En avril 2016, Benjamin Roduit est recteur du collège des Creusets, à Sion et son épouse Anne institutrice à Saillon (VS), où ils résident. Rien n’est planifié. Outre son poste au collège, il a de nombreux engagements. Le scrutin des élections fédérales de 2015 l’a placé en premier des «viennent ensuite» au Conseil national, sous l’étiquette PDC Valais romand. Elle ne se voit pas du tout partir, ne serait-ce qu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne. Sa maman est malade, il faut s’occuper de la maison, de la famille. Une discussion à priori banale, les projette néanmoins pour une année autour du monde dans un déplacement autant spirituel que physique. Un véritable itinéraire dans la foi.
Une conversation avec le cousin de Benjamin, le chanoine Gilles Roduit, sera en effet le déclic. Le religieux est engagé en Haïti avec les Sœurs missionnaires de la Charité. Il s’y rend chaque année pour aider. «Alors, tu nous emmènes?» Demande Benjamin, goguenard. «Pourquoi pas, je pars en novembre», répond du tac au tac le cousin. La réplique anodine le touche. Il en discute avec sa femme. «Avec le recul, nos emplois du temps bien remplis, nos nombreux engagements: c’était un appel. Nous ne pensions pas une seconde à partir. Il y a toujours une bonne raison pour ne pas partir», sourit aujourd’hui Benjamin. Anne acquiesce.
Comme une sorte de confirmation, les événements qui s’enchaînent facilitent la préparation accélérée du départ pour cette «année différente». Le chanoine leur a conseillé, avant de venir en Haïti, de marcher jusqu’à Compostelle, «une démarche spirituelle pour se dépouiller et se préparer». Le 3 septembre 2016, ils prennent la route.
«En dix jours, on passe de randonneurs à pèlerins», explique Anne. A la préoccupation constante de trouver le gîte et le couvert pour le soir, succède l’ouverture à la surprise et à la Providence… Rude conversion pour cette maman attentionnée et si soucieuse du quotidien. Elle raconte la tendinite dès le premier jour de marche: «il est sportif, pas moi». En marchant on a le temps de prier, fait-elle remarquer. «J’ai confié beaucoup de chose au Seigneur».
Les engueulades, les kilomètres parcourus à une bonne distance l’un de l’autre. «24 heures sur 24 ensemble, c’était nouveau. Une véritable école de vie: on s’est adapté l’un à l’autre, on s’est attendu, on a pris soin de l’autre». Pas d’échappatoire pour éviter un conflit ou remettre une discussion à plus tard. Le blog tenu tout au long de leur «année différente» et dont ils discutaient les articles, les a soudés.
Des anecdotes, ils en viennent vite à ces rencontres qui les amènent à l’essentiel. «Tu rencontres vraiment l’autre quand tu grattes le vernis, quand tu vas au-delà des apparences». Il en fut ainsi avec Ludo, ce pèlerin bavard et si exaspérant de prime abord. Ne souhaitant surtout plus le rencontrer, les Roduit retombent sur lui trois jours plus tard, «par hasard, mais était-ce le hasard?» Ils l’écoutent. Le fanfaron révèle une vie dans laquelle il se débat entre le handicap de proches et une situation précaire. «Nous avons été là pour lui», souffle-t-elle. «Parfois une écoute attentive vaut plus qu’une décision en conseil d’administration», ajoute Benjamin. Ils évoquent l’humilité nécessaire à la rencontre et le regard sur l’autre qui doit changer.
Sorti de son quotidien, le couple s’est fait bousculer par ces rencontres, les plus émouvantes comme les plus belles. Eux aussi se sont racontés aux autres, ils se sont ouverts. «Cela a été très positif pour nous deux», assure Anne. Malgré ce que laissent penser les récits et les anecdotes qu’il partage, le couple n’est pas dans la démonstration. Tous deux veulent témoigner.
Le plus difficile reste à venir. Début novembre 2016, ils s’envolent en compagnie de Gilles Roduit pour Haïti. Ils passeront six semaines dans un dispensaire tenu par les Sœurs de la Charité dans le quartier de Carrefour, dans la banlieue de Port-au-Prince. Lui est commis d’office aux soins et à la toilette des malades. Elle assistera les sœurs dans leurs tâches administratives. Ils distribuent les médicaments et de la nourriture à 500 familles.
