Sa collection est l’une des rares bibliothèques humanistes suisses encore conservées. Cent-dix volumes ayant appartenu au Fribourgeois ont été identifiés à ce jour. La plupart sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg où ils sont entrés en 1982, après avoir passé plus de trois cents ans au couvent des Capucins de Fribourg. Une partie est exposée jusqu’à mi-janvier 2018, au Musée Gutenberg de Fribourg.
Un des ouvrages les plus significatifs de la bibliothèque de Peter Falck est probablement les «Sforziada», estime Yann Dahhaoui, commissaire de l’exposition. Le magistrat fribourgeois le reçoit en 1512 alors qu’il vient d’arriver comme ambassadeur de la Diète helvétique à la cour du duc de Milan. Le livre narre les hauts faits du duc Francesco Sforza. «On parlerait aujourd’hui d’histoire officielle». Peter Falck fut très flatté de ce présent comme il le dira lui-même. Cet épisode résume assez bien le personnage, curieux de tout, amoureux des arts, mais aussi soucieux de reconnaissance.
Né à Fribourg en 1468 dans une famille de notaires, Peter Falck ne semblait pas promis à un tel destin. A la mort de son père qui fut secrétaire de Ville, sa famille l’envoie se former au notariat en Alsace. De retour à Fribourg, il se lance en politique et gravit tous les échelons de la magistrature jusqu’au rang suprême d’avoyer en 1510. Parallèlement, il participe aux campagnes militaires que mènent les cantons confédérés: guerre de Souabe puis guerres d’Italie dont il rentre victorieux. Dès 1510, Fribourg fait de lui son représentant à la Diète fédérale. En 1512, la Diète l’envoie à Rome auprès du pape Jules II. Il y obtient notamment l’érection de l’église paroissiale de saint Nicolas, de Fribourg, au rang de collégiale desservie par un chapitre de chanoines.
«Le roi François 1er le fait ‘chevalier doré en 1516’
En 1515, il s’embarque pour un premier pèlerinage en Terre Sainte. Ce qui lui vaut d’échapper à la cuisante défaite des Confédérés contre François 1er à Marignan qui marquera la fin des ambitions suisses en Europe. De retour à Fribourg, en janvier 1516, Peter Falck trouve une situation politique totalement changée. Malgré son rôle de chef du parti pontifical, la ville ne lui retire pas sa confiance et le charge même de négocier la paix avec le roi de France qui le remercie en le faisant «chevalier doré» (eques auratus).
En 1519, Peter Falck, qui avoue lui-même ne pouvoir guère tenir en place, décide d’un nouveau pèlerinage en Terre Sainte. Durant le voyage de retour, le bateau échappe aux pirates, mais pas à la peste. Peter Falck en meurt le 6 octobre 1519. Ses compagnons obtiennent que son corps ne soit pas jeté à la mer. Il est finalement enterré à Rhodes.
Un des objets les plus émouvants de l’exposition est la relique de Terre Sainte ramenée par Peter Falck, note Yann Dahhaoui. Il s’agit d’une rondelle de terre frappée d’un monogramme du Christ. De la taille d’une pièce de monnaie, il est emballé d’un morceau de parchemin couvert d’une inscription à l’encore rouge qui en atteste la provenance.
A ses fonctions d’homme d’Etat, Peter Falck allie des ambitions humanistes. Il regrettera toute sa vie de n’avoir pu poursuivre ses études à l’université. S’il s’exprime en français, en allemand et en latin, il ignore le grec. Il cherchera à se rattraper par la lecture d’ouvrages savants dans de nombreuses disciplines: géographie, histoire, philosophie, théologie. Il recherche le contact avec les érudits, correspond avec Vadian et Zwingli qui deviendront plus tard les réformateurs de St-Gall et de Zurich. Il se glorifie d’avoir reçu une lettre du grand Erasme de Rotterdam.
Lors de ses voyages en Italie, il rencontre les humanistes italiens et achète leurs livres. Il se fait aussi le protecteur de jeunes étudiants suisses pour qui il obtiendra des bourses dans les universités de Pavie et de Paris. Le plus célèbre d’entre eux, Glarean, lui dédicacera un de ses ouvrages. Ses protégés lui donnent le titre totalement fantaisiste de «consul d’Avenches» en référence à l’Antiquité romaine ou encore de «Mécène» alors que non n’est pas encore devenu commun.
