Katharina Büttiker veut interdire l’importation la viande halal et casher. La viande est selon elle obtenue à partir d’animaux maltraités: ils sont égorgés sans être au préalable endormis, explique-t-elle au quotidien zurichois Tagesanzeiger. Elle soutient en ce sens la motion du conseiller national Mathias Aebischer (PS/BE) adoptée en juin dernier par 97 voix contre 77. Le projet de loi va être examiné prochainement au Conseil des Etats.
«Je ne pense pas que l’issue du scrutin aurait été la même si les parlementaires avaient conscience que la proposition engloberait l’interdiction d’importer de la viande casher ou halal», analyse Sabine Simkovitch-Dreyfus, vice-présidente de la FSCI. Si elle a suivi «sans inquiétude particulière» les débats du Conseil national jusqu’au vote, elle se dit aujourd’hui soucieuse de la tournure qu’ont prise les événements.
La viande casher est entièrement importée et donc, «nous pensons qu’il s’agit d’une atteinte à la liberté religieuse et nous nous opposons à cette revendication», argumente Sabine Simkovitch. Elle évoque l’Art. 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme. «Je ne vois pas en quoi le fait d’importer de la viande casher porte atteinte à l’ordre public suisse».
Elle reconnaît toutefois que l’abattage n’est pas un acte «amical», mais que toutes les précautions sont prises pour que l’animal ne souffre pas: mesures d’hygiène, vérification de la santé de l’animal, pas de stress, choix de la lame et exécution précise du geste.
Dans sa motion, Mathias Aebischer souhaitait d’abord réglementer l’importation de viande en Suisse, notamment en ce qui concerne les normes de production afin de mettre les producteurs suisses sur un pied d’égalité avec leurs homologues étrangers. Conformément aux lois internationales, la Confédération devait aussi interdire l’importation de produits issus d’animaux maltraités tels que le foie gras, pour le gavage, les cuisses de grenouilles ou encore la fourrure.
Dans le débat du printemps, le Bernois n’avait pas mentionné dans son argumentaire de viande halal ou casher issue d’abattage rituel. La Suisse interdit l’abattage rituel des animaux puisqu’ils ne sont pas endormis avant d’être égorgés. Telle que formulée, la motion qui demande l’interdiction d’importation de produits d’animaux maltraités, concerne donc la viande halal importée et la viande casher. Un argument que la présidente de l’Alliance animale suisse n’a pas manqué d’invoquer.
«Mme Büttiker veut avant tout interdire la maltraitance des animaux. Je la rejoins sur ce point, tempère Pascal Gemperli, président de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM). Peut-être ne sait-elle pas que la viande halal produite dans le canton de Vaud répond strictement aux normes d’abattage en vigueur en Suisse». La viande halal que consomment les musulmans peut en effet être certifiée comme telle, même si l’animal a été étourdi au préalable. L’islam laisse une certaine marge de manœuvre. Le président de l’UVAM ne se prononce en revanche pas sur la viande halal importée.
«La question n’est pas seulement de savoir si l’animal a été égorgé. Il faut aussi assurer qu’il ait été traité avec respect». Selon Pascal Gemperli, le halal ne se résume pas seulement au geste d’égorgement. «Pour moi, un animal maltraité mais qui est abattu selon le rite n’est pas halal. Ce n’est pas la conception qu’a l’islam du respect des animaux, de la nature», indique-t-il. Il dit avoir évoqué le sujet au sein de l’UVAM et que cette manière de voir aurait un appui confortable au sein de la communauté.
«A présent, il ne nous a pas été nécessaire de prendre de décision formelle à ce sujet». La viande halal, élevée et abattue ici est déjà une réalité, la communauté musulmane n’est donc pas particulièrement concernée et, pragmatique, Pascal Gemperli y voit même l’occasion de promouvoir davantage la viande halal vaudoise.
Alain Berset avait invité les parlementaires à rejeter la motion présentée au mois de juin. Le conseiller fédéral se basait sur l’appartenance de la Suisse aux accords du GATT. «Dans ce cadre, nous avons des engagements. Il faudrait donc vérifier si l’interdiction demandée ne serait pas contraire à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et à l’Accord bilatéral avec l’Union européenne relatif aux échanges de produits agricoles», avait-il plaidé. Alain Berset a également pointé la mise en œuvre de structures très complexes et onéreuses pour contrôler d’éventuelles maltraitances d’animaux dont les produits étaient importés en Suisse.
Liberté religieuse et protection des animaux
La liberté religieuse n’autorise pas tout. Il faut savoir où sont les limites quand deux impératifs moraux mais contradictoires sont en jeu, explique Jean-François Mayer, directeur de l’Institut Religioscope.
«Ce qui me semble important est de voir le cœur du problème soulevé ici: la concurrence entre des impératifs moraux et des revendications de droits contradictoires. D’une part, le droit à la liberté religieuse et tout ce qui en découle; d’autre part, la protection des animaux. Tout dépend ensuite de l’importance que nous accordons – moralement, éthiquement – à ces différents éléments.
La question de la liberté religieuse est en jeu ici. Plus exactement, je dirais que, si la viande casher et halal était interdite en Suisse, cela n’entraverait pas l’exercice du culte des juifs ou musulmans pieux ainsi que l’expression de leurs croyances, mais les contraindrait de renoncer à l’alimentation carnée, ce qui signifie donc une chicane et une limitation par rapport à des préceptes dont le respect découle de leurs convictions.
Les limites de la liberté religieuse
Bien entendu, l’interdiction de l’abattage rituel crée déjà une chicane, mais la possibilité d’importer la viande casher ou halal permettait jusqu’à maintenant de contourner ces limitations. Cela compliquerait beaucoup la vie quotidienne et les habitudes culinaires des juifs et musulmans observant un strict respect des règles alimentaires. On admet que la liberté religieuse n’autorise pas tout. Mais la question est chaque fois de savoir où sont les limites. Et ces limites varient selon les contextes, les sensibilités, les époques…
Une mise en balance de différentes considérations, respectables les unes et les autres. Mais laquelle doit primer sur l’autre, quand les deux ne peuvent être respectées en même temps? Les débats autour de telles questions dans des sociétés sont passionnants. Bien entendu, dans les facteurs qui entrent en jeu, il n’y pas que des réflexions rationnelles, mais aussi des sentiments, des préférences, des préjugés, des émotions…» (cath.ch/bh)
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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