Jean-Michel Poffet a été directeur de l’Ecole biblique de Jérusalem, de 1999 à 2008. Il se rend encore presque chaque année dans la ville sainte. Il a vécu de près les violences de la seconde Intifada (2000-2005). Son expérience de vie et ses rencontres avec de nombreux Palestiniens et Israéliens lui donnent une vision précise des enjeux sur le terrain, ainsi que des espoirs, des peurs et des représentations qui agitent les esprits sur place.
Le dominicain a été, comme une bonne partie de l’opinion publique mondiale, «choqué» par la décision du président Donald Trump, début décembre 2017, de déplacer l’Ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Un geste qui équivaut à reconnaître cette dernière ville comme capitale d’Israël. L’annonce a provoqué une indignation générale chez les Palestiniens, qui voudraient également faire de Jérusalem la capitale de leur futur Etat. Des affrontements entre des manifestants et les forces de l’ordre israéliennes ont éclaté le 8 décembre 2017 et se poursuivaient quatre jours plus tard. Les violences ont coûté la vie à quatre Palestiniens et plus de 1’000 autres ont été blessés.
«Les Palestiniens ont un mauvais souvenir de la seconde Intifada»
Jean-Michel Poffet admet que la décision du président Trump ne fait que concrétiser une réalité: la présence déjà effective depuis de nombreuses années de l’administration gouvernementale israélienne à Jérusalem. Une seule précision manque: il ne mentionne pas Jérusalem-Ouest ou Jérusalem-Est (la vieille ville, occupée depuis 1967 puis annexée). Israël a en effet décrété en 1980 que Jérusalem était sa capitale «éternelle et indivisible». Donald Trump semble se ranger à cette idée. L’ancien directeur de l’Ecole biblique souligne de plus que cette décision a été prise de manière totalement unilatérale et en contradiction avec le droit international, les Nations unies ayant toujours rejeté l’annexion de Jérusalem par Israël. «Même si elle est dans la ligne de la logique américaine, cette reconnaissance vient mettre de l’huile sur le feu et compliquer un conflit qui n’en avait déjà pas besoin», relève Jean-Michel Poffet.
Des observateurs remarquent que la mobilisation de la rue palestinienne est pour l’instant relativement faible. Un aspect que le dominicain peut comprendre. «Les Palestiniens ont un mauvais souvenir de la deuxième Intifada. Ils ont été aussi blessés par ce déferlement de violence qui ne leur a en définitive rien apporté». Il n’exclut cependant pas qu’un embrasement généralisé et une troisième «guerre des pierres» puisse éclater. «La situation est très tendue et, dans certains secteurs palestiniens tels que Gaza, les gens sont tellement désespérés qu’ils pourraient voir la violence comme une échappatoire», affirme Jean-Michel Poffet.
«Les acteurs arabes posent des exigences maximales»
Le dominicain a en général peu d’espoir qu’un règlement du conflit survienne à court et moyen terme. «La situation actuelle de violence au Proche-Orient favorise les extrêmes. D’un côté, les acteurs arabes posent des exigences maximales irréalistes. De l’autre, la droite israélienne réfractaire à l’idée d’un Etat palestinien s’impose sur le terrain». Le bibliste fribourgeois ne voit aucune personnalité politique capable d’ouvrir la voie vers la paix.
Pour lui, le phénomène de sur-symbolisation qui existe dans la région, notamment concernant Jérusalem, rend tout plus difficile. «On pourrait imaginer un règlement avec Tel-Aviv comme capitale d’Israël et par exemple Ramallah comme capitale d’un Etat palestinien. Mais les représentations qui existent sur Jérusalem ne le permettent pas», affirme Jean-Michel Poffet.
Un autre facteur qui complique une résolution est l’éloignement toujours plus grand de la population juive et palestinienne. Il décrit «deux mondes qui vivent en parallèle». «En rencontrant des personnes des deux côtés du mur, j’ai pu me faire une idée des requêtes profondes qui les habitent», relève le prêtre. «Les Palestiniens ont un fort sentiment d’injustice. Ils ont l’impression d’avoir été spoliés de leurs terres et de leurs droits. Les Israéliens sont extrêmement sensibles à leur sécurité. Ils sont marqués par toute la violence qui a été exercée contre eux depuis des siècles. Mais ils n’arrivent souvent pas à se rendre compte qu’ils utilisent contre les autres ce même type de violence».
Le dominicain relève que «dans le même temps, les deux camps ont un fort sentiment de propriété sur cette terre, principalement pour des raisons religieuses, ou soi-disant telles». Ainsi, pour Jean-Michel Poffet, les deux peuples ne pourront vivre en paix que s’ils cherchent à se comprendre vraiment et à «réaliser des concessions en allant au-delà des enjeux symboliques». (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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