Homme d’Etat, Peter Falck est aussi un homme religieux. Sa bibliothèque comprend d’assez nombreux ouvrages de piété, dont le plus remarquable est un psautier latin-allemand. Pour lui sans la vertu, le savoir ne vaut rien. A sa fille unique Ursula il écrit: «Par la grâce de Dieu tu sais lire et as à ta disposition des livres de dévotion. Laisse ton cœur s’y délasser. […] Tu as reçu cinq talents du Tout puissant, veille à en gagner cinq autres pour lui, comme cela se trouve dans l’Evangile». Les pères de l’Eglise comme Ambroise de Milan ou Jean Chrysostome figurent dans sa bibliothèque comme plusieurs auteurs du Moyen-Age dont les traités richement illustrés de gravures en pleine page sont destinés à l’édification des laïcs.
«Chez Peter Falck, aucune critique de la papauté ou des indulgences»
Mort en 1519, très peu de temps avant l’éclosion de la Réforme en Suisse, rien ne laisse à penser que Peter Falck aurait pu y adhérer, estime Yann Dahhaoui. Sa piété est encore médiévale, il vénère les saints et les reliques. Outre ses deux grands pèlerinages à Jérusalem, il fait construire une chapelle à la collégiale Saint-Nicolas. Il se rend régulièrement à la chapelle de Friesenheit, près de Fribourg, où il vénère les reliques des 10’000 martyrs du Mont Ararat. On ne trouve chez lui aucune critique de la papauté ou des indulgences, pas plus qu’envers le service mercenaire. Un des ses protégés, Peter Cyro, sera néanmoins banni de Fribourg quelques années plus tard pour avoir professé sa sympathie pour la Réforme.
La collection présentée à Fribourg illustre bien la manière dont Peter Falck s’est approprié ces imprimés, impersonnels, pour en faire ses livres, comment il s’en est servi pour nourrir ses connaissances et sa dévotion et comment, enfin, sa bibliothèque lui a permis de se forger une stature d’humaniste, conclut Yann Dahhaoui.
Dans une lettre à Erasme, l’humaniste anglais John Watson, compagnon de voyage de Peter Falck lors de son premier pèlerinage à Jérusalem le décrit ainsi: «J’apprécie beaucoup le Suisse Peter Falck que nous Anglais avons surnommé le Grand. C’était le plus consciencieux des chefs de pèlerins en même temps que le plus agréable des compagnons. […] Curieux des arts, des machines et des nouveautés, il portait souvent suspendue à sa ceinture une bombarde. Il notait soigneusement l’emplacement des villes et des sites. Il barbouillait son livre de pèlerinage avec de l’encre à base de minium. Parlant de toi avec moi, il se glorifiait souvent que tu lui avais donné une lettre.»
Peter Falck constitue sa bibliothèque à une époque où les livres sont rares et chers et où la ville de Fribourg n’a pas encore d’imprimerie, rappelle Yann Dahhaoui. Il les achète ou les fait venir de Bâle, Strasbourg, Venise ou Milan. Vendus le plus souvent en fascicules, les ouvrages sont regroupés en recueils que Peter Falck fait relier à l’atelier du couvent des cordeliers de Fribourg. De belle qualité sans être vraiment luxueuse, la reliure en peau de porc recouvre une âme de bois.
Au-delà du contenu, l’objet est aussi révélateur de la personnalité du magistrat fribourgeois et de la valeur qu’il attribue à sa bibliothèque. Peter Falck dote la plupart de ses livres d’un ex-libris attestant sa propriété. D’abord tracé à la plume ou au pinceau, cette figurine représente ses armoiries souvent accompagnée d’un ou de plusieurs de ses titres et d’une date. Plus tard, il fait faire des matrices en bois ou en métal. A la mode des humanistes italiens, il signale que ses livres appartiennent à Peter Falck et à ses amis» (Petri Falck & amicorum).
Une lettre à sa fille suggère qu’il existait à l’étage de sa maison familiale une pièce chauffée dédiée à la lecture savante. Dans une liste de livres pieux dont il lui recommande la lecture, il mentionne un psautier bilingue latin-allemand rangé «parmi les livres latins tout en haut près de la cheminée». (cath.ch/mp)
Maurice Page
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