Voninho Benites détone dans le hall de l’hôtel genevois, avec sa coiffe de plumes multicolores. Il est fier de cet attribut qui l’identifie aux Kaiowas-Guaranis, un peuple du Mato Grosso du Sud, à la frontière de la Bolivie et du Paraguay. Avec la force de cette identité et la certitude que son combat est juste, il vient témoigner devant les Nations Unies des souffrances dont sont victimes les Guaranis et d’autres populations autochtones du Brésil.
Il est accompagné pour cela par Flavio Machado, un missionnaire laïc du CIMI, l’organisme de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) consacré à la défense des peuples autochtones. La commission, fondée il y a 45 ans, est forte de 400 missionnaires, clercs et laïcs confondus.
«Aucun pouvoir en place n’a jamais mis en œuvre la Constitution»
Les deux Brésiliens participent à la 36e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, consacrée aux peuples autochtones, qui se déroule à Genève du 11 au 29 septembre 2017. Ils entendent y faire pression sur le gouvernement du Brésil. Ce dernier doit répondre aux recommandations qui lui ont été adressées dans le cadre de l’Examen périodique universel, en mai dernier. Ce processus unique en son genre consiste à passer en revue, tous les cinq ans, les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans le domaine des droits humains.
Parmi les recommandations faites au Brésil par les autres pays, on trouve notamment celles «d’achever les processus de démarcation en cours, en particulier au bénéfice des indiens Guaranis-Kaiowas» (Norvège) ou encore de «veiller à ce que les peuples autochtones soient capables de défendre leur droit constitutionnel à leurs terres ancestrales sans aucune discrimination […]» (Slovaquie).
L’espoir de Flavio et de Voninho est que le gouvernement reconnaisse la situation du peuple guarani, qu’il admette ses erreurs et change d’orientation politique.
Les deux hommes sont toutefois pessimistes par rapport aux chances de concrétisation des injonctions présentes dans l’Examen périodique universel. «Tous les gouvernements du Brésil, depuis des décennies, qu’ils soient de droite ou de gauche, appliquent toujours à peu près la même politique en la matière», déplore-t-il. Aucun pouvoir en place n’a en fait jamais eu la volonté de mettre en œuvre la clause constitutionnelle qui affirme les droits fonciers des près de 800’000 indigènes vivant au Brésil.
Voninho assure que ce problème de territorialité est au cœur des souffrances de ces populations. Il touche principalement les Indiens Guaranis du Mato Grosso du Sud.
«Les indigènes ne reçoivent aucune protection des forces de l’ordre»
Lors de la Guerre de la Triple alliance (1864-1870), qui a opposé le Brésil au Paraguay, les autorités de ce premier pays ont profité des hostilités pour expulser les Guaranis de leurs terres et les parquer dans des réserves exiguës. Le gouvernement a accaparé ensuite les terrains et les a donnés aux agriculteurs brésiliens, dans un processus que les deux activistes qualifient de «colonisateur». Actuellement, les terres ancestrales des Guaranis sont exploitées à large échelle par les grands propriétaires et les compagnies agricoles. Ce n’est que dans les années 1970 que les peuples indigènes se sont mobilisés en associations pour défendre leurs droits et récupérer leurs terres.
Leurs exigences se font d’autant plus pressantes que les réserves, où vivent environ 90’000 personnes, sont aujourd’hui surpeuplées et que les problèmes sociaux atteignent des proportions inquiétantes. Ces territoires sont en effet gangrenés par la violence et le taux de suicide y est dramatique. La dénutrition et les épidémies y font également des ravages.
A cause de cela, des familles décident de partir et de revenir sur les terres de leurs ancêtres. Mais leur retour provoque très souvent des conflits avec les agriculteurs locaux. Les entreprises d’agrobusiness ont formé des milices qui intimident et parfois assassinent les autochtones. Comme leur installation est considérée illégale, et à cause du racisme ambiant, ils ne reçoivent pratiquement aucune protection de la part des forces de l’ordre.
Des territoires ont pourtant été restitués aux indigènes au cours des dernières décennies. 400 zones sur 1000 ont déjà été démarquées à leur profit. Flavio Machado précise cependant que plus de 90% de celles-ci se situent en Amazonie, en zone de forêt dense. Elles sont donc incultivables. Les terres prises dans le Mato Grosso du Sud, très fertiles, restent, elles, majoritairement en mains des représentants de l’agrobusiness. Ces derniers ont de très puissants lobbies qui font leur possible pour bloquer toute avancée du gouvernement dans la restitution des terres.
A cause de la non-reconnaissance de leurs terres, les indiens subissent également le manque d’investissement des pouvoirs publics au niveau des infrastructures. Ils bénéficient d’un accès à l’éducation, à la santé et aux autres services communautaires beaucoup plus faible que dans le reste du Brésil. Les indigènes sont également discriminés au niveau de leur citoyenneté. Beaucoup d’enfants non intégrés dans les registres publics sont de fait apatrides.
