes. En Suisse, c’est une conquête récente. Les personnes d’autres religions ou cultures qui viennent en Suisse doivent accepter cela et se conformer à la norme constitutionnelle sur l’égalité homme-femme. Dans ce débat sur l’islam, il est aussi paradoxal de voir que ceux qui se sont opposés à l’assurance maternité et qui continuent de s’opposer à la liberté des femmes de disposer de leur corps sont les mêmes qui, au nom de l’égalité, sont contre la burqa ou le voile. Ce n’est pas crédible. S›ils défendent vraiment l’égalité, ils doivent considérer que les femmes peuvent décider d’elles-mêmes si elles veulent porter un voile ou pas et leur donner les moyens de s›émanciper. Ou alors leur discours vise juste à gagner les élections par la peur.
«Je trouve normal qu’une Église se positionne, parle et soit présente dans la société»
Vous ne faites pas mystère de votre foi et de votre engagement chrétien.
La foi est importante pour moi. Je crois en Dieu, un Dieu d’amour qui s’est révélé et incarné en Jésus. C’est une relation que j’ai au quotidien, mais aussi tous les doutes qui vont avec. J’ai grandi dans une famille catholique et pour moi la religion était une évidence, mais elle est devenue ma foi. Pendant des années, quand les enfants étaient petits, nous avons participé, avec mon mari, à une communauté de base. Par la suite, il m’est devenu difficile d’assumer des engagements en paroisse, faute de temps.
Et de la place de l’Église dans la société?
L’Église est une institution importante pour moi, mais souvent elle me fâche! Notamment l’année dernière, quand nous avons lancé l’appel sur les renvois Dublin, d’abord au niveau cantonal, l’Église catholique romaine à Genève n’a pas voulu le signer en tant qu’institution, car il se préparait un appel conjoint des trois Eglises sur la question. J’ai eu de la peine à comprendre. Maintenant, nous avons un pape auquel je peux m’identifier, en tout cas sur toutes ces questions de l’accueil des plus faibles. Sur plusieurs questions de société, par exemple l’avortement, je comprends la position de l’Église, mais ce n’est pas la mienne. Enfin, je suis très attachée à la séparation de l’Église et de l’État. Dans l’ensemble à Genève, nous vivons cela de façon assez cohérente. Je pense que l’Église est témoin d’une parole, qu’elle a reçu une mission. Je trouve donc normal qu’une Église se positionne, parle et soit présente dans la société (cath.ch/ECR/sba/mp)
Maurice Page
Portail catholique suisse
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