«Après l’adoration, Mère Teresa nous attendait souvent pour nous dire quelques mots. Toujours cette même disponibilité et cette joie contagieuse», se rappelle Nicolas Buttet. Pour le fondateur de la communauté Eucharistein, personne ne pouvait sortir indemne de la rencontre avec la religieuse canonisée le 4 septembre 2016 par le pape François. «En un instant – un instant d’éternité -, nos étroitesses d’esprit éclatent, nos horizons bouchés prennent du champ, notre cœur se dilate», affirme le prêtre.
La première fois qu’il a vu Mère Teresa, il a été surpris par sa façon de prier. Elle parvenait à se recueillir dans une chapelle donnant sur une rue extrêmement bruyante. Elle se faisait de surcroît constamment déranger par des personnes requérant sa présence. «Avec le même sourire, la même disponibilité, elle sortait de la chapelle après s’être prosternée jusqu’au sol. Elle revenait quelques instants plus tard, saluant le Seigneur avec la même prosternation». Nicolas Buttet avoue n’avoir pas compris comment la religieuse pouvait tolérer ces dérangements. Il saisit plus tard que «la vie intérieure, pour qui est établi en Dieu, n’est pas ébranlée par les circonstances extérieures». Ce qui fait dire au prêtre qu’elle ne priait pas, mais qu’elle «était prière».
Une force spirituelle dont le Valaisan a été témoin à plusieurs reprises. Cela lui donnait une joie imperturbable face aux tempêtes de la vie.
Un jour, un homme horriblement affecté par la lèpre fut ainsi amené au mouroir de Khaligat. «Son corps n’était que plaie et dégageait une forte odeur. Nous avions tous un haut-le-cœur», se souvient Nicolas Buttet. Lorsque la fondatrice des missionnaires de la Charité le vit, elle le prit cependant immédiatement dans ses bras. «Il n’y avait que cette personne au monde qui comptait pour elle à ce moment».
«Elle ne négligeait ainsi pas les plus petits détails de la vie quotidienne»
La religieuse d’origine albanaise née en 1910 a toujours fait preuve d’une abnégation et d’un courage exceptionnels. Elle avait quitté sa congrégation en 1948 pour se consacrer exclusivement au service des plus pauvres, des enfants des rues et des mourants. En 1982, en pleine guerre civile libanaise, elle n’hésita pas à traverser la ligne de démarcation, à Beyrouth, pour aller chercher des enfants handicapés de l’autre côté de la ville, bravant les échanges de tir.
Ce don de soi, ce souci de l’autre était cependant accompagné d’un «vrai réalisme spirituel qui va jusqu’au bout de l’incarnation», souligne Nicolas Buttet. Elle ne négligeait ainsi pas les plus petits détails de la vie quotidienne. Elle s’inquiétait par exemple de savoir s’il y avait assez de thé et de pain pour le petit-déjeuner.
Pour la fondatrice de la congrégation des Missionnaires de la Charité, cette dernière vertu n’était ainsi «pas un mouvement émotionnel, mais un mouvement ferme et déterminé de la volonté; une immuable résolution à préférer l’autre et son bien à soi-même». Ainsi, le prêtre valaisan se souvient que la sainte avait un jour réprimandé un volontaire qui avait donné de l’argent à un enfant. Elle lui avait expliqué que ce geste, bien que motivé par une bonne intention, contribuait à maintenir cet enfant dans l’illusion de l’argent facile et dans une certaine paresse. «Elle venait de montrer en acte la différence entre la sincérité et la vérité».
Ces comportements simples, prompts, déterminés et sans mièvrerie étaient pour le fondateur d’Eucharistein «la manifestation progressive de ce que je considère comme le trait le plus caractéristique de Mère Teresa: son extraordinaire liberté intérieure». Cette liberté lui permettait de dire des choses d’une manière franche et directe, que certains auraient même pu trouver irrévérencieuses. Elle racontait un rêve qu’elle avait fait: étant morte, elle se présentait devant saint Pierre. Ce dernier lui demandant son métier, elle répondit: «servir les pauvres dans les bidonvilles». Saint Pierre lui dit alors: «Mais ce métier n’est pas sur ma liste!» «Et bien tu verras si c’est pas un métier! Je vais remplir ton ciel des gens des bidonvilles!», lui répondit la religieuse, décédée le 5 septembre 2017.
