La petite Eglise catholique birmane, que le pape François visitera fin novembre prochain, regroupe 800’000 fidèles, soit 6,2 % de la population birmane, en grande majorité bouddhiste. Au cours des derniers mois, le pape François s’est exprimé à plusieurs reprises sur le drame que vivent les musulmans rohingyas, persécutés par le pouvoir birman.
Dans la perspective du prochain voyage du pape François en ex-Birmanie (Myanmar) et au Bangladesh, du 28 novembre au 2 décembre 2017, le cardinal Charles Bo, archevêque de la capitale birmane Rangoun, a demandé à tout le pays de prier pour se préparer «spirituellement» à cette visite, rapporte Radio Vatican le 11 septembre.
Près du tiers de la population rohingya de Birmanie a déjà trouvé refuge au Bangladesh et se trouve dans un total dénuement. Les Nations Unies parlent d’un «nettoyage ethnique» visant cette communauté, qui fuit les opérations de l’armée birmane, après qu’une organisation armée rohingya, l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ASRA) ait attaqué, le 25 août dernier, plusieurs dizaines de postes de police. Au Myanmar (ex-Birmanie), les Rohingyas sont considérés comme des migrants illégaux désignés par le terme «Bengalis».
Selon les Rohingyas arrivés au Bangladesh, d’innombrables autres personnes sont encore piégées au Myanmar et essaient de fuir ou de se frayer un chemin à travers un terrain difficile pour atteindre la frontière avec le Bangladesh, note le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Des milliers de réfugiés nouvellement arrivés au Bangladesh sont massés sur la route menant des zones frontalières vers Ukhiya, la plus grande ville à proximité. Nombreux sont assis dehors sur le bord de la route, à côté des quelques affaires qu’ils ont réussi à emporter avec eux lors de leur fuite pour sauver leur vie.
«Il faut construire un avenir de paix et de justice, basé sur le respect des droits humains, affirme Mgr Alexander Pyone Cho, évêque de Pyay, diocèse de l’ouest du Myanmar. Mais il faut d’abord travailler au rétablissement de la sécurité pour tous. Cela est essentiel», confie-t-il à L’Osservatore Romano.
Interrogé par le quotidien du Vatican, l’évêque birman tient à souligner que la question des Rohingyas est un «thème très sensible» et que la situation est très critique. «Il faut la résoudre au plus vite», déclare-t-il en commentant les affrontements entre l’armée et la minorité musulmane des Rohingyas qui ont déjà fait des centaines de morts au cours de dernières semaines.
«Il y a certainement une persécution des militaires contre les Rohingyas, affirme l’évêque. Cependant, il est également vrai que les groupes extrémistes musulmans continuent à attaquer, créant encore plus d’insécurité et de violence (…) Nous demandons que les deux côtés fassent preuve d’humanité, les militaires et les guérilleros Rohingyas«, déclare Mgr Alexander Pyone Cho.
«L’Eglise locale s’efforce d’apporter rapidement réconfort et assistance à toutes les populations discriminées, malgré les difficultés que pose cette situation. Mais bien entendu, nous avons besoin de plus de temps pour organiser les aides», explique-t-il.
L’exclusion de la minorité des Rohingyas de la vie publique – le gouvernement birman les considère comme des étrangers, des Bengalis de confession musulmane – remonte à loin dans le temps. La discrimination existait avant même la domination coloniale britannique dans la région.
La ministre birmane des Affaires étrangères, conseillère spéciale de l’Etat Aung San Suu Kyi met en cause l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ASRA), note Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP). Il s’agit d’une formation extrémiste, selon les autorités militaires, née récemment et qui revendique des liens avec le groupe Etat islamique (EI ou Daech).
La lauréate du Prix Nobel de la paix 1991, secrétaire générale de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) – un parti qui s’est opposé à la dictature militaire – est sortie de son long mutisme. Cette «icône de la démocratie» a dénoncé au début du mois de septembre un «iceberg de désinformation» dans la crise qui affecte cette minorité musulmane, accusant la communauté internationale et les médias étrangers d’avoir un «parti pris pro-rohingya«.
