L’Association catholique suisse pour la presse (ACSP) fête le 9 septembre 2017, à Zoug, les cent ans de sa fondation. Véritable lobby des catholiques dans la société suisse, elle a suivi toutes les évolutions médiatiques et ecclésiales du XXe et du début du XXIe siècle. L’année 1917 marque aussi la création de l’agence de presse internationale catholique KIPA-APIC. Cath.ch revient sur ce passé et ouvre quelques perspectives d’avenir avec André Kolly, ancien directeur du Centre catholique de radio et télévision (CCRT) et président de Cath-Info.
Dans une brochure à paraître pour le centenaire de la Ligue catholique suisse pour la presse, André Kolly et d’autres auteurs retracent l’histoire de l’institution. Chargée de renforcer la voix catholique dans l’espace public suisse, la Ligue comptera jusqu’à 13’000 membres en 1967. Devenue aujourd’hui Association catholique suisse pour la presse, elle n’a pas abdiqué. André Kolly, qui a fait se premières armes journalistiques comme attaché de presse du Synode 72 des catholiques suisses, est une des meilleures mémoires de cette histoire.
Quelles sont les circonstances qui prévalent à la fondation du Schweizerischer Katholischer Presseverein (SKPV) ou en français la Ligue catholique suisse pour la presse?
André Kolly: En 1917, les catholiques expriment cette volonté de se fédérer. Ils se sentent minoritaires, opprimés par la Constitution fédérale, après la guerre du Sonderbund du milieu du XIXe siècle et le Kulturkampf des années 1870. Dans ce contexte et surtout en milieu de diaspora, comme à Zurich et en Argovie, on éprouve le besoin de faire exister l’idée catholique sur la scène publique.
La presse catholique existe pourtant en Suisse déjà depuis le 3e quart du XIXe siècle, une trentaine d’années plus tôt?
Effectivement, avec des journaux comme La Liberté, Le Pays, Le Courrier, etc., en Suisse romande. Pour la Suisse alémanique, il s’agit de renforcer les journaux catholiques et d’augmenter leur diffusion. Les statuts initiaux de la Ligue prévoient par exemple d’offrir gratuitement les journaux catholiques aux casernes. Une pratique qui perdure aujourd’hui. On désire que cette presse catholique pénètre le peuple, contre une presse radicale, socialiste, ‘sans-Dieu’, ou protestante qui perturbe les esprits et affaiblit la fidélité à l’Eglise.
L’Association est probablement l’une des rares dont on peut lire aujourd’hui chacun de ses cent rapports annuels numérisés sur internet.
C’est une source très intéressante. On y rencontre une série de personnages et une riche galerie de portraits. Ainsi l’abbé Marius Besson, qui deviendra plus tard évêque de Lausanne, Genève et Fribourg de 1920 à 1945, est le premier membre vaudois de la Ligue. Comme prêtre puis comme évêque, il jouera un rôle important dans la presse catholique en Suisse romande avec la création de l’Echo Romand et l’Echo Illustré à Genève. Il interviendra aussi à plusieurs reprises dans la crise du Courrier de Genève, tenté par les sirènes de Vichy. Le curé Cottier, de La Chaux-de-Fonds, qui a tellement marqué les esprits, en était aussi membre.
Parmi les personnages moins connus, on peut citer Josefine Steffen-Zehnder. Elle est la première femme à recevoir, à sa mort, un hommage avec une photo dans le rapport annuel de la Ligue en 1964. Cette bibliothécaire était aussi chroniqueuse pour divers journaux. Elle s’était en particulier distinguée par son opposition au suffrage féminin.
Pie XI: «pour sauver la presse catholique, je donnerais ma croix pectorale»
Dès le départ, les fondateurs ont voulu une Ligue suisse où toutes les régions linguistiques du pays soient représentées.
Au début les Romands et les Tessinois sont très peu nombreux. Fribourg et le Valais, situés à la frontière des langues, apportent un contingent assez important. Le développement du nombre des membres est fulgurant. A la fin de la première année, on en compte déjà plus de mille. Trois ans plus tard, on atteint 4’000 et on grimpera jusqu’à 13’000 dans les années 1960. La plupart sont de simples cotisants à 5 francs qui veulent que l’idée catholique soit présente dans l’espace public, par la voie de la presse. La fameuse parole du pape Pie XI disant: «pour sauver la presse catholique, je donnerais ma croix pectorale» est régulièrement citée. Cette histoire montre aussi que la Suisse catholique n’est pas isolée. On franchit aisément les frontières cantonales et nationales.
