La guerre civile, qui a éclaté en décembre 2013 dans ce pays de 12 millions d’habitants – deux ans après la proclamation de l’indépendance du Soudan du Sud – entre les clans du président Salva Kiir, un Dinka, et ceux de son ancien vice-président, Riek Machar, un Nouer, a déjà provoqué des dizaines de milliers de victimes. Plus de 2 millions de personnes – dont 1 million d’enfants – ont fui les combats et ont passé les frontières pour chercher la sécurité en Ouganda, au Soudan, en Ethiopie, au Kenya, en République démocratique du Congo et en République centrafricaine. L’Ouganda abrite désormais plus d’un million de réfugiés sud-soudanais. Quelque deux millions d’autres sont des déplacés internes, souvent en proie à la famine.
Le conflit a pris une dimension ethnique, instrumentalisé par les chefs de guerre. Les deux adversaires ont fait appel à leurs groupes ethniques respectifs, à savoir les Dinkas pour Salva Kiir et les Nouers pour Riek Machar. Cette âpre lutte pour le pouvoir entre Salva Kiir, un catholique, et Riek Machar, qui appartient à l’Eglise évangélique presbytérienne du Soudan du Sud, a rapidement été transformée en une cruelle guerre intertribale par les chefs de guerre.
«A la base les gens de diverses ethnies, qui ont vécu ensemble pendant des générations, s’entendent. Ils se retrouvent ensemble dans les mêmes camps de réfugiés, notamment en Ouganda, dont un des camps compte plus de 800’000 réfugiés sud-soudanais. Quand il pleut, à cause de la boue, les camions ne peuvent plus les ravitailler en eau. La situation est désastreuse!», affirme Betram Gordon Kuol, originaire d’un petit village dinka à une centaine de km au nord de Juba.
De passage au siège de l’ASASE, au 19 de la rue du Rhône à Genève, en compagnie de son adjoint William Luciano Takido, Betram Gordon Kuol confie à cath.ch qu’il va tenter de parler de la situation dramatique dans son pays au pape François. Il va le rencontrer à l’occasion du Symposium international de la Famille Vincentienne qui se tiendra à Rome du 12 au 15 octobre 2017. Le thème du Jubilé des 400 ans de la Famille Vincentienne, sous le leitmotiv «Accueillir l’étranger», en sera l’occasion.
En pleine situation de guerre civile, l’association basée à Genève affiche sur place son slogan: échanger les fusils contre des bêches! Pour Betram Gordon, qui évoque la situation de son pays les larmes aux yeux, la solution passe par la formation, par un profond changement des mentalités. Les gens qui luttent pour le pouvoir au sommet sont pourtant des chrétiens, le président va à la messe alors que les soldats loyalistes, comme les rebelles, massacrent la population civile. «Il n’y a pas de conscience nationale, l’armée n’est pas une armée nationale qui défend la population… elle s’est disloquée en troupes affiliées aux différents leaders, car il n’y avait pas d’armée indépendante des partis. Quand le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), le parti politique du Soudan du Sud qui était l’émanation de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), a éclaté sur des bases ethniques – alors que les rivalités étaient politiques -, l’armée s’est divisée sur les mêmes lignes de partage. De plus, les gens qui sont au pouvoir, à part quelques années de répit, n’ont connu que la guerre, le conflit, et ils ne sont pas habitués à négocier. Au lieu de s’asseoir à une table pour discuter, quand ils ne sont pas d’accord entre eux, ils prennent directement les armes!»
«Cette guerre, qui absorbe bien plus de la moitié des revenus de la nation, dont 95% proviennent de l’extraction du pétrole, n’a aucun justification objective. Les gens sont fatigués de la guerre», insiste Betram Gordon.