«La foi aide à supporter l’insupportable». Il nettoie et panse les plaies du mieux qu’il peut. Il surveille les malades, essaye d’échanger avec eux. La misère est sans fin. On pousse dehors ceux qui vont un peu moins mal pour faire de la place à d’autres. Benjamin et Anne font l’expérience de l’impuissance.
Lui est marqué par le décès, sous ses yeux, de Franzy, 13 ans. «Une vie si fragile qui fout le camp, comme ça». Il évoque la mère qui hurle dans le couloir, les infirmiers qui arrivent, posent le corps sur le brancard et l’emmènent à la morgue sans autre cérémonie. «Quand tu assistes à une telle scène, c’est à se demander si la vie a un sens. Camus aurait de la matière pour parler de l’absurdité!»
La foi aide à supporter l’insupportable
«Alors oui, tu es content quand sonne l’heure de la prière». Ce moment est devenu une respiration indispensable dans la journée. «Tu te poses devant Jésus». A la fin du séjour, le couple prie au même rythme que les sœurs. Il souligne l’espérance dont font preuve les Haïtiens. Il cite cet homme handicapé qui rend grâce à Dieu de lui avoir laissé la vie lors du tremblement de terre qui a ravagé le pays en 2010. Il n’y a pas de fatalisme.
Le couple enchaîne par deux mois et demi de bénévolat à l’hospice du Grand Saint-Bernard. Les chambres à préparer, les WC à nettoyer, la vaisselle, l’accueil, etc. Ils continuent leur service, cette fois-ci «en terrain connu».
Le quatrième projet aurait dû les conduire en République démocratique du Congo (RDC), dans la province du Kasaï. Ils devaient participer à la mission du chanoine Guy Luisier. Mais la situation s’est dégradée à un tel point, entre l’automne 2016 et le printemps 2017, que la sécurité des époux n’aurait pas pu être assurée. Ils renoncent à la RDC qui s’enfonce dans la guerre civile. Un coup de fil passé à la hâte à un ami de Genève leur donne l’opportunité de partir au Bénin. Début mai, les Valaisans partent donner un coup de main à la Fondation «Vie pour tous», qui œuvre notamment à la formation et à l’éducation en milieu rural, créée en 2005 par le Père Théodore Soume.
«Moi qui n’était pas sûr de reprendre un poste dans l’enseignement, ce projet m’a ramené à ma vocation première. Un clin d’œil du Bon Dieu», sourit Benjamin. Il n’y voit pas de coïncidence, si heureuse soit-elle. «Ce travail au Bénin avait du sens pour nous, nous avons répondu à un appel». Durant leur séjour africain, ils forment une vingtaine de professeurs dans les centres de la fondation. Avec des cours théoriques le matin et de la pratique l’après-midi. «Nous avons semé. Est-ce que le grain germera? Ce n’est pas de notre ressort. Il faut faire confiance».
Revenu en Suisse, même s’il en avait la possibilité, Benjamin n’a pas repris son poste de recteur du collège. Il a opté pour plusieurs engagements, dont un comme enseignant à 50%. Là où tout était maîtrisé, calculé, il évoque «une disponibilité à ce qui se présente». Il dit ne pas être installé et prendra le temps de considérer une éventuelle suite à sa carrière politique, à partir de 2019. Il envisage peut-être un engagement en Eglise, pourquoi pas? Tout est ouvert: «il y a une échelle à côté de l’escalier que l’on gravit pour aller toujours plus haut. Et qui sait où elle pourra me mener?»
«Nous n’avons pas radicalement changé. Nous avons repris le rythme de la vie quotidienne, ajoute Anne, mais profondément, quelque chose est ancré». Je suis plus dans l'»être» que le «faire». Ces voyages lui ont appris à être «petite et dans le moment présent». Le déplacement a été intérieur. Inlassablement, ils veulent témoigner de l’espérance et de la dignité des enfants d’Haïti, des visages magnifiques croisés en chemin vers Saint-Jacques-de-Compostelle, du courage des enseignants du Bénin, de la quête des pèlerins du Grand-Saint-Bernard. Leur voyage continue. (cath.ch/bh)
Bernard Hallet
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