Organisée par l’European Society for Trauma and Dissociation (ESTD), la conférence a réuni, du 9 au 11 novembre 2017, à Berne, psychothérapeutes, policiers, personnels de justice et acteurs de prévention sur le thème des violences et négligences infantiles et leurs conséquences à l’âge adulte. La Conférence des évêques suisses (CES) y a également pris part. Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle, et l’ancien Abbé d’Einsiedeln, Martin Werlen, se sont exprimés le 10 novembre au Kursaal de Berne.
Au début de sa conférence, l’ancien Abbé d’Einsiedeln a rappelé comment il avait été confronté à ce sujet. Jusqu’aux années 1980, les abus sexuels commis par des ecclésiastiques étaient un tabou. Suite à la couverture médiatique des scandales en Allemagne et en Autriche et aux rumeurs dans les couloirs du monastère, Mgr Werlen est devenu plus attentif à cette question. En tant qu’Abbé, il avait d’abord estimé que, pour protéger le monastère, le sujet ne devait pas être rendu public, ni même être divulgué parmi les confrères. Il a reconnu que l’idée de se préoccuper du sort des victimes ne lui était pas venue spontanément à l’esprit. En raison d’événements survenus au monastère d’Einsiedeln, l’Abbé a publié des directives sur les abus sexuels, qui ont ensuite été reprises par la Conférence des évêques suisses en 2002.
Cependant, plus Martin Werlen s’attardait sur le sujet, plus il s’est rendu compte de la cruauté des actes envers les victimes. Il a été alors convaincu qu’il fallait faire le ménage en toute transparence, et s’est exprimé publiquement sur le sujet. La lutte contre les abus a aussi connu des résistances, au sein de la communauté et de l’Eglise en Suisse, reconnaît-il.
Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle, membre de la commission de la CES pour les abus sexuels dans le contexte ecclésial, a décrit le changement de paradigme de l’Eglise en Suisse. Jusqu’ à la fin des années 1990, l’Eglise a tenté de dissimuler les abus sexuels, les cas ont été minimisés, les auteurs protégés et les victimes ignorées. Aucune plainte sur le plan civil n’a été déposée. Pour Mgr Gmür, cette attitude remonte à l’ignorance des clercs. Les résultats des sciences humaines n’ont pas été pris en compte. La sexualité était largement taboue dans leurs rangs. L’évêque de Bâle a également parlé de naïveté. Des confrères cherchant de l’aide sont restés en plan. Des personnes non formées au plan éducatif agissaient dans ce domaine.
Aujourd’hui, l’Eglise a pris ses responsabilités. Le regard s’est tourné de l’agresseur vers la victime. L’Église s’est montrée coopérative par le biais de commissions d’experts dans tous les diocèses. Mais Mgr Gmür a mis en garde contre la tentation de baisser les bras. L’Église doit devenir plus professionnelle dans la prévention des abus sexuels. La question comment traiter les coupables condamnés se pose également. La pastorale, qui se fonde sur la relation de personne à personne, doit s’interroger sur la question de la proximité et de la distance.
Après les deux exposés, la balle était dans le camp du public et des experts. L’Église doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour que les victimes n’aient pas à affronter un parcours du combattant pour faire valoir leur cause, a estimé un intervenant. Un autre thérapeute souligne que le mauvais comportement des gens d’Eglise affecte aussi des personnes très fidèles qui ne peuvent pas pardonner à cause de leur détresse intérieure. Ce qui les conduit souvent à quitter l’Eglise. La souffrance ne disparaît pas, a constaté une autre praticienne qui a mis en garde sur la question du pardon. La confession ne sert à rien si la victime n’est pas prise au sérieux dans sa souffrance. Dans ce sens, des progrès restent à faire dans la collaboration entre les psys et l’Eglise.
Durant tout le congrès, la Conférence des évêques suisses a tenu un stand d’information sur place pour ouvrir le dialogue avec les spécialistes. La présence a été assurée par les membres de la commission pour les abus sexuels en contexte ecclésial dont l’évêque Felix Gmür, le président Giorgio Prestele et le vicaire général de Coire Joseph Bonnemain. Répondant à Kath.ch, Giorgio Prestele déplore que les médias s’intéressent beaucoup à la révélation d’abus sexuels commis dans l’Eglise mais beaucoup moins aux leçons apprises et aux mesures prises pour lutter contre ces dérives. Par contre cette conférence a été une excellente occasion d’avoir des contacts avec des spécialistes de la police, de la justice ou des psychologues.
L’Eglise a voulu être présente à ce congrès parce que cela peut servir les victimes, estime de son côté Joseph Bonnemain, vicaire général dui diocèse de Coire. Par sa présence à Berne, elle entend montrer qu’elle ne veut rien cacher mais collaborer avec tous ceux qui s’engagent en faveur des victimes. (cath.ch/kath.ch/gs/mp)
Maurice Page
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