Les premiers flocons de neige virevoltent au-dessus de la forêt de sapins, juste derrière le temple de Ryokuinzan Kôsetsu-ji, qui veut dire «à l’ombre de la montagne verte, le temple de la neige lumineuse», un nom qui caractérise parfaitement cet endroit de la froide Vallée de la Brévine.
Nous voici au Cerneux-Péquignot, à l’orée de la France, à près de 1’200 m d’altitude, juste au-dessus du petit oratoire de Bétod, classé monument historique et depuis 2010 propriété de Patrimoine Suisse. La maison de trois étages, au pignon de bois ciselé, est signalée par une discrète enseigne qui nous rappelle que l’on se trouve à l’entrée d’un temple bouddhique de la tradition zen Sōtō. A l’intérieur, un feu de bois réchauffe l’atmosphère et des chats viennent se frotter à nos jambes.
Jiko Simone Wolf, pieds nus, le crâne rasé – signe de renoncement aux attachements – nous reçoit habillée d’un large vêtement noir, le kesa, qui est la tenue du Bouddha, remis par le maître lors de l’ordination de moine ou de nonne. Il est le symbole vivant du lien spirituel qui unit, depuis le Bouddha Shakyamuni, maître et disciple.
La Réverende Jiko Simone Wolf, l’abbesse de ce temple bouddhiste ouvert dans ce lieu il y a huit ans, est originaire de La Chaux-de-Fonds, à quelques encablures de là, ville dans laquelle elle a fondé en 1982 le Centre Zen au 35 de la rue Daniel Jean-Richard.
C’est là qu’à 6h du matin se pratique le zazen, la posture d’éveil transmise, depuis le Bouddha Shakyamuni il y a 2500 ans, jusqu’à nos jours. Une quinzaine de personnes s’y rendent tous les jours, avant de partir au travail. Une trentaine de personnes font plus ou moins régulièrement zazen à La Chaux-de-Fonds, venant du canton de Neuchâtel, de la France voisine ou d’autres cantons suisses.
«Revenir à notre vraie nature, avant les concepts, avant les complications, revenir à la source vaste et paisible de l’esprit»
Les participants sont assis jambes croisées, le dos droit, la respiration calme, le corps et l’esprit unifiés. «Sans esprit d’obtention, on tourne son regard vers l’intérieur. Ainsi chacun dépasse naturellement les limites de l’égoïsme et fait directement l’expérience de l’éveil à sa vraie nature. On s’accorde avec l’ordre cosmique. Ce n’est pas une simple technique de bien-être, mais lorsqu’on devient complètement paisible, cette paix influence les autres», explique la responsable du temple de Bétod, qui sera également, le 29 décembre prochain, intronisée abbesse du temple zen de La Gendronnière, à Valaire, dans le département français du Loir-et-Cher, le cœur du bouddhisme zen en Europe.
Simone Wolf, qui a grandi au sein d’une famille qui fréquentait l’Eglise catholique-chrétienne, a fait ses écoles à La Chaux-de-Fonds. Alors non-pratiquante, considérant que la religion est «quelque chose d’intime», elle raconte avoir rencontré le bouddhisme zen à l’âge de 25-26 ans, à Paris, après l’avoir découvert par ses lectures et compris que «le bouddhisme, c’est créer le véritable sens de sa vie». On était dans le sillage de mai 68: en rejetant le corset des valeurs dominantes de l’époque, en cherchant d’autres valeurs, certains voulaient tout casser, d’autres voulaient construire.
