Lancée par une collation d’ONG, à l’initiative de la communauté catholique Sant’Egidio, l’événement entend sensibiliser la population à cette thématique. La date du 30 novembre rappelle la première abolition officielle de la peine capitale dans le Grand-Duché de Toscane, le 30 novembre 1786.
Cette démarche coïncide cette année avec la demande explicite du pape François de corriger l’article 2267 du Catéchisme de l’Eglise catholique qui admet la peine de mort dans certains cas exceptionnels. Le 11 octobre dernier, il a qualifié la peine de mort de mesure inhumaine, de remède extrême contraire à l’Evangile en soi. Elle est inadmissible car portant atteinte à l’inviolabilité de la personne humaine. Immédiatement des voix se sont élevées pour défendre la doctrine traditionnelle et dénoncer l’évolution de la doctrine de l’Eglise.
Cath.ch fait le point avec Patrice Meyer-Bisch, président de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels, professeur émérite de l’Université de Fribourg.
Pourquoi la peine de mort n’est-elle aujourd’hui plus soutenable d’un point de vue éthique?
Je crois qu’elle ne l’a jamais été. Cela dit, on peut parler de progrès moral dans la compréhension de la dignité de la personne humaine. Quand le président français François Mitterrand abolit la peine de mort en 1981, on estime que 75% des Français auraient voté son maintien. La société ne voulait pas que l’on ‘innocente’ ainsi les criminels. La réaction des Pharisiens est déjà la même dans l’évangile, lorsque Jésus affirme que les prostituées et les publicains les précéderont dans le Royaume ou lorsqu’il promet le paradis au Bon Larron. Cette exigence spirituelle de l’égalité de tous les humains passe plus ou moins bien au niveau social. L’évolution de pensée de l’Eglise à ce sujet tient compte de cette acceptabilité sociale.
Peut-on parler d’un apport spécifiquement chrétien dans la réflexion et la lutte contre la peine de mort?
Sur le plan des principes théologiques, nous avons le primat de la miséricorde dont le criminel n’est jamais exclu. Il ne faut pas confondre cette miséricorde avec un simple acte de bonté consistant à dire: «le criminel mérite la mort, mais par pitié nous lui accordons une autre peine». Non, la miséricorde, c’est l’amour du pécheur parce qu’il est blessé. Il est essentiel que ce pécheur se convertisse, c’est-à-dire qu’il reconnaisse son péché. L’amour du pécheur est un apport typiquement chrétien dans le sens que chaque personne porte en elle une vérité profonde qu’il faut protéger. Dès le premier crime de l’humanité, lorsque Caïn tue son frère Abel, il faut protéger le criminel parce qu’il continue de porter cette dignité humaine.
Il revient donc de toujours de distinguer le crime et son auteur.
D’un point de vue philosophique, porter un jugement moral sur une autre personne est un interdit absolu. On juge un acte, mais on ne peut pas juger l’être humain. Dans une logique démocratique cette distinction est essentielle pour l’administration de la justice, même si elle n’est pas toujours comprise et appliquée. L’argument principal remonte à Socrate qui considère que le méchant est quelqu’un qui se trompe, et que donc nul n’est méchant volontairement. Thomas d’Aquin reprend ce principe en disant que personne ne peut vouloir le mal en soi, mais qu’il se trompe en voyant le mal sous une apparence de bien.
«La légitime défense n’a rien à voir avec la condamnation de l’agresseur»
Du côté des partisans de la peine de mort, on évoque souvent le principe de la légitime défense contre un agresseur injuste.
La légitime défense n’a en fait rien à voir avec la condamnation de l’agresseur. Elle consiste à écarter un danger imminent pour soi-même ou pour les autres. C’est la seule justification de la guerre. Néanmoins, une certaine ‘légalité’ de la peine de mort pouvait être admissible dans ce sens lorsqu’un Etat extrêmement faible était incapable de se défendre d’une autre manière qu’en éliminant le criminel et éviter ainsi une situation de guerre civile. Ce qui, encore une fois, n’a rien à voir avec le jugement moral.
Pour d’autres, par son acte, le criminel se prive lui-même de sa propre dignité. Donc, la peine de mort peut être légitime.
La dignité ne se perd pas, c’est impossible, même si son apparence est perdue. Imaginer cela est faire de Dieu un monstre. Pour moi, le péché contre l’esprit est là. Considérer qu’une personne n’a plus de dignité est quelque chose d’abject. C’est une perversion qui voudrait que ceux qui jugent méritent une dignité que l’accusé n’aurait pas. Or la dignité ne se mérite pas, elle est un don.
On peut dire de l’autre point de vue que le criminel en tuant une autre personne se ‘tue’ lui-même, du fait de la fraternité humaine universelle, mais il ne perd pas pour autant sa dignité intrinsèque. Cela vaut même pour le terroriste qui pense commettre un acte juste. En soi, il n’est pas pire que n’importe qui, même si ses actes sont pires.
«Plus le crime est horrible, moins il y a de conscience chez le malfaiteur»
En renonçant à la peine de mort ne prend-on pas le risque d’innocenter le criminel?
