En Suisse, la prière du Notre Père sera modifiée le 1er avril 2018. Poisson d’avril? Pas du tout. Après concertation, les Eglises chrétiennes de Suisse ont choisi la date de Pâques, le 1er avril prochain, pour introduire la nouvelle version de la prière la plus usitée du christianisme. Dans un communiqué commun du 28 juin 2017, les Eglises catholique, protestante et catholique-chrétienne précisent: «La Conférence des évêques suisses a accepté de repousser à Pâques 2018 l’entrée en vigueur d’une modification de la traduction du Notre Père, et non plus au début de l’Avent 2017 comme précédemment annoncé». Du coup, «les autres Eglises chrétiennes suisses d’expression française se déclarent soulagées», dit le communiqué. Chacune pourra ainsi «consulter ses instances décisionnelles dans l’espoir de se rallier à cette modification du texte».
Patience des évêques? Nouvelles discussions à prévoir avec les autres Eglises? Retard? L’hebdomadaire La Vie titre, à ce sujet, le 30 novembre 2017: «Pourquoi Les Suisses prennent leur temps»… De fait la balle est dans le camp de chaque Eglise non catholique.
L’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud en a débattu début novembre. Résultat: c’est oui au nouveau Notre Père, avec 36 voix contre 25 et 5 abstentions. «Le souci d’unité avec l’Eglise catholique l’a emporté sur des réticences théologiques», précise le communiqué de l’EERV.
Toutefois le oui est entaché de regrets. «Le changement a été initié de manière unilatérale du côté catholique», regrettent les délégués du Synode. Mais au final, ils manifestent leur «volonté de poursuivre un processus œcuménique aussi constructif que possible».
Joint par téléphone, le pasteur Xavier Paillard, président du Conseil synodal de l’EERV, indique que «le souci de la prière commune a été l’argument décisif. A un moment, il faut arrêter de discuter… La discussion a porté sur une prière commune, pas sur la définition d’une traduction biblique».
La volonté d’utiliser une version commune du Notre Père l’a donc emporté. Toutefois, le Synode vaudois a également parlé de théologie et de traduction. Comment rendre compte à la fois, selon le texte grec de l’Evangile, du mot peirasmos (tentation ou épreuve) et du verbe mè eisènegkèis, (»conduire, introduire, faire entrer»)? Pour les protestants, libres de choisir leurs textes bibliques, le corps du texte n’est pas anodin.
Le pasteur Virgile Rochat, en charge de la cathédrale de Lausanne, a pris part aux débats: «La contestation portait sur le fait que ›Ne nous laisse pas entrer en tentation’ est une version arrangeante pour Dieu, dit-il. Elle rabote le texte. Or quand un texte a des aspérités, c’est qu’il a un côté fort à nous transmettre…». Mais finalement, le pasteur lausannois apprécie la version choisie, «car c’est une image de Dieu dans l’air du temps, un Dieu plein d’amour et de compréhension».
L’argument liturgique a pesé dans les débats. «Le Notre Père est d’abord d’une prière employée dans la liturgie, plaide Virgile Rochat. Ce n’était peut-être pas la meilleure traduction, mais c’est une adaptation du texte biblique qui est priée durant les célébrations».
De fait, ajoute-t-il, «cette histoire de traduction est géniale, car elle nous fait toucher à la théologie, à la traduction et à la liturgie». Et bien d’autres versets du Notre Père mériteraient, en ce sens, une nouvelle adaptation. Personnellement, le pasteur Rochat serait partisan d’une version du style ’Dans la tentation, ne nous laisse pas entrer’…
Le débat se poursuit au sein des Eglises réformées. Les responsables réformés vaudois espèrent que les autres Eglises romandes suivront le mouvement. Xavier Paillard se dit finalement reconnaissant à l’égard des évêques suisses pour avoir différé la date d’entrée en vigueur du Notre Père. Quatre mois d’écart avec la France, mais quatre mois qui ont la valeur de la concertation entre Eglises. (cath.ch/bl)
De 1966 à 2018
C’est à la vigile pascale de 1966 qu’a été introduire dans la liturgie la version francophone commune du Notre Père. Une conséquence directe de la réforme liturgique initiée par le concile Vatican II (1962-1965). Les autres Eglises francophones s’unirent à cette prière renouvelée. ›Et ne nos inducat in tentationem’ est remplacé par ›Et ne nous soumets pas à la tentation’.
Mais dès les années 1960, certains théologiens estiment la traduction peu adaptée. Dieu pourrait-il nous soumettre à la tentation?, demandent-ils. La traduction ›Ne nous laisse pas entrer en tentation’, confirmée dès 2013 par la Congrégation pour le culte divin, écarte l’idée que Dieu pourrait nous soumettre à la tentation. Le verbe ›entrer’ reprend l’image d’un mouvement, comme le combat spirituel auquel est appelé le croyant.
La nouvelle version est donc appliquée en France à l’Avent 2017. La Belgique francophone l’a déjà fait à la Pentecôte de cette année. Et la Suisse attendra Pâques 2018.
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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