«Nous devons continuer à prier pour l’Eglise en Erythrée qui continue à être persécutée par le gouvernement qui confisque des propriétés ecclésiastiques, ne permet pas la construction d’églises et menace l’existence même de l’Eglise», affirme le Père Ferdinand Lugonzo, à l’agence d’information vaticane Fides. Le secrétaire général de l’AMECEA relève que cinq séminaristes sont actuellement incarcérés dans le pays, semble-t-il pour des questions relatives au service militaire obligatoire.
La visite de solidarité de la délégation en Erythrée a débuté le 30 octobre et s’est achevée le 5 novembre. Elle a été réalisée dans le cadre de la résolution finale adoptée par la XVIII° Assemblée plénière de l’AMECEA, qui avait eu lieu à Lilongwe, capitale du Malawi, en 2014.
Dans leur message de solidarité, les membres de la délégation expliquent avoir rencontré les responsables et les laïcs de l’Eglise, des responsables civils à différents niveaux du gouvernement, ainsi que les responsables d’autres communautés religieuses.
La délégation a remarqué avec satisfaction que les autorités locales appréciaient les efforts de l’Eglise catholique et d’autres communautés de foi en faveur du bien-être des Erythréens. Elle a observé, dans le même temps, «avec beaucoup de préoccupation, le fait que l’Eglise œuvre dans un environnement particulièrement difficile». (cath.ch/fides/rz)
L’Erythrée: une «Corée du Nord africaine»
«L’Erythrée est le pays disposant du moins de libertés au monde», affirme en juin 2015 un document officiel des Nations unies. Le rapport accuse le gouvernement érythréen de «violations systématiques, diffuses et graves des droits fondamentaux», dont le recours à la torture, aux violences sexuelles, aux disparitions et aux travaux forcés. L’Erythrée y est décrite comme une «Corée du Nord africaine», au sein de laquelle n’existent ni institutions ni processus démocratiques. La liberté de presse y est inexistante et le service militaire à durée indéterminée. Les rapports de l’Erythrée avec les pays voisins sont en outre très mauvais.
Indépendance de l’Ethiopie
La situation actuelle trouve ses racines dans l’histoire du pays, analyse Fides. L’Erythrée est une ancienne colonie italienne. Après la période de protectorat britannique (1941-1952), elle fut d’abord fédérée puis annexée par l’Ethiopie voisine, alors gouvernée par l’Empereur Hailè Selassiè. Dès les années 1970, les Erythréens, tolérant toujours plus mal le contrôle éthiopien, se lancèrent dans une guerre pour l’indépendance qui dura trente ans. L’esprit national se forgea au cours de cette lutte.
Parmi les différents mouvements de résistance, émergea à cette époque le Front de libération du peuple érythréen (EPLF). Son responsable, Isayas Afeworki, adopta une ligne marxiste mais indépendante du bloc soviétique qui, en ces années-là, soutenait l’Ethiopie. En effet, entre temps, le Négus avait été renversé et remplacé par une république populaire. La guerre se poursuivit jusqu’en 1991 lorsque Mengistu Hailè Mariam, le chef de l’Etat éthiopien, démissionna et s’enfuit. L’EPLF, allié à une frange de la résistance éthiopienne, prit le contrôle du territoire et, en 1993, grâce à un référendum effectué sous l’égide de l’ONU, l’Erythrée devint indépendante.
Espoirs déçus
L’Erythrée est entrée dans l’indépendance pleine d’enthousiasme, souligne Fides. De nombreux citoyens expatriés sont retournés dans leur partie pour y vivre et y investir. L’EPLF, mouvement de guérilla, se transforma alors en Front populaire pour la démocratie et la justice (PFDJ) et s’institutionnalisa. On commença à parler de démocratie et de Constitution. Une Charte constitutionnelle a vu le jour en 1997. Elle n’est cependant jamais entrée en vigueur, à cause des menaces de guerre qui soufflaient sur le pays. L’Ethiopie et l’Erythrée, qui s’étaient réconciliées après l’indépendance, recommencèrent à se regarder de travers.