Alors que le prix du baril a chuté, il n’y a plus d’argent, mis à part pour des achats d’armements. Les fonctionnaires ne sont pas payés pendant des mois, et il n’y a pas d’autres emplois que dans l’administration et l’armée, ou encore dans les ONG. Les opportunités de travail salarié sont donc très limitées, c’est pourquoi les gens s’engagent dans les groupes armés pour avoir de quoi manger. De ce fait l’insécurité augmente aussi en ville, il y a de plus en plus de brigandage «simplement pour trouver à manger, car à Juba, tout vient de l’extérieur, rien n’est produit sur place».
Sur place, l’association dirigée par Betram Gordon emploie une cinquantaine de personnes. Elle développe des programmes générant des revenus (élevage de poules pondeuses, production de textiles, etc.) «pour ne pas dépendre totalement de l’étranger». Mais l’ONG a tout de même besoin d’aide de l’extérieur – l’Etat sud-soudanais laissant les privés s’occuper seuls des besoins de base des plus pauvres – pour faire fonctionner ses trois centres qui fournissent de l’alimentation à 800 bébés trois fois par semaine, ses écoles primaires qui accueillent 840 élèves (ils reçoivent dans ces écoles un modeste repas 5 fois par semaine, sinon ils ne viendraient pas, étant notamment occupés à chercher de la nourriture, car ils n’ont pas à manger à la maison…).
L’ONG dirige également le centre «Be In Hope», qui accueille les enfants des rues, ainsi qu’un dispensaire et un centre de formation qui enseigne différentes disciplines, comme la mécanique auto, la maçonnerie, la menuiserie, l’électricité, l’informatique, la couture, sans oublier un programme de formation en agro-business et en soins et hygiène destiné aux femmes. «Le gouvernement est content de ce que l’on fait, il ne nous met pas les bâtons dans les roues, conclut Betram Gordon. Nous avons une bonne cote auprès des autorités, mais à part nous encourager, ils ne nous aident pas du tout!» JB
Fondée il y a bientôt 40 ans par Michel Bittar – un entrepreneur d’origine syro-libanaise dont le père s’était installé à Khartoum, capitale du Soudan, pays où il est né – l’ASASE est dirigée depuis plusieurs années par son fils Patrick. Ce dernier, réalisateur de films, quand la direction de l’ASASE lui en laisse le temps, vit dans la banlieue parisienne. Il est connu en Suisse notamment pour ses critiques cinéma pour la revue suisse des jésuites Choisir, à Genève.
C’est Michel Bittar qui a entraîné Sœur Emmanuelle, co-fondatrice d’ASASE, dans l’aventure soudanaise. A 63 ans, Sœur Emmanuelle avait décidé d’aller partager la vie des habitants des bidonvilles du Caire. Huit ans après, en 1979, elle crée avec Michel Bittar l’ASASE, pour soutenir son action en faveur des chiffonniers du Caire. «En 1986, à ma demande, confie ce natif de Khartoum, elle s’est rendue au Soudan et en est revenue choquée par la misère des populations déplacées victimes de la plus longue guerre civile du XXe siècle. Elle a pu constater que leur situation était pire que celle des ‘zabbalines’, les chiffonniers du Caire». Dès lors, l’ASASE va se consacrer à la création et au développement de différents programmes d’aide aux populations démunies: à Khartoum et dans les environs, au Soudan, jusqu’en 2014, au Soudan du Sud depuis 2009 (dès avant l’indépendance en 2011), et en Haïti depuis 1996.
Association genevoise reconnue d’utilité publique, bénéficiant d’une exonération fiscale accordée par l’Etat de Genève, l’ASASE a environ un million de revenus annuels, affectés à 95% aux projets sur place, car les frais d’infrastructures sont pris en bonne partie en charge par la société familiale Sopleco SA, qui appartient désormais à l’oncle de Patrick. L’association récolte annuellement les trois-quarts de ses dons en Suisse (principalement un soutien du Service de la solidarité internationale du canton de Genève, de la Ville de Genève et de communes genevoise, quelques fondations, ainsi que les cotisations et les dons de ses 700 membres). Le reste vient d’ONG partenaires en France, Angleterre (Société Saint-Vincent-de-Paul) et Autriche (Missio et Caritas). (cath.ch/be)
Jacques Berset
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