Egypte: Malgré al-Sissi, les chrétiens toujours discriminés, déplore Mgr Samaan

Malgré les efforts sincères d’Abdel Fattah al-Sissi, qui manifeste à toute occasion qu’il est le président de tous les Egyptiens, sans distinction de religion, il reste autour de lui trop de gens qui n’ont pas changé de mentalité. «Ces personnes voient toujours les chrétiens comme des citoyens de 2e catégorie», déplore Mgr Kyrillos William Samaan.

En visite en Suisse du 23 septembre au 1er octobre 2017 à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique Aide à l’Eglise en Détresse (AED-ACN), l’évêque copte-catholique d’Assiout, en Haute-Egypte, déplore la poursuite des discriminations visant les chrétiens. Les auteurs de ces discriminations les justifient en citant des textes du Coran, notamment sous prétexte qu’un non-musulman ne peut pas avoir de pouvoir sur un musulman.

Autorisation présidentielle exigée pour les Eglises chrétiennes

«Les constructions d’églises chrétiennes, théoriquement, devraient être plus faciles qu’avant, mais dans la pratique, nous n’avons pas encore vu beaucoup d’améliorations. Les autorités nous ont demandé de présenter la liste de toutes les églises et de tous les locaux appartenant à l’Eglise (centres paroissiaux, foyers d’étudiants, centres de santé, etc.) qui n’ont pas d’autorisation présidentielle, comme exigé par la loi. Elles exigent également un rapport d’ingénieur qui garantisse que ces bâtiments sont sécurisés. Sur 40 églises à Assiout, la moitié ne possède pas ces documents…»

«Pourquoi les autorités exigent-elles ces listes uniquement pour les propriétés de l’Eglise, et pas pour tous les autres lieux de culte, comme les mosquées ?», se demande Mgr Kyrillos.  Des musulmans libéraux – une minorité ! – ont eux aussi demandé pourquoi les lois communes ne s’appliquaient pas de la même façon à toutes les religions, et pourquoi en particulier les musulmans en seraient exemptés. «Les salafistes, au contraire, estiment qu’il y a trop d’églises…»

Pour les salafistes, pas d’Eglises chrétiennes en terre d’islam

Au Parlement, les salafistes ne cherchent pas à cacher leur idéologie religieuse. Ils ont refusé de voter la loi interdisant les mutilations sexuelles féminines (l’excision), en raison de leurs convictions religieuses. Lors du vote de la loi sur les Eglises, ils se sont retirés de la salle. Ils se présentent comme les vrais protecteurs de l’islam. «Pour eux, en terre d’islam, aucune Eglise ne devrait exister!»

Aux yeux de l’évêque d’Assiout, les salafistes du parti Al-Nour (Parti de la lumière), soutenus par l’Arabie saoudite, sont pires que les Frères Musulmans, qui utilisent le terrorisme. Eux sont plus sournois: ils font preuve de terrorisme intellectuel et utilisent les médias pour leur programme d’islamisation.  Ils prêchent une vision très littérale du Coran et de la tradition, sans rien contextualiser. Ils veulent imposer la charia, la loi islamique. «Pourtant ils ne sont pas interdits, alors que la Constitution de 2014 a réintroduit dans son article 74 l’interdiction de former des partis politiques sur une base religieuse…Ils soutiennent le gouvernement, car ils vont où souffle le vent».

Attitude équivoque d’Al-Azhar

Les salafistes avaient même introduit durant l’été des «kiosques à fatwas» pour les voyageurs désirant obtenir une consultation en matière de jurisprudence islamique dans les stations de métro. Ils avaient la permission des autorités, mais ils ont dû les fermer en raison de protestations.

Mgr Kyrillos n’épargne pas Al-Azhar: «Son attitude reste équivoque, malgré les injonctions du président al-Sissi à entamer une révolution religieuse. L’institution islamique doit changer sa mentalité, éliminer les textes discriminatoires envers les autres religions, mais rien ne bouge ! On dit qu’Al-Azhar représente l’islam modéré, mais, en réalité, l’institution n’a pas fait le ménage et n’a pas encore éliminé les textes fondamentalistes…»

A la mosquée Al-Azhar, le 28 avril dernier, le pape François a condamné la violence au nom de Dieu. Ahmed Al-Tayyeb, grand imam de l’institution sunnite, continue pourtant d’affirmer haut et fort que l’islam est la religion la plus pacifique. «Mais cela reste un discours, car Al-Azhar n’a jamais condamné Daech, l’Etat islamique, car le mouvement terroriste se base sur des passages du Coran, comme l’appel au jihad».

