Les chiffres de nos assurances maladie s’envolent, les Vaudois paient le prix fort, beaucoup voient la barre symbolique des 500 francs de cotisation dépassée… La tentation est grande de réfléchir à un nouveau modèle de santé et en particulier un modèle qui prendrait en compte les particularités individuelles des bénéficiaires. S’il est aujourd’hui fort heureusement illégal aux assureurs de se procurer le dossier médical de ses clients, on voit émerger des prises de position qui posent question.
Le 19 septembre dernier, Le Temps lançait le débat: »Ne pas fumer, ne pas boire d’alcool, avoir une bonne alimentation, faire du sport… Trouveriez-vous normal de payer moins cher votre assurance maladie en fonction d’un mode de vie plus sain?» Sorte de récompense pour une vie saine qui coûte donc peu à la société. L’idée a de quoi séduire : pourquoi paierais-je pour ceux qui décident bien librement de ne pas chérir, comme un fragile trésor, leur santé ? Quand on voit les déficits que la santé peut engendrer dans nombre de pays aujourd’hui, nul doute que l’idée pourrait faire son chemin…
Il y a un devoir collectif envers les plus pauvres
Pourtant, elle soulève de graves et très nombreuses questions, à commencer par celle du modèle de société que nous voulons, car il est question ici de solidarité. Cette solidarité qui fait assumer collectivement les défaillances de l’un à un moment donné. Solidarité; à la fois avantage et âme de la vie en société. Oui, une couverture santé universelle porte en elle ses injustices, mais une couverture santé adaptée à chacun ne peut que mener à des drames individuels, car en récompensant de cette façon ceux qui ont une vie saine par mesure de justice, on pénalise par effet de miroir les autres. Si donc tel fumeur est atteint d’un cancer causé par la cigarette devra-t-il alors assumer le coût de ses soins? Et si le cancer n’est pas lié à son tabagisme, est-ce que les compagnies d’assurance ne chercheront pas à prouver le contraire?
Il faut également insister sur le lien inhérent entre pauvreté et maladie: les populations les plus pauvres sont également les plus fragiles. Il y a donc là également un devoir collectif envers les plus pauvres, trop souvent laissés à la marge et qu’une nouvelle pression ne ferait qu’exclure un peu plus.
Imaginons à présent le mise en œuvre de l’idée évoquée par Le Temps. Comment le contrôle de cette vie saine serait-il possible? Comment se traduirait-il? Quelles en seraient les conséquences?
Il y aurait l’ado qui finit emméché après son passage à la Foire du Valais, qui n’aurait pas intérêt à se faire attraper par ses parents dont les fins de mois sont difficiles en ce moment; une hausse de l’assurance pour abus d’alcool ne ferait vraiment pas leur affaire. Et toi qui n’as pas envie d’aller faire ton fitness hebdomadaire, tu sais bien que ta salle de sport le notifiera à ton assureur si tu n’y vas pas…
Une logistique lourde à mettre en place pensez-vous? Au contraire, nous sommes déjà scrutés continuellement par toutes les technologies que nous utilisons. Elles nous traquent et nous trahissent aussi loin qu’on les interroge. Pensons à la publicité ciblée qui s’adapte si parfaitement à nos recherches réalisées sur internet. Il suffit de bien peu pour calquer les algorithmes sur la santé des utilisateurs. De nombreuses applications ont déjà été conçues pour contrôler notre sommeil, notre rythme cardiaque, notre alimentation, etc.
Les garde-fous sont minces face à la puissante capacité d’évolution des nouvelles technologies. Et aux vues des bénéfices potentiels que le marché de la santé couplé aux nouvelles technologies peut offrir, il ne reste que le choix de résister à un meilleur des mondes aussi sain qu’aliénant.
Marie Larivé | 5 octobre 2017
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