Ne pas condamner à mort n’empêche pas de prévoir d’autres condamnations. La peine, comme son nom l’indique, est lourde à porter. Quelle que soit la peine prononcée par un tribunal, son objectif est celui-là. C’est-à-dire que le condamné souffre de son acte, non pas parce qu’il est soumis à un régime plus ou moins sévère, mais parce qu’il prend conscience de la gravité de son crime. L’enfermement permet de protéger la société, mais il sert aussi de mise en condition pour cette démarche. On remarque d’ailleurs assez souvent que plus le crime est horrible, moins il y a de conscience chez le malfaiteur.
Dans ce sens quel doit être le rôle de la justice pénale?
Cette approche personnaliste est tout aussi importante au niveau socio-politique. Si l’on considère que le condamné est un monstre ou le diable, il devient le bouc émissaire. Ce qui innocente la société. N’oublions pas par exemple que dans certains Etats et sous certains régimes tous les opposants sont qualifiés de terroristes. Fondamentalement dans un tribunal, il y a deux ‘accusés’ le criminel, mais aussi la société qui a donné les conditions pour qu’un individu devienne un malfaiteur. Un jugement est un acte de reconnaissance pour dire: un crime est un crime. Il faut le faire pour réparer le tissu de justice déchiré. Le tribunal n’est pas là pour exercer une vengeance, ou la loi du talion, mais pour révéler et exprimer la vérité. Cet amour de la vérité est la condition de la non-violence.
«La dignité du criminel est cachée, elle est recroquevillée dans un coin»
On en revient donc au principe de la dignité humaine?
En démocratie, même le pire des criminels a le droit d’être défendu par un avocat. Ce qui montre bien la dignité intangible de la personne humaine. Ce n’est pas qu’un principe abstrait. La dignité peut être admise, mais il faut aller la rechercher. La dignité du criminel est cachée, elle est recroquevillée dans un coin. Il faut la désenvelopper. (cath.ch/mp)
La Suisse veut continuer à jouer un rôle moteur dans le mouvement mondial pour l’abolition de la peine de mort. Le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) a publié à mi-octobre son nouveau plan d’action en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort pour la période 2017-2019.
La Suisse s’oppose catégoriquement et en toutes circonstances à la peine de mort. Contraire aux droits de l’homme, elle n’est pas un instrument approprié de dissuasion ou de réconciliation, relève le DFAE. Aussi la Suisse se mobilise-t-elle en faveur de l’abolition universelle de ce châtiment d’ici à 2025.
Concrètement elle se donne trois objectifs. Le premier est d’augmenter le nombre des pays abolitionnistes. Le deuxième est de réduire le nombre des exécutions capitales. Il s’agit enfin de faire respecter des normes de droit minimales relatives à l’application de la peine de mort. Par exemple que la peine capitale soit réservée uniquement aux crimes les plus graves ou qu’elle ne puisse pas être prononcée pour des mineurs.
Si la peine capitale était encore la règle, il y a quelques décennies, elle est aujourd’hui l’exception. À ce jour, seuls 38 pays sur 199 l’appliquent encore effectivement. Par ce plan d’action, la Suisse entend contribuer à la poursuite de la tendance mondiale vers l’abolition de la peine de mort, et ce malgré le débat sur son rétablissement qui anime certains pays.
Conférence internationale à Rome
Dans ce cadre, la Suisse a co-organisé avec la communauté Sant-Egidio, une conférence internationale intitulée «Un monde sans peine de mort», qui a réuni le 28 novembre à Rome, les ministres de la Justice et représentants de 30 pays. Les participants étaient issus de pays abolitionnistes, de jure et de facto, mais aussi de pays qui maintiennent la peine de mort dans leur droit pénal. Ils ont discuté de la manière d’obtenir la disparition progressive de la peine capitale, avec comme premier acte un moratoire universel.
Peine de mort et exécutions extrajudiciaires
Si le nombre officiel des condamnations à mort et des exécutions capitales a nettement régressé au cours des dernières (au moins dans les pays qui publient des chiffres fiables) l’augmentation des exécutions extrajudiciaires, dans plusieurs pays du monde est une source de vive inquiétude. Le plus souvent ces exécutions touchent des personnes accusées de crimes liés au trafic de drogue. Elles sont le fait des forces de l’ordre mais sont aussi commises lors de lynchages par la population parfois simplement pour de petits vols.
En partenariat avec l’Action des chrétiens poiur l’abolition de la torture, (ACAT), Amnesty International et Lifespark Journée internationale 2017 «Villes pour la vie, villes contre la peine de mort», la communauté Sant’Egidio de Lausanne présente «Exécution avec lecture, piano et préméditation» par Joséphine Maillefer et Hans Kang. Ce spectacle est basé sur des lectures de textes sur la peine de mort et de lettres de personnes condamnées. Il se déroulera à la Salle de paroisse Espace Martin Luther King, de l’église St-Laurent à 19h.
Par ailleurs, la Ville de Lausanne procédera à l’illumination en vert de la tour de Pierre-de-Plan et de la place de la navigation à Ouchy.
A Genève, le Jet d’eau sera illuminé en vert le 30 novembre. Par cette action, le Conseil administratif de la Ville de Genève tient à apporter son soutien à la défense, au respect et à la promotion des droits universels. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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