Au cours d’une conférence internationale à l’Université pontificale du Latran, en présence notamment du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, et du cardinal Mauro Piacenza, président de la fondation pontificale AED, quelque 150 personnes ont pu entendre les témoignages poignants d’évêques venus d’Irak.
A la conférence mise sur pied par les responsables d’AED au plan international ont participé les directeurs nationaux d’AED, de nombreux sympathisants et donateurs de la fondation catholique, ainsi que des ambassadeurs et autres diplomates d’une vingtaine de pays. Les organisateurs de l’événement espèrent que ces diplomates répercuteront ce qu’ils ont entendu auprès de leur gouvernement, car les sommes immenses nécessitées par la reconstruction des maisons et des infrastructures détruites par les sabotages et les bombardements dans la Plaine de Ninive sont hors de portée de la seule fondation AED.
Les coûts de la reconstruction sont en effet estimés à 250 millions de dollars. Et il ne faut pas compter sur le gouvernement de Bagdad: la guerre l’a ruiné, la corruption est omniprésente et les chrétiens ne sont pas sa priorité.
La création du Comité pour la Reconstruction de la Plaine de Ninive (NRC), composé de l’archevêque Timothaeus Moussa Al Shamany, de l’Eglise syriaque orthodoxe d’Antioche, de Mgr Yohanna Petros Mouché, archevêque syriaque catholique de Mossoul, du Père Andrzej Halemba, d’AED, de Mgr Nicodemus Daoud Matti Sharaf, métropolite syriaque orthodoxe de Mossoul, Kirkouk et Kurdistan, et de Mgr Mikha Pola Maqdassi, évêque chaldéen d’Alqosh, montre que l’urgence d’agir ensemble a permis de dépasser les clivages confessionnels.
Prélats tant catholiques syriaques et chaldéens que syriaques orthodoxes parlent d’une même voix: les populations chassées par Daech ont le droit de retourner sur la terre de leurs ancêtres et de récupérer leurs biens volés par les djihadistes et leurs sympathisants, souvent des musulmans des villages voisins. La reconstruction de plus de 1’200 maisons totalement détruites, de 3’500 autres incendiées et de 8’200 partiellement endommagées est une lourde tâche pour les chrétiens qui n’ont pas choisi les chemins de l’exil. Mais reconstruire la confiance avec les voisins qui se sont dressés contre eux prendra bien plus de temps encore!
Déjà 14’000 chrétiens, pour la plupart réfugiés au Kurdistan voisin, sont retournés chez eux depuis quelques mois, selon les estimations du patriarche Louis Raphaël Sako, patriarche de Babylone des chaldéens. Mais ils retrouvent leurs villages dévastés et, surtout, la sécurité n’est pas encore tout à fait garantie. Beaucoup de sympathisants de Daech, dans les villages voisins, se sont rasés la barbe et font aujourd’hui profil bas, «mais jusqu’à quand ?»
Si la situation ne se stabilise pas, tout pourrait recommencer. Après le «oui» massif au référendum d’indépendance du Kurdistan irakien, les mesures de rétorsion de Bagdad ont été immédiates: les vols vers Erbil, la capitale de la province, devraient cesser à partir de vendredi soir 29 septembre. Avec la fermeture des frontières, la région autonome kurde risque d’être asphyxiée. Les chrétiens qui y sont réfugiés vivent désormais dans l’angoisse, avec des bruits de bottes menaçants du côté de la Turquie, de l’Iran et du gouvernement de Bagdad.
Actuellement, a relevé le patriarche Sako, qui craint lui aussi de nouveaux développements ces prochains jours, la Plaine de Ninive est divisée administrativement entre, au nord le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) et au sud le gouvernement central de l’Irak (ICG). Ainsi Telkef, Bartella, Karamles, Alqosh et Qaraqosh sont sous l’ombrelle de l’armée irakienne, et de la milice populaire chiite Al-Hashd Al-Sha’by, tandis que Teleskuf, Baqofa, Batnaya, Bashiqa et Bahzani sont sous le drapeau des Peshmergas kurdes.
«Encore une fois, les chrétiens sont pris entre deux feux ! S’il y a un nouveau conflit militaire en Irak, les conséquences seront désastreuses pour tous, en particulier pour les chrétiens et les minorités, qui paieront une nouvelle fois le prix le plus élevé. Une éventuelle confrontation aura certainement pour résultat un nouvel exode des chrétiens hors de leur pays…»
Le patriarche chaldéen rappelle que depuis quelques années, le nombre de chrétiens en Irak a diminué de plus des deux tiers. Ils seraient aujourd’hui moins d’un demi-million, majoritairement réfugiés au Kurdistan.
En 2014, les chrétiens de Mossoul et de la Plaine de Ninive ont vu tous leurs biens, leurs documents et leurs souvenirs disparaître, volés et pillés, leurs maisons confisquées ou détruites. Les responsables chrétiens n’hésitent pas à parler d’un «génocide» qui a également visé d’autres minorités, en particulier les yézidis.
«La vraie raison derrière cette persécution est la haine des musulmans radicaux contre les chrétiens, qui les a poussés à effacer notre héritage, à détruire nos maisons et nos églises, et même à tenter de nous faire disparaître de la mémoire et de l’histoire de l’Irak. Cela s’appelle véritablement un ‘génocide’!»
Plusieurs œuvres d’entraide, comme les Chevaliers de Colomb, AED, ainsi que le gouvernement hongrois, ont fourni des fonds à hauteur de plusieurs millions de dollars pour aider au retour des réfugiés dans les villages de la Plaine de Ninive. Le Comité pour la Reconstruction de la Plaine de Ninive aide également des villages où vivent les yézidis, comme Bashiqa et Bahzani.
«C’est actuellement notre devoir de reconstruire les maisons des chrétiens, étant donné que leur présence dans ces régions est d’une grande importance pour maintenir le témoignage des valeurs de l’Evangile, sinon ils vont quitter le pays», note le patriarche Louis Raphaël Sako. Les musulmans «modérés» ont à maintes reprises déclaré que les chrétiens devaient rester, car un Moyen-Orient sans chrétiens aurait pour conséquence un grand appauvrissement matériel et culturel pour tous.
«La disparition des chrétiens d’Irak, l’une des plus anciennes communautés chrétiennes, signifierait la perte d’une composante irremplaçable de la société irakienne, une composante indigène et pacifique, dans une société où les mentalités et la culture sont majoritairement restées tribales et violentes».
Le patriarche insiste à ce propos sur la nécessité de la formation, afin d’apprendre à respecter la vie, à vivre en paix et en harmonie ensemble, quelles que soient la religion ou l’appartenance ethnique. Il lance un appel à la communauté internationale, spécialement aux Etats-Unis qui portent une grande responsabilité dans le chaos irakien, pour travailler avec le gouvernement de Bagdad pour la stabilisation du pays, la promotion de la réconciliation et l’éradication de l’idéologie islamique «extrémiste» qui présente «un problème fondamental et un risque pour tous».
«Cela requiert de soutenir les efforts en vue de l’établissement d’un Etat fort, avec une constitution démocratique et moderne, qui assure une pleine citoyenneté pour tous les citoyens. Les chrétiens d’Irak ne veulent pas un statut de ‘minorité protégée’, ils veulent être des citoyens à part entière. La séparation entre la religion et l’Etat est une nécessité pour l’avenir d’une coexistence harmonieuse!» (cath.ch/be)
Jacques Berset
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