La situation dramatique de l’Irak s’est aggravée «surtout depuis 2003, année de l’invasion américaine et de la chute du régime baasiste de Saddam Hussein. Ces événements sont à l’origine du phénomène Etat Islamique (Daesh)», a assuré l’archevêque catholique irakien.
Les questions liées aux identités se sont avérées être des pièges pour toutes les composantes de la société irakienne, a-t-il déploré.
«Les milices de tous bords ont joué un rôle néfaste affaiblissant l’Etat et la cohésion du peuple. D’où la question: comment s’affranchir de ces dépendances identitaires, sources des luttes, vengeances et règlements de compte amenant les minorités à désespérer de toute possibilité d’avenir et de paix ? Comment résister à cette désintégration générale et rendre crédible une identité nationale plutôt que de se résigner à une régression vers le tribalisme et le sectarisme ?»
Le monde musulman traverse la crise la plus sérieuse de son histoire
Pour Mgr Youssif Thomas Mirkis, le monde musulman, traverse peut-être la crise la plus sérieuse de son histoire depuis ses origines, crise qui résume tous les conflits antérieurs depuis 1400 ans. «Pour nous, c’est le même refrain qui se répète. La répétition est un trait marquant de ces sociétés: cela va de la prière à la vie quotidienne, imprégnée de religion. Ici la religion est très différente de celle en l’Occident: elle est partout, mais elle est bloquée, non assumée, subie, et surtout conflictuelle».
Il a souligné que la surenchère ne va jamais dans le sens de l’esprit critique ou de la réforme. Elle va au contraire toujours plus loin dans le sens d’une exagération destinée à frapper partout les esprits. «Si on établit une comparaison entre Daesh et Al-Qaïda – son terreau d’origine – cette dernière organisation fait figure d’’enfant de chœur‘ face aux exactions et aux crimes commis en une dizaine d’années par Daesh depuis sa fondation en 2006″.
Si Daesh connaît effectivement une débâcle complète et bien que Mossoul et la plaine de Ninive aient été libérés, la région reste cependant disputée et partagée entre les Kurdes et les Arabes, les chrétiens, les Yézidis et les autres minorités. «Les forces armées et les milices populaires (essentiellement chiites) sont là, les Peshmergas kurdes, l’armée kurde aussi, tout le monde pense à ‘l’après Daesh’. Le referendum kurde est venu confirmer les craintes de tous, et la reprise de Kirkouk par Bagdad le 15 octobre dernier n’a pas fini la question, même si le pire a pu être évité in extremis».
Les chrétiens, les Yézidis et les autres minorités, pourront-ils revenir chez eux ? «Non seulement tous ces gens ont perdu la paix avec leurs voisins, mais surtout leur mémoire est désormais accablée par l’horreur et les souffrances, par le drame vécu par un très grand nombre de victimes, notamment chez les Yézidis».
L’apparition de Daesh n’est en fait que la suite logique d’un processus au déroulement implacable, estime l’archevêque chaldéen. «Pendant des décennies, un discours de haine et de refus des autres a été en tête d’affiche dans le monde politique et surtout religieux de la région. N’oublions pas non plus que, dans le monde arabo-musulman, l’ensemble des courants politiques, jadis nationalises et aujourd’hui théocratiques, refuse la Charte des droits de l’homme».
Ce refus, a-t-il regretté, a notamment pour conséquence l’aliénation de la femme, c’est-à-dire de la moitié de la société. «Aujourd’hui, toutes les sociétés incriminent les pyromanes, pourquoi n’incrimine-t-on pas ceux qui allument les feux de la sédition et du sectarisme ? Dans certains pays, ils tiennent le haut du pavé, au su et au vu de tous, sur les chaînes de télévision, sur la chaire des mosquées et surtout sur internet !»
Aux yeux de Mgr Thomas Mirkis, Daesh n’est qu’une petite partie de l’iceberg que constitue l’islamisme politique. «Je pense surtout que toutes les disciplines des sciences humaines devraient se pencher au chevet du monde musulman qui est, aujourd’hui, comme pris dans un étau. Le monde arabo-musulman a été berné, voire kidnappé, paralysé par cette dérive…»
«Par ailleurs, les instances juridiques internationales devraient engager des poursuites assidues, sans complaisance ni souci du ‘politiquement correct’, auprès de la Cour pénale internationale à l’encontre non seulement des criminels, mais aussi de leurs financeurs et surtout de ceux qui les soutiennent sur le plan idéologique ! Notre système planétaire de protection immunitaire tend à paniquer devant certaines pandémies, devant la résistance surtout de certains virus ou bactéries. Vu sous cet angle, Daesh est peut-être encore plus dangereux que certains virus !»