«Beaucoup étaient alors en recherche spirituelle, souligne la Révérende Jiko Simone Wolf, et se tournaient vers d’autres traditions philosophiques, qui n’étaient pas enseignées sous nos latitudes. C’est le maître zen japonais Taisen Deshimaru qui, il y a plus d’un demi-siècle, a planté les graines du zen Sōtō en Europe. Avant, il n’y avait rien: seulement quelques livres, mais pas de maître zen qui enseignait. Arrivé à Paris en 1966-1967, il a rapidement suscité de l’intérêt auprès de jeunes, d’artistes et d’intellectuels, comme l’anthropologue français Claude Lévi-Strauss. 50 ans après, l’intérêt pour le zen se poursuit, ce n’était pas seulement une tocade, une simple fascination pour l’Orient, mais une véritable transmission…»
«Ce qui m’a tout d’abord attirée, dans le bouddhisme zen, précise la Révérende Jiko Simone Wolf, c’est l’unité du corps et de l’esprit, la faculté de vivre l’instant et d’y être présente. Dans le bouddhisme, on ne sépare pas le matériel du spirituel. Notre spiritualité est très pragmatique, elle s’incarne dans notre comportement, nos paroles, nos actions. Ce qui m’a également attirée, c’est le fait que le bouddhisme met en avant la dimension de l’autre, de l’altérité, le contraire de l’égoïsme. Nous ne sommes pas des individus isolés, mais vivons en interdépendance avec les autres, avec toutes les existences».
Assis sur un zafu, un coussin de méditation, devant une table basse, sous les portraits de Maître Dôgen (1200 – 1253), fondateur de l’école Sōtō du bouddhisme zen au Japon, et de Keizan Jōkin (1268-1325), «second fondateur» de l’école Sōtō, l’abbesse souligne que le zen Sōtō englobe tous les êtres: les hommes, les animaux, les plantes. Et il pose les questions fondamentales de l’existence. «On n’est pas seulement sur terre pour manger, boire et dormir. On ne peut pas vivre sans se poser la question des fondements mêmes de l’existence, de la souffrance. Non seulement de la sienne, mais de la souffrance commune à tous les êtres».
«En pratiquant, nous développons la sagesse et la compassion. C’est difficile, il faut avoir un maître avisé, un ‘ami de bien’, en sanskrit ‘kalyanamitra’, un terme du bouddhisme qui désigne un compagnon de route sur le chemin de l’éveil, pas une personne qui domine».
Au «temple de la neige lumineuse», l’abbesse vit durant la semaine avec une autre nonne, tandis que le week-end la maison peut accueillir entre vingt et trente pratiquants. «On cherche à vivre ensemble, au-delà des mondanités quotidiennes, à créer l’harmonie entre les êtres». (cath.ch/be)
Jiko Simone Wolf commence à pratiquer le zazen au dojo de Paris en 1975 avec Maître Taisen Deshimaru dont elle reçoit l’ordination de nonne. Dès 1982, après la mort de son maître, elle fonde le Centre Zen de La Chaux-de-Fonds et participe à la création de nombreux dojos et groupes de zazen en Suisse. En 2004, elle reçoit au Japon la transmission de l’enseignement du Dharma de maître à disciple de Yuko Okamoto Roshi, proche ami de Maître Deshimaru et de Maître Kodo Sawaki. Elle fait partie du conseil spirituel et du comité de l’Association Zen Internationale (AZI). Le temple est également membre de l’Union Suisse des Bouddhistes (USB) et participe aux activités du Groupe de dialogue interreligieux du canton de Neuchâtel.
L’abbesse diffuse l’enseignement de son maître principalement en Suisse et au temple zen de la Gendronnière. En Suisse vivent plusieurs milliers d’adeptes du bouddhisme. Le zen, affirme-t-elle, s’adresse à tous sans discrimination, le dojo (centre de pratique) en est l’expression. «Classes sociales, races, cultures, croyances, idéologies n’ont aucune valeur dans un dojo zen«. JB
Le zen Sōtō est la principale école du bouddhisme zen. Initialement fondée en Chine sous le nom de Caodong, elle fut importée au Japon au XIIIème siècle par Dôgen Zenji et prit le nom de Sōtō à son arrivée au pays du Soleil Levant. A ce jour, l’école zen Sōtō est la plus importante au Japon et compte pas moins de 8 millions d’adeptes. De plus, elle connaît une grande popularité aux Etats-Unis ainsi qu’en France. On explique par ailleurs cette popularité par son accessibilité. Dans l’école Sōtō, zazen ou la méditation zen, est au cœur de la pratique. zazen fut le véhicule par lequel le Bouddha atteignit l’éveil au pied de l’arbre de la Bodhi, qui symbolise pour les bouddhistes la connaissance salvatrice qui délivre l’être de ses illusions. JB
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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