«Elle avait l’âme toute entière aspirée là où Dieu demeure»
Et, paradoxalement, la note la plus claire et la plus juste de cette liberté intérieure est encore celle de l’obéissance fidèle et humble à l’Eglise et à son magistère, estime Nicolas Buttet.
Avec Mère Teresa, il explique s’être senti en présence «d’un de ces êtres établis dans la véritable enfance spirituelle». Pour le prêtre, on peut reconnaître ces personnes au fait qu’ils ont «les pieds sur la terre, la tête sur les épaules, mais l’âme toute entière tournée, aspirée là où Dieu demeure […]».
Le premier séjour de Nicolas Buttet à Calcutta s’est déroulé à Noël 1987. Il y est retourné 17 fois pour des séjours de 3 à 5 semaines, soit tous les ans jusqu’en 2000, puis plus sporadiquement depuis. Il y retournera mi-septembre 2017 pour une semaine d’enseignement au conseil de la congrégation et à toutes les formatrices des différentes régions. (cath.ch/rz)
Les Missionnaires de la Charité
Mère Teresa fonda la congrégation des Missionnaires de la Charité à Calcutta, en 1950. Principalement consacrées aux pauvres, les religieuses de la Congrégation sont spécialisées dans le soutien aux malades et aux enfants abandonnés. Dès 1952, les sœurs ouvrent le mouroir de Kalighat pour prendre en charge les mourants les plus démunis de Calcutta.
En 1963, un ordre masculin est créé: les Frères missionnaires de la Charité.
Les membres de la congrégation, outre les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, prononcent un quatrième vœu: celui de se vouer au service des plus pauvres d’entre les pauvres, de ceux qui ne peuvent les dédommager de leur peine, dont on n’attend rien en retour.
Les Missionnaires de la Charité sont près de 5000 dans le monde, actives dans 132 pays. En Suisse, elles sont présentes à Lausanne et Zurich.
Sa nuit spirituelle: être pauvre parmi les pauvres
Mère Teresa a toujours farouchement refusé de parler dans les médias de sa vie personnelle. Elle voulait que l’attention de ses auditeurs se porte vers Jésus et non pas vers elle. Ce n’est qu’en 2008, plus de dix ans après sa mort, que la correspondance de «la sainte de Calcutta»a été publiée en français. Ces lettres présentent le portrait intime d’une authentique mystique dont la vie brûlait du feu de la charité et dont le coeur fut mis à l’épreuve et purifié par une terrible nuit de la foi.
Mère Teresa a vécu l’obscurité et l’abandon comme un appel à partager au plus près la grande pauvreté de notre temps: la déréliction intérieure et le sentiment de solitude, expliquait alors le Père Brian Kolodiejchuk, postulateur de la cause de canonisation.
Sa nuit de la foi a essentiellement commencé à la tourmenter quand elle a fondé sa congrégation et démarré sa mission auprès des plus pauvres. En 1946 et 1947, elle a vécu une profonde union avec Jésus. Par contraste, elle a ressenti ensuite son obscurité intérieure comme un sentiment de perte et l’impression de ne pas être aimée, d’être même rejetée dans une solitude d’autant plus crucifiante qu’elle avait un désir très intense de Jésus. C’est le paradoxe de sa vie spirituelle: une union profonde au Christ vécue à travers l’expérience si douloureuse, et même héroïque, de la séparation.
Pour le Père Brian, qui a côtoyé pendant vingt ans la sainte de Calcutta, il s’agissait pour elle de prendre une petite part de l’agonie de Jésus. Et d’être pauvre parmi les pauvres. Au plan matériel, certes, mais plus encore au plan du dénuement psychologique et spirituel.
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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