L’Université des catholiques suisses créée à Fribourg en 1889 est un lieu important de cette socialisation.
Plusieurs des membres éminents de la Ligue sont issus de la jeune Université de Fribourg. Membres des sociétés d’étudiants Zärhingia ou Sarinia, ils formeront aussi les bases du Parti conservateur catholique, qui deviendra bien plus tard le PDC. Ils sont dans les conseils d’administration des journaux catholiques comme le Vaterland, à Lucerne ou les Neue Zürcher Nachrichten (NZN), à Zurich.
«Il s’agit de diffuser la bonne parole»
Quels rôles la Ligue catholique suisse pour la presse se donne-t-elle?
La Ligue prend diverses initiatives pour soutenir la presse. Elle pose aussi des questions morales. Est-il par exemple admis de faire de la publicité pour des films dont la moralité serait douteuse? Elle établit un assez long règlement pour déterminer dans quelles conditions cela peut se faire. A un moment, elle lance une campagne romande pour lutter contre les «sans-Dieu», sans que je n’aie pu déterminer plus précisément en quoi cela consistait. Le mot ‘propagande’ est très fréquent. Dans un sens positif, il s’agit de diffuser la bonne parole par le colportage ou l’ouverture de bibliothèques dans les campagnes. Les foyers doivent posséder de bons livres. Pour les intellectuels, il faut s’attacher à leur faire connaître l’importance de la presse catholique. Un premier cours est créé dans ce sens à l’Université de Fribourg, bien avant même la fondation de l’Institut de journalisme.
1917 est aussi l’année de la création de l’agence de presse internationale catholique KIPA. Comment les deux institutions sont-elles liées?
Deux œuvres intéressent particulièrement la Ligue. L’agence de presse KIPA nouvellement fondée à Olten, qui reçoit 1’000 francs de subsides la première année, et nettement plus par la suite, et la Katholische Kirche Korrespondenz qui est le service de presse du Parti conservateur. Quand la KIPA sera vraiment en difficulté parce que les gens n’ont pas les moyens de payer un abonnement régulier, la Ligue la soutiendra avec une quête. Elle s’engage non seulement à l’organiser dans toutes les paroisses, mais également à obtenir pour cela la reconnaissance des évêques suisses. La Ligue répartit alors l’argent principalement en faveur de la KIPA.
L’idée d’avoir une agence de presse au service des catholiques suisses n’était pourtant pas nouvelle.
L’idée d’avoir un lieu où l’on fédère les informations catholiques existait déjà depuis pas mal d’années. Mais le fondateur Ferdinand Rüegg ne parvient à la mettre en œuvre qu’à la suite d’un parcours assez sinueux. Refusé comme séminariste à St-Gall, puis à Coire, parce qu’il voit mal de l’œil gauche, il obtient néanmoins la protection de l’évêque de Coire qui lui confie la rédaction du journal des jeunes catholiques et l’encourage dans son projet d’agence de presse. C’est ainsi qu’il lance, en 1917 à Olten, la Katholische internationale Presseagentur connue sous son sigle de KIPA. Comme la plupart des autres médias catholiques, la KIPA est fortement liée à la personnalité de son créateur Rüegg, puis de ses successeurs.
La KIPA aura plus tard un développement en Suisse romande.
L’idée de KIPA est si intéressante que l’abbé François Charrière, rédacteur ecclésiastique à La Liberté, avant de devenir évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, commence à traduire ou faire traduire des nouvelles qu’il met à disposition d’autres organes de presse à partir de 1944. C’est ainsi que naît le service francophone de la KIPA, mais il faudra attendre 1985 pour adopter la dénomination française d’Agence de presse internationale catholique APIC. Elle perdurera jusqu’en 2015, date de sa fusion avec le Centre catholique de radio et télévision (CCRT) et Catholink pour devenir Cath-Info.
«Dans les années 1960, les catholiques sortent du ghetto»
Le Concile Vatican II, de 1962 à 1965, est évidemment un événement majeur pour l’Eglise et pour les médias catholiques.
Le Concile est effectivement une période favorable pour la presse catholique. A la fois par l’ouverture de l’Eglise au monde et à l’œcuménisme et par la prise de conscience de son identité de peuple de Dieu. Les chaînes de télévision retransmettent en direct l’ouverture du Concile. La presse profane s’y intéresse. Les catholiques en Suisse, qui sont sortis du ghetto, sont dans une attitude moins défensive. Paradoxalement, cela prépare le déclin d’une association comme la Ligue. En 1967, après la fin du Concile elle atteint son apogée avec 13’000 membres. Ensuite elle déclinera inexorablement.