L’administration actuelle, menée par Michel Temer, ne donne pas vraiment d’espoir à Flavio et Voninho. Ils remarquent que le nouveau président, arrivé au pouvoir après un «coup d’Etat parlementaire», a souffert dès le début d’un déficit de légitimité. Il s’est donc assuré le soutien des grands groupes économiques dont les géants des industries minières et agroalimentaires. En conséquence, sa politique leur est largement favorable.
Flavio note à cet égard que le président a récemment ouvert par décret à l’exploitation minière une large réserve naturelle où vivent de nombreuses tribus indigènes. Le décret a toutefois été déclaré anticonstitutionnel et suspendu par un tribunal. Les deux militants des droits de l’homme n’y voient cependant pas directement un signe d’espoir. Pour Flavio, le tribunal a juste cédé à la pression exercée par la société civile. Les évêques brésiliens s’étaient notamment publiquement insurgés contre ce projet.
Si les deux représentants du CIMI ne mettent aucun espoir dans les institutions du pays, ils estiment que la pression toujours plus forte, à l’intérieur comme à l’extérieur du Brésil, peut cependant faire bouger les choses. Sur le plan intérieur, ils soulignent le rôle prépondérant de l’Eglise, notamment des évêques, pour sensibiliser les catholiques du pays, qui représentent la majorité de la population.
Flavio et Voninho se réjouissent également du pontificat de François, particulièrement actif dans la défense des droits des peuples indigènes. Le cardinal brésilien Erwin Kräutler, ancien président du CIMI, a d’ailleurs été l’une des chevilles ouvrières de l’encyclique Laudato Si’, qui appelle à la préservation des cultures ancestrales.
«Il est essentiel de maintenir la pression sur le gouvernement»
Ils voient aussi d’un bon œil l’idée d’un synode des évêques sur la protection de l’Amazonie, qui aurait été évoquée par le pape lui-même. Pour les activistes, les efforts et le soutien des œuvres d’entraide catholiques étrangères est également essentiel. Ils mentionnent entre autres l’organisation suisse Action de Carême, qui apporte une aide financière au CIMI dans certaines régions du Brésil. Ces ONG assurent aussi un lobbying efficace dans les instances internationales.
Les militants du Conseil indigéniste sont en fin de compte persuadés que le changement ne peut venir que du «bas». Ils relèvent en ce sens que les revendications des indigènes sont de mieux en mieux perçues au sein de la population brésilienne. Ils déplorent néanmoins que, dans les zones conflictuelles du pays, où la cohabitation entre communautés est forcée, les préjugés et la discrimination perdurent. Afin de conscientiser davantage les Brésiliens, il est essentiel, selon eux, que la pression internationale soit maintenue sur le gouvernement.
A Genève, c’est en arborant fièrement ses plumes que Voninho rappellera les souffrances de son peuple et tentera d’écrire une page plus lumineuse de son histoire. (cath.ch/rz)
Le Saint-Siège intercède pour les peuples indigènes à l’ONU
Mgr Ivan Jurkovic, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’Onu à Genève, a appelé le 20 septembre à respecter les droits et les cultures des populations indigènes, rapporte Radio Vatican. Le diplomate est intervenu dans le cadre de la 36e session du Conseil des droits de l’homme, consacrée aux populations indigènes.
«Tous doivent être acteurs de leur propre destin, a souligné Mgr Jurkovic. Le développement humain intégral et le plein exercice de la dignité humaine ne peuvent pas être imposés, mais chaque individu, chaque famille doit avoir la possibilité de se développer.» Le concept de qualité de vie, a-t-il rappelé en citant le pape François, «ne peut pas être imposé de l’extérieur, mais doit être associé avec les coutumes propres de chaque groupe humain».
Mgr Jurkovic a mis en évidence comment «le Saint-Siège promeut la recherche de collaboration avec les populations indigènes», à travers, par exemple, «la compilation de livres de grammaire et de traduction dans des langues souvent en risque d’extinction», et le soutien «dans la défense de leurs droits culturels, sociaux, politiques et économiques».
Les indigènes, partenaires principaux du dialogue
Les communautés indigènes «ne sont pas seulement une minorité parmi les autres, mais devraient être le partenaire principal du dialogue quand sont proposés de grands projets qui concernent leur terre d’origine», a insisté le diplomate. Dans cette optique, l’observateur permanent a rappelé la position du Saint-Siège concernant notamment les projets d’extraction impliquant des multinationales: «un dialogue véritable, transparent et franc doit être établi entre toutes les parties concernées, afin d’obtenir leur accord libre, préventif et informé».
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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