Dans la région de l’Arakan, où l’armée birmane affirme combattre les rebelles de l’ASRA, peu de suspects – une cinquantaine – auraient été arrêtés. L’armée n’a pas saisi d’importantes quantités d’armes. Mais les victimes de ses opérations sont extrêmement nombreuses: entre 400 et 1’000 morts selon les sources. Les militaires affirment rechercher les assaillants de l’ASRA, qui ont fait une quinzaine de morts le 25 août dernier au sein des forces de l’ordre birmanes. Ces assauts coordonnés avaient été menés par une organisation considérée comme terroriste par le gouvernement birman, et encore inconnue il y a un an. La plupart des organisations musulmanes de Birmanie ont condamné ces violences.
L’ASRA a annoncé le 10 septembre un cessez-le-feu temporaire, d’une durée d’un mois, «pour permettre aux acteurs humanitaires d’analyser et de répondre à la crise». Le gouvernement a refusé au motif qu’il «ne négociait pas avec des terroristes», a déclaré Zaw Htay, son porte-parole.
Au Bangladesh, l’aide humanitaire manque cruellement. Les Nations-Unies ont besoin de plus de 70 millions de dollars pour gérer la crise humanitaire. Pour le moment, les réfugiés s’entassent aux abords du camp de fortune de Kutupalong, formé de piètres abris érigés par des réfugiés lors de précédentes vagues de migration.
Depuis le 25 août dernier, près d’un tiers des musulmans de l’Arakan ont été chassés. Les violences actuelles rappellent celles perpétrées d’octobre 2016 à janvier 2017, lorsque l’armée birmane avait mené une campagne de représailles contre les Rohingyas après l’attaque de trois postes de police par des insurgés musulmans. Près de 70’000 Rohingyas avaient déjà dû fuir. Les Nations-Unies avaient évoqué la possibilité de crimes contre l’humanité.
La grande majorité des Rohingyas sont apatrides et le gouvernement birman leur a retiré leurs papiers d’identité provisoires quelques mois avant les élections de novembre 2015. Il leur a ainsi ôté toute possibilité de prouver leur origine, rendant leur retour en Birmanie plus qu’hypothétique.
La lauréate du Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi, qui dirige de fait le gouvernement birman, ne s’est pas émue du sort de ceux qui souffrent dans l’Arakan. Les pays d’Asie du Sud-Est semblent d’ailleurs ne plus faire confiance à la dirigeante birmane, note EdA. La Malaisie a indiqué qu’elle ne fermerait pas sa frontière aux Rohingyas qui fuiraient par la mer et le Bangladesh a choisi de demander l’aide des pays de l’Organisation de coopération islamique pour faire pression sur la Birmanie afin de résoudre la crise. Deux lauréats du Prix Nobel de la Paix, la Pakistanaise Malala Yousafzai et le Sud-Africain Desmond Tutu, ainsi que l’actuel Dalaï lama ont appelé Aung San Suu Kyi à réagir.
Face à cette situation tragique et tendue, l’Eglise de Birmanie promeut l’apaisement. En juin dernier, l’archevêque de Rangoun, le cardinal Charles Bo, avait réclamé une enquête indépendante sur les allégations de «nettoyage ethnique, crimes de guerre et crimes contre l’humanité» commis dans l’Etat de l’Arakan, mais aussi dans les régions shan et kachin, également en proie à des insurrections. Le cardinal s’est souvent fait le porte-parole des souffrances endurées par la minorité rohingya, n’hésitant pas à employer l’appellation ‘Rohingya‘, dont l’utilisation est décriée.
Aung San Suu Kyi, quant à elle, évite d’utiliser le terme ‘Rohingya‘, afin de ne pas créer davantage de tensions, dit-elle. Le pape François, de son côté, a employé à maintes reprises le mot tabou dans ses prières. Dimanche 27 août, le pape a encore déclaré qu’il suivait «les tristes nouvelles des persécutions religieuses de nos frères et sœurs rohingyas«, réclamant qu’ils puissent bénéficier de «tous les droits». (cath.ch/eda/radvat/unhcr/be)
Jacques Berset
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