Malgré la complexité du sujet, la réflexion reste accessible. Les nombreuses illustrations empruntées au quotidien y sont sans doute pour quelque chose. «Il y a évidemment des années de travail derrière ce livre, mais il faut éviter autant que possible de faire sentir la transpiration nécessaire à la réflexion», sourit François-Xavier Putallaz. A travers cette réflexion, le professeur cherche à attester intellectuellement que «la façon dont nous éprouvons le mal n’est pas la totalité du mal».
Pourquoi cet intérêt pour la question du mal?
Parce que chacun rencontre le mal tout au long de sa vie sous des formes variées. Nous y sommes tous par moment engagés. Submergés parfois. Dans ces moments-là, il est impossible de réfléchir sereinement. D’où l’intérêt d’y penser avant, de prendre un peu de recul et d’aborder ce sujet de manière philosophique pour tenter de répondre à la question: «qu’est-ce que le mal?»
«La philosophie reste à l’orée de la réponse au mal.»
Qu’est-ce qui caractérise cette réflexion?
Toute réflexion philosophique implique celui qui réfléchit dans l’objet dont il parle. C’est évidemment le cas pour le mal. Tous en avons fait l’expérience. Une chose est en revanche très étonnante: nous sommes obligés de donner une consistance au mal alors qu’il n’en a pas. C’est une des raisons pour lesquelles il est extrêmement difficile de parler du mal. Mais en rigueur de termes, le mal est une fracture, une privation de bien, un peu comme le trou que forme la rouille sur une carrosserie de voiture. Sans bien préexistant, pas de mal.
Le caractère objectif du mal est indissociable de sa résonance subjective, dites-vous. Pourquoi aborder la question sous ce double aspect?
La distinction entre le mal tel qu’il est en lui-même et la façon dont nous réagissons au mal est capitale. Or c’est une illusion très à la mode de penser que nous pouvons séparer ces deux pôles. Nous sommes parfois tentés de penser que le mal n’existe que dans la mesure où nous l’éprouvons. Mais c’est un leurre: la façon dont nous éprouvons le mal n’est pas la totalité du mal. Si le mal était réduit à sa perception, il faudrait supprimer la souffrance à tout prix, quitte à provoquer un mal plus grand. Voyez l’euthanasie: sous prétexte d’alléger les souffrance, on supprime le malade lui-même, en toute bonne conscience. Bien sûr qu’il faut soulager la souffrance, mais pas ainsi au prix de la vie.
Vous abordez également la question de Dieu dans son rapport au mal. Si Dieu existe, pourquoi le mal? Une question qui «torture l’esprit si elle est mal posée», dites-vous.
Effectivement, si on croit que le mal est une chose, alors la question devient insoluble. Quel est l’auteur de cette chose mauvaise? Et de cause en cause, il faudra qu’un dieu en soit l’ultime origine. Concevoir le mal comme une privation, comme une absence de bien permet à la réflexion de sortir de cette impasse. Mais les limites sont bien réelles. La philosophie n’a pas pour but de sauver, ni même de pacifier, mais d’indiquer des pistes de réflexion. Elle reste à l’orée de la réponse au mal. Un pas supplémentaire peut être franchi avec Claudel. «Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, écrivait-il. Il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence.» Mais nous quittons ici le monde de la philosophie pour celui de la foi.
Au final, quelle était votre intention? Pourquoi un tel livre sur le mal?
Ce n’est pas un «message à faire passer». (Silence) Je dirais: montrer comment une saine philosophie peut, dans le monde d’aujourd’hui, mettre le doigt sur l’objectivité du mal que l’on produit, notamment dans le domaine bioéthique, alors que la plupart de nos contemporains le nient. Une prise de conscience, en somme, fondée sur l’analyse intellectuelle. Et puis une deuxième raison: attester que ça vaut la peine de prendre au sérieux la philosophie réaliste: celle-ci n’apporte pas la paix, elle ne sauve pas, mais procure un peu de lumière. (cath.ch/pp)
François-Xavier Putallaz habite à Sion en Valais. Spécialisé en philosophie médiévale, il enseigne la philosophie à l’Université de Fribourg et au Collège de la Planta à Sion. Il est également président de la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses, membre de la Commission nationale d’éthique et du comité international de bioéthique de l’UNESCO.
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
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