Tous reconnaissent que, malgré le déclin de sa composante «militaire», la menace des fanatiques de Daesh reste omniprésente et multiforme. […] La menace est diffuse. Le terrorisme peut frapper n’importe où et n’importe quand. Il a l’avantage de l’initiative. Il a aussi la possibilité d’attirer des jeunes de presque tous les pays, de les endoctriner pour tuer sans état d’âme, d’en faire des suicidaires. C’est pourquoi nous sommes passés de la peur concrète à l’anxiété généralisée».
Le religieux dominicain pose encore la question des sources du financement du terrorisme. «Un financement qui contourne toutes les mesures internationales (…) Les instances internationales ont été lentes à réagir et à comprendre la gravité de la situation. Il faut ajouter à cela des problèmes propres à l’Occident, liés notamment au vieillissement de ses institutions et à l’incapacité des organisations internationales (…) de s’adapter aux nouvelles menaces. On se retrouve face à un phénomène de ‘déjà vu’: la montée des idéologies totalitaires au début du XXe siècle, le génocide, sous l’Empire ottoman, d’environ trois millions de chrétiens d’Orient: Arméniens, Assyriens, Chaldéens, Syriaques et Grecs. Ce ne fut malheureusement qu’un prélude à un autre génocide, trente ans plus tard: l’Holocauste des juifs».
«Daesh a déjà fait trop de mal. Il est temps d’en prendre conscience pour l’avenir. Pour tous les musulmans de bonne volonté, pour ceux qui recherchent le bien commun, le temps est venu de se joindre aux non-musulmans et de prendre une position claire et non de façade: l’extrémisme et le terrorisme constituent une menace pour toute l’humanité. Il faut former un front uni, isoler tout système fondé sur la haine, construire partout une coexistence de sorte que nos différences ne conduisent pas au rejet mais au respect de la citoyenneté et à une laïcité positive».
L’enjeu pour les chrétiens du Proche et Moyen-Orient, pour ceux de l’Irak en particulier, est celui de leur avenir ou de leur disparition, «avec celle d’autres composantes qui formaient la belle mosaïque de notre pays».
«C’est l’Evangile qui nous interpelle et nous pousse à affronter cette situation. Il faut tout faire pour la changer par la culture et la liberté, le travail intellectuel, l’ouverture, la tolérance, l’amour, la fraternité, la coexistence, et surtout le respect des droits de l’homme et de la diversité. Cela ne sera possible qu’en jetant les bases d’une éducation et d’un développement durables à travers des programmes favorisant paix et stabilité».
«Nous avons aussi besoin, comme chrétiens, d’être aidés à rester chez nous, à ne pas céder à la tentation de l’émigration qui n’est jamais une bonne solution. Elle est souvent une fuite. L’émigré continuera à rêver de sa patrie, traînera d’immenses déceptions, devra déployer d’énormes efforts et dépenser beaucoup d’énergie pour s’intégrer dans un pays et dans une culture où il est arrivé meurtri et où il n’a pas de prise ; toutes raisons pour lesquelles il restera un étranger !»
Certains pensent qu’émigrer est une démarche plus facile que celle de résister. Mais ne pourrait-t-on pas imaginer autrement l’aide occidentale, se demande-t-il, avant d’avancer la proposition d’un nouveau Plan Marshall. Car pour Mgr Youssif Thomas Mirkis, la survie des communautés chrétiennes en Irak se joue en bonne partie sur le plan économique. Et l’archevêque chaldéen de lancer un fort cri d’alarme: «L’Irak risque de perdre ses chrétiens!», eux qui, malgré le peu de liberté qui leur était concédée par les pouvoirs d’alors ont développé les premières imprimeries du Moyen Orient, les premières écoles, les hôpitaux et surtout préservé leur culture différente».
Par ces moyens, les chrétiens ont pu jouer au Proche et Moyen-Orient un rôle de passerelle entre les communautés et les peuples, apprenant d’autres langues, traduisant les livres, éclairant leurs sociétés par la connaissance. Mais aujourd’hui, ils sont à un tournant: «L’une des plus anciennes communautés chrétiennes du monde est en train de disparaître de l’Irak sous nos yeux!» (cath.ch/cef/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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