Trois tables dressées avec soin sous la mansarde chaleureuse d’une fondation yverdonnoise. Des fleurs aux couleurs d’automne, quelques bougies blanches et des serviettes oranges se marient harmonieusement au bois des tables. Le cadre est simple, mais accueillant. Les premiers convives arrivent peu avant 19 heures en ce vendredi de novembre. Une vingtaine de personnes de la région du Nord-Vaudois de tout âge et de différentes classes sociales sont rassemblées par une épreuve commune: l’échec de leur vie de couple.
«Une relation a échoué. Mais un avenir s’offre à nous»
Quelques échanges timides, puis un vrai brouhaha. Les participants se connaissent. Ils en sont à leur sixième et avant-dernière rencontre. Depuis six semaines, ils partagent un repas tous les vendredis soir, assistent à une brève conférence et, surtout, confient leur manière d’affronter leur séparation, récente pour la plupart. Cette proposition œcuménique, soutenue notamment par l’Eglise catholique dans le canton de Vaud, est une sorte de laboratoire. Un parcours novateur qui s’articule autour d’une pédagogie de l’espérance.
Si la structure du cours est identique, chaque soirée propose un thème spécifique. Au programme: «Faire face aux conséquences de la séparation», «Communication et résolution des conflits» ou encore «Le pardon et la réconciliation». Ce soir, il s’agit de «Vivre la solitude». Puis de reconstruire une nouvelle vie.
«La plupart des participants sont implicitement en quête de solutions, explique Philippe Gindroz, qui encadre la petite équipe de quatre organisateurs. Ils cherchent à y voir clair et à être moins seuls». Solide bonhomme à la carrure de rugbyman, ce fin psychologue est bien engagé dans l’Eglise évangélique. Il a lui-même «traversé le désert» du divorce il y a sept ans. «Ces rencontres sont un peu comme des starting-blocks. Il s’agit de donner aux participants les outils qui leur permettent de continuer leur chemin avec ou sans ressources spirituelles. Nous ne sommes pas là pour faire de l’évangélisation».
Au menu, ce soir: lasagne à la courge. Autour de la table, les langues se délient. On parle des conséquences insoupçonnées du divorce: de la nécessité d’une reconnaissance sociale et de l’idée d’élaborer, pourquoi pas, un faire-part de divorce. Du manque de légitimité de cette souffrance particulière, des relations avec la belle-famille et des liens qui s’y sont parfois tissés.
Au moment où les couverts se recroisent sur les assiettes, Myriam*, une des animatrices, dépose quelques feuilles A4 sur le pupitre qui fait face à l’assemblée, puis prend son courage à deux mains. «Divorcée. Ce mot est tellement horrible, soupire-t-elle sans sortir de son texte. Et pourtant, il s’agit avant tout de reconnaître les faits: une relation a échoué. Mais un avenir s’offre à nous», poursuit-elle en appuyant son propos sur un passage biblique tiré du prophète Joël: «Je vous remplacerai les années qu’ont dévorées la sauterelle, dit le Seigneur.» La citation fait mouche dans cette assemblée où la majorité des participants sont chrétiens.
Pour la plupart, leur séparation complique leur propre rapport aux institutions ecclésiales. Elle suscite au mieux de l’embarras, au pire du rejet. Philippe milite malgré tout pour qu’une offre pastorale soit proposée aux personnes divorcées. «Nous souhaitons sensibiliser les responsables d’Eglises, les pasteurs et les prêtres à ce qui se vit dans les cours Revivre. Ils pourraient en retirer des outils efficaces pour accompagner ces situations de rupture qu’ils méconnaissent souvent».
A observer Philippe, ces «outils» pourraient se résumer à une double attitude d’écoute attentive et de questionnement ciblé. Peu de mots, mais une précision chirurgicale. «Et toi, comment tu gères ta solitude?», demande-t-il à son vis-à-vis. «Comme je peux. Je vais parfois faire quelques courses dans un centre commercial pour rencontrer du monde». Les convives se confient, évoquent tour à tour leur difficulté à apprivoiser cette nouvelle venue dans le quotidien, mais aussi les perspectives offertes par la séparation. Renouer avec des passions laissées en jachère. Ici le chant ou la danse, là, la musique ou le jardinage.
Les discussions se font plus intenses lorsque le découragement affleure. «Et toi, tu as déjà pensé au suicide?», demande encore Philippe. «Oui, pas plus tard qu’hier, lui répond-on. Je conduisais ma voiture quand un camion est arrivé à grande vitesse en face de moi. Un petit coup de volant: l’idée a traversé mon esprit. Je me suis repris aussitôt». «C’est bien, tu es connecté à ton ressenti», reprend Philippe.
Devant l’assemblée, Myriam achève sa réflexion. En substance, elle propose aux participants d’apprivoiser l’absence, de durer dans le manque, pour prendre le temps de se reconstruire. Une nouvelle relation, qui ferait immédiatement table rase de la souffrance n’amènerait à rien, selon elle. La reconnaissance de l’échec, le pardon et la reconstruction sont possibles. Exigeants, ils demandent du temps et de la patience. «Tous ici avons accordé de l’importance à la relation, explique Noémie*, jeune trentenaire séparée depuis l’été. Nous voulons aussi prendre au sérieux la reconstruction».
Sur ce long chemin, les fêtes de fin d’années se dressent souvent comme la grande épreuve à traverser. Le malaise, la solitude, les divisions: tout y est exaspéré. «Qu’avez-vous prévu?», demande encore Philippe. «Partir en Australie», la réponse fuse. Le rire succède aux larmes le plus naturellement du monde. L’humour est peut-être le moyen le plus efficace à travers lequel l’espérance se fraie le chemin des cœurs pour y insuffler une certitude: l’échec est aussi un lieu de grâce. (cath.ch/pp)
*Prénom d’emprunt
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
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