Nous sommes le 3 janvier 1857. L’archevêque de Paris, Mgr Marie-Dominique Sibour, est poignardé en l’église St-Etienne-du-Mont, à Paris. Il décède. Son agresseur, Jean-Louis Verger, est un ancien curé détraqué qui l’a chargé aux cris de «A bas les déesses!». Une manière sanglante de manifester son opposition au dogme de l’Immaculée Conception.
En effet, depuis trois ans, le dogme marial a été proclamé par Pie IX. Il a fallu attendre 1854 pour que cette notion théologique soit officiellement adoptée par l’Eglise catholique.
Ce même siècle a déjà connu en 1830, à la rue du Bac à Paris, les apparitions de la Vierge à Catherine Labouré. La médaille miraculeuse, frappée avec l’invocation «Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous», popularise la foi en la conception immaculée de Marie.
Et en France toujours, les apparitions de Marie à Lourdes en 1858 viendront conforter le dogme. La Vierge révèle en patois pyrénéen son nom à Bernadette: «Je suis l’Immaculée Conception» (Qui era soy l’Immaculata Conceptiou). Au chef de la police, sceptique, Bernadette dira simplement: «La dame ne m’a pas demandé de vous convaincre, mais de vous le dire»… Une vraie révolution mariale est née entre 1852 et 1870, au cœur du Second Empire, en ce siècle scientifique et industriel, positiviste et sceptique.
Le dogme de l’Immaculée Conception indique que Marie est née sans tache (du latin macula), c’est-à-dire sans péché. La plénitude de la grâce est accordée à la mère du Sauveur dès le premier instant de sa conception. Marie n’a donc jamais été sous l’emprise de la faute originelle.
«Le dogme est complexe. Il a davantage intéressé les théologiens que le commun des fidèles, explique le Père Thomas Rosica, théologien canadien, directeur de la télévision Sel et Lumière. Encore aujourd’hui, beaucoup se trompent en croyant que l’Immaculée Conception se réfère à la conception du Christ. Ce dogme se réfère plutôt à la croyance selon laquelle Marie, par une grâce spéciale et du moment de sa conception, ne fut pas entachée par le péché originel.»
La proclamation du dogme, au 19e siècle, constitue un aboutissement doctrinal. Car dès le 8e siècle, la fête de la Conception de la Vierge a été célébrée en Orient, se répandant progressivement en Europe. Mais le débat entre théologiens est vif. En Europe, il oppose les tenants du dogme de l’Immaculée Conception (les «immaculistes»), et ses opposants (les «maculistes»). Au 12e siècle, saint Bernard de Clairvaux, pourtant réputé pour sa dévotion mariale, s’oppose à cette pratique. Idem pour le dominicain saint Thomas d’Aquin, un siècle plus tard. L’opposition est aussi celle d’ordres religieux, franciscains et carmes, immaculistes, face aux dominicains, maculistes.
C’est le franciscain écossais Jean Duns Scot (1266-1308) qui défendra l’»immaculisme» de Marie: la mère de Dieu est sauvée par anticipation des mérites de son fils. Elle est un «vase pur» immaculé, et cet état de pureté l’a caractérisée tout au long de sa vie.
La fête de la conception de la Vierge est célébrée le 8 décembre. Elle est populaire en Occident, la date choisie étant située neuf mois avant la fête de la Nativité de la Vierge, le 8 septembre. Les papes soutiennent la fête de la Conception et la croyance en l’Immaculée Conception. Le Concile de Trente (1545-1563) confirmera ces dispositions.
En 1854, Pie IX proclame finalement que «la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, préservée intacte de toute souillure du péché originel».
Lors du Concile Vatican II (1962-1965), la constitution dogmatique Lumen Gentium réaffirme le dogme, à sa manière. Marie est «la fille de prédilection du Père et le sanctuaire du Saint-Esprit, don d’une grâce exceptionnelle qui la met bien loin au-dessus de toutes les créatures dans le ciel et sur la terre» (§ 53).
Pourtant, les Eglises orthodoxes ont un autre point de vue. Une encyclique du patriarcat de Constantinople de 1895 le dit clairement: aucun humain, même Marie, n’est exempt du péché originel. «L’Incarnation du Verbe et Fils de Dieu, de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie, est seule pure et immaculée».
Pour les orthodoxes, quand l’ange annonce à Marie qu’elle sera la mère du Sauveur, il lui promet le don de l’Esprit saint. Ce dernier descend donc sur la Vierge pour la purifier et préparer le sein qui accueillera le Messie. La conception immaculée de Marie leur semble donc étrange. Chaque Eglise campe aujourd’hui sur ses positions. Alors que d’autres points doctrinaux rassemblent orthodoxes et catholiques. (cath.ch/bl)
L’Immaculée Conception sur KTO:
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/limmaculee-conception-long-processus-de-gestation/