Des tensions avaient surgi à cause d’un accord commercial avorté. Une dispute de frontière a ensuite fait éclater un nouveau conflit, qui a duré de 1998 à 2000. Il a fait 150’000 morts parmi les militaires érythréens et éthiopiens. La résolution de la dispute frontalière a été confiée à une commission indépendante de l’ONU. Elle a établi que la ville disputée de Badme appartenait à l’Erythrée. Toutefois, le gouvernement éthiopien n’a jamais retiré ses troupes de la ville et la tension entre les deux pays est demeurée élevée au cours des années suivantes.
Liberté de la presse inexistante
Isayas Afeworki utilise le lourd climat avec l’Ethiopie pour se maintenir au pouvoir, affirme Fides. En invoquant l’encerclement de la part de puissances hostiles et l’impossibilité d’introduire un système démocratique, le président resserre toujours davantage les mailles du filet de la répression vis-à-vis de ceux qui critiquent le régime. En l’absence d’une Constitution, le système institutionnel se délite. L’autorité judiciaire est confiée à des juges militaires en ce qui concerne le pénal et à des cours communautaires pour les causes civiles, les deux branches demeurant cependant sous un contrôle rigide du gouvernement. Les nouveaux Codes, pénal et civil, ne sont pas appliqués. Le Parlement, monopolisé par le PFDJ, ne fonctionne pas. Tous les médias privés ont été fermés et les moyens de communication publics sont sous le contrôle du parti politique dominant. La répression de la population est très dure, assure l’agence d’information vaticane.
Eglises sous pression
Les communautés religieuses subissent, elles aussi, une ingérence croissante dans leurs activités de la part de l’autorité politique. Officiellement, l’Erythrée est un Etat laïc au sein duquel la pratique religieuse est une question laissée à la conscience individuelle. En réalité, depuis sa fondation, l’EPLF puis le PFDJ sont dominés par des responsables chrétiens orthodoxes qui ont des rapports peu cordiaux avec la composante musulmane. Ainsi, dès les premiers jours ayant suivi l’indépendance, de nombreux musulmans ont été arrêtés sous l’accusation d’être des djihadistes qui mettaient en danger la sécurité du pays. Au fil des ans, de nombreux imams et responsables des communautés islamiques ont été incarcérés pour avoir critiqué le gouvernement.
Le même sort a concerné les Témoins de Jéhovah et les communautés pentecôtistes. En 2002, toutes les communautés religieuses ont été interdites, à l’exception de l’islam sunnite, de l’Eglise catholique, de l’Eglise orthodoxe et de la communauté luthérienne. Même l’Eglise orthodoxe a subi de fortes pressions. En 2007, le Patriarche Antonios a été contraint à démissionner et placé en résidence surveillée à cause de ses critiques à l’encontre du régime.
Seule l’Eglise catholique parvient à conserver une certaine autonomie, relève Fides. En 2014, les quatre évêques du pays ont publié une lettre pastorale dans laquelle ils dénonçaient l’état critique de la société, première cause de la fuite des jeunes hors du pays. Dans le document, les évêques établissaient la liste de graves problèmes touchant les Erythréens, en premier lieu la fragmentation des familles, dont les membres sont dispersés à cause du long service militaire ou de la détention. Ce qui a pour conséquence que les personnes âgées sont souvent abandonnées à elles-mêmes.
L’ombre du service militaire
Le service militaire obligatoire est le prix que le pays doit payer à la politique étrangère agressive du gouvernement d’Asmara, affirme l’agence missionnaire. Depuis les années 2000, tous les jeunes interrompent leurs études à 17 ans et sont enrôlés pour un service à durée indéterminée. Dans les centres d’entraînement, les officiers se montrent très violents. La majeure partie des jeunes sont contraints à des corvées dans les propriétés des officiers ou à des travaux de maintenance des structures publiques. Face à cette situation, ils tentent de fuir. Nombre d’entre eux ont recours à des réseaux de trafiquants complices d’officiers corrompus. Des statistiques d’organisations internationales font mention de 2’000 à 3’000 jeunes gens quittant l’Erythrée chaque mois.
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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