Le film Matilda, réprouvé par l'Eglise, réveille les extrémistes orthodoxes

Le service de sécurité russe FSB et le département de lutte contre l’extrémisme du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie ont arrêté la semaine dernière Alexandre Kalinine, chef de l’organisation extrémiste orthodoxe Etat chrétien – Sainte Rus’.

Libéré depuis, il reste cependant poursuivi en justice pour avoir fait pression sur des cinémas pour qu’ils refusent de projeter Matilda, le film controversé d’Alexeï Outchitel.

Ce film raconte l’histoire d’amour entre la danseuse Mathilde Kschessinska, morte à Paris en 1971, et le futur tsar Nicolas II, exécuté avec sa famille par les bolchéviques dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918. L’Eglise orthodoxe russe le considère comme un saint et l’a canonisé «pour sa patience dans les épreuves». Depuis plusieurs mois déjà, alors que la sortie nationale du film «sulfureux» n’est prévue que pour le 26 octobre, des manifestations et des attentats fomentés par des milieux ultraorthodoxes font craindre une escalade.

Invitation à «tuer pour la foi»

Alexandre Kalinine, sur le site russe meduza, affirme que «le Seigneur [lui a] donné une mission» et qu’il transmet «la position des gens craignant Dieu». Les Russes opposés au film Matilda, se référant à lui, seraient prêts aux actes «les plus extrêmes».

«Ces personnes sont des partisans du combat contre l’insanité et l’immoralité. Ils pourraient finir par prendre des mesures très extrêmes, et les problèmes seraient encore plus graves». L’extrémiste estime que les responsables auraient pu révoquer la licence de Matilda, «car après tout, les gens sont contre le film. (…) Les gens sont prêts à brûler tout ce qui facilite ce blasphème. Et ils ne parlent pas de meurtres, mais de tuer pour la foi!»

Depuis la publication de la bande-annonce en 2016 de Matilda, des organisations orthodoxes et des personnalités influentes se sont prononcées contre sa diffusion dans les salles de cinéma, estimant que ce film constituait une «offense aux sentiments des croyants».  Deux des plus importants réseaux de salles de cinéma de Russie ne vont pas projeter le film, craignant des attentats de groupes orthodoxes extrémistes.

Le «scandaleux hebdomadaire» Charlie Hebdo

Les tensions qui entourent la sortie du film Matilda, écrit sur le site du Patriarcat de Moscou le métropolite Hilarion de Volokolamsk, «rappellent malheureusement la situation survenue il y a quelques temps autour de Charlie Hebdo, le scandaleux hebdomadaire français. On cherchait alors à nous placer devant un dilemme: êtes-vous pour Charlie ou pour les terroristes qui ont abattu les membres de la rédaction du journal ? Aujourd’hui, on tente de nous placer devant le même choix: soutenir Matilda ou être avec ceux qui appellent à incendier les cinémas».

Le métropolite Hilarion, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou affirme se prononcer «inconditionnellement et catégoriquement contre tout appel à la violence, toute menace à l’encontre de qui que ce soit, le réalisateur, les acteurs, les directeurs de salles, etc. Je me prononce aussi contre l’interdiction du film, contre la renaissance de la censure sur le modèle soviétique. En même temps, je ne peux et ne veux aucunement être du côté de ceux qui défendent ce film».

Le film «crache publiquement» sur Nicolas II

«Beaucoup ne comprennent pas pourquoi il fallait, l’année du centenaire de la révolution, cracher une fois encore publiquement à la face d’un homme qui a été tué avec toute sa famille, avec ses enfants mineurs. La commémoration de la révolution est un prétexte à la prière, à la commémoration de tous les innocents qui ont souffert, et non pas l’occasion de continuer à cracher sur leur mémoire», poursuit le métropolite Hilarion. «J’ai donné mon avis pour avoir vu le film en entier, et pas seulement la bande annonce. Mon avis a vexé le réalisateur, qui m’avait invité, mais je n’ai pas pu aller contre ma conscience. Pas plus que je n’ai pu me taire».

«Je ne parle même pas du fait que, pour l’Eglise, le souverain empereur Nicolas II est un saint, canonisé pour sa patience dans les épreuves. L’impératrice Alexandra Feodorovna, présentée dans le film comme une sorcière hystérique, a aussi été canonisée. Au moins cent mille personnes se rassemblent tous les ans à Ekaterinbourg pour les ‘Journées du Tsar’, et durant cinq heures, nuitamment, elles s’avancent en procession du lieu de l’exécution au lieu supposé de leur inhumation».

Restaurer l’image du dernier tsar

Et le haut responsable du Patriarcat de Moscou d’espérer «qu’en cette année du centenaire des tragiques évènements qui ont causé la mort de millions de victimes de notre peuple, il se trouvera des metteurs en scène, des écrivains et des artistes capables de rendre à la mémoire du souverain assassiné l’hommage qu’elle mérite». (cath.ch/interfax/mospat/be)

 

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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