Interdiction de l’exégèse du Coran, «parole incréée de Dieu»

On ne peut pas faire l’exégèse du Coran écrit au VIIe siècle ni le contextualiser, car il s’agit, pour la plupart des écoles théologiques musulmanes, de la «parole incréée de Dieu», descendue directement du ciel, note l’évêque. Toute exégèse a été interdite dès le XIe siècle, lorsque la porte fut définitivement fermée à l’effort de recherche, appelé l’ijtihad. «Il n’y a pas d’esprit critique, pas de contextualisation. La langue de Dieu est l’arabe, pour eux, et les traductions du Coran dans d’autres langues sont considérées comme des interprétations, pas des traductions fidèles».

«Si les musulmans n’acceptent pas le dialogue théologique, à Assiout, les imams mènent volontiers le ‘dialogue de la vie’. Les relations sont bonnes. Nous travaillons pour trouver des solutions aux problèmes et pour prévenir les tensions interreligieuses au sein de la Maison de la famille, Beit Al ›Aila, une institution mise en place en 2011 conjointement par le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed Al Tayyeb, et le pape copte orthodoxe d’alors, Chenouda III». JB


Relations œcuméniques renforcées après les attentats

L’évêque copte catholique d’Assiout confirme à cath.ch que les relations œcuméniques en Egypte sont bonnes, tant avec le pape Tawadros II, patriarche de l’Eglise copte-orthodoxe – «c’est là une grande différence avec son prédécesseur Chenouda III ! – qu’au sein du Conseil des Eglises d’Egypte, fondé en 2013 par l’Eglise copte orthodoxe, l’Eglise catholique, l’Eglise évangélique, l’Eglise grecque orthodoxe et l’Eglise anglicane pour «renforcer les liens d’amour et l’esprit de coopération» entre tous les chrétiens du pays.

Les chrétiens égyptiens se sont encore rapprochés après les attentats commis contre eux par les jihadistes. Un geste a beaucoup touché les chrétiens: le président al-Sissi a fait construire, aux frais de l’Etat, «l’Eglise des Martyrs» dans le village d’El-Awar, dans le district de Samalout, en Haute-Egypte, région d’où provenaient les vingt coptes et le chrétien africain décapités par Daech, au bord de la mer, près de Syrte, en Libye, en février 2015.

Appartenant à l’Eglise copte orthodoxe, ces hommes avaient quitté la petite ville de Samalout, près d’Al-Minya, pour partir travailler en Libye. Ils appartenaient à des familles modestes de l’Egypte rurale. Les autorités libyennes ont annoncé la semaine dernière avoir arrêté l’un des suspects de ces assassinats et sont à la recherche de la fosse commune contenant les restes des martyrs qui devraient être alors rapatriés. L’Eglise copte orthodoxe veut les enterrer dans l’Eglise des Martyrs, en Haute-Egypte.

«Ce sont pour nous aussi des martyrs: ils ont refusé d’abjurer leur foi, et sont morts en récitant le Kyrie eleison, ‘Seigneur, prends pitié’, avec le nom de Jésus sur les lèvres, jusqu’à leur dernier souffle». JB


Mgr Kyrillos William Samaan, né en Haute-Egypte

Mgr Kyrillos William Samaan, né en 1946 à Assiout, en Haute-Egypte, entre au petit séminaire à l’âge de 9 ans. Après des études de philosophie au séminaire de Maadi, au Caire, il poursuit, de 1965 à 1969, ses études en théologie à l’Université pontificale Urbaniana à Rome. De retour en Egypte, il doit faire son service militaire, qui dure de 1969 à 1974, en raison des tensions suite à la Guerre des Six Jours (juin 1967). Le 10 juin 1974, il est ordonné prêtre et enseigne au séminaire de Maadi. Entre 1978 et 1981, il entreprend des études bibliques au Pontificio Istituto Biblico de Rome. Il retourne ensuite au séminaire de Maadi, où il devient recteur. Le 3 juin 1990, il est ordonné évêque d’Assiout. En février 2012, il est administrateur patriarcal d’Alexandrie des coptes catholiques en raison de la maladie du cardinal Antonios Naguib, alors patriarche d’Alexandrie, auquel a succédé en 2013 Mgr Ibrahim Isaac Sidrak, actuel primat de l’Eglise catholique copte. Mgr Kyrillos préside notamment la commission épiscopale de l’Eglise copte catholique pour la famille. (cath.ch/be)

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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