Dès les années 1970-1980, la situation de la presse catholique se détériore. Plusieurs journaux catholiques connaissent des difficultés financières.
En effet, plusieurs d’entre eux disparaissent comme la NZN. D’autres comme Le Pays, de Porrentruy, ou le Vaterland, de Lucerne, fusionneront avec leurs concurrents radicaux ou profanes. La série des journaux catholiques a aujourd’hui fondu. La Ligue n’a pas vraiment de solutions face à cette évolution inéluctable, mais elle fait néanmoins naître l’Association des éditeurs catholiques.
Un anniversaire est l’occasion d’évoquer le passé, mais aussi de regarder vers l’avenir.
Aujourd’hui à mes yeux, la question se concentre sur les problèmes économique et sur l’identité d’un journal avec sa région. Les journaux d’un parti ou d’une Eglise n’ont plus de chance de survivre. Certains journaux ont pris les bons virages, d’autres non. Que se passera-t-il dans 10 ou 20 ans? La Ligue a aussi perdu de son influence au moment où elle s’est dessaisie de la Quête pour les médias au profit de la Conférence des évêques suisses. Dans la mesure où elle a moins d’argent à attribuer, elle a moins de poids.
Certains commentateurs n’hésitent plus à parler de l’agonie des médias…
Nous sommes pleins d’interrogations. Nul ne sait pas ce que vont devenir les journaux papier. Idem pour l’audio-visuel. On ignore comment se situer dans la profusion des médias électroniques. La nouvelle génération n’a pas d’abonnement. L’évolution peut conduire à une indifférenciation totale, dans la masse d’informations sans signification, ou au repli sur soi. Nous sommes livrés pieds et poings liés aux grands trusts. Facebook décide pour toi, ce que tu vas voir. Cette planète numérique pose problème dans la mesure où nous n’avons plus la maîtrise. Peut-être que l’avenir est aux petits?
On se retrouve alors dans une situation analogue à celle de 1917, c’est-à-dire d’être l’expression d’une minorité dans une masse plus ou moins hostile ou indifférente.
Avec le danger du repli identitaire, voire hyper-identitaire. Dans la génération des années 1950-1970, la tendance est largement à l’ouverture, avec les protestants, avec le monde politique, culturel, associatif. Trois ans avant les débuts de la télévision, l’abbé Jacques Haas, fondateur du Centre catholique de radio et télévision CCRT, participait déjà à des émissions expérimentales avec les prêtres vaudois. Il ne faudrait pas que nos propres médias se replient sur eux-mêmes et ne s’intègrent plus dans la culture globale.
«Un catholique de Suisse romande a le devoir moral d’avoir cath.ch comme page favorite sur internet»
Dans ce sens, l’intégration des religions dans le service public radio et télévision, en Suisse romande et au Tessin, est importante.
Oui, nous avons une sorte d’imprégnation qui permet de rendre des services. Si nous ne sommes qu’en milieu catholique, la question est peut-être plus délicate. Cela pose aussi la question de savoir comment les jeunes journalistes sont formés à la vie de l’Eglise. J’aime raconter une anecdote vécue dans une radio locale. En 2005, au mois d’août, une nouvelle tombe: un Suisse a été tué en France, c’est un religieux. Va-t-on la traiter? Non, cela n’intéressera personne… sauf qu’il s’agissait de Frère Roger de Taizé et que son meurtre a suscité un émoi mondial. D’où l’importance de se faire connaître, d’être proches de nos collègues journalistes profanes.
Quel peut être encore demain le rôle des médias catholiques?
La crainte qui m’effraie le plus est de tomber dans une information totalement futile dans l’indifférenciation absolue par rapport aux enjeux du monde, aux droits de l’homme, à la justice, aux questions essentielles sur la vie. C’est peut-être face à cela que des lieux catholiques ou confessionnels doivent se développer. Pour moi, un bon catholique de Suisse romande, relié à internet, a un devoir moral d’avoir cath.ch comme page favorite. Il y trouvera des choses qu’il ne trouve pas ailleurs, des informations qui correspondent à des valeurs auxquelles il tient et qui l’encouragent dans ses engagements. Comme en 1917, nous devons faire de la ‘propagande’ et du colportage. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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