Si les carmélites du Pâquier s’intéressent beaucoup à l’histoire d’Edith Stein, c’est parce que la sainte était sur le point d’intégrer le carmel fribourgeois lorsqu’elle a été déportée à Auschwitz. Sa chambre était prête. Elle avait été préparée par une carmélite française, fille d’un officier. Cette dernière voyait dans le geste d’accueillir ainsi une consoeur allemande, un signe de paix entre les deux pays, précise Sœur Elisabeth.
Le projet de faire venir Edith Stein a cependant été contrarié par les démarches administratives. Celles-ci ont traîné au niveau de la Confédération. Le tout a été compliqué par le fait que la carmélite d’origine juive avait insisté pour prendre avec elle sa sœur, Rosa, qui était laïque. Le carmel ne pouvant pas accueillir de personnes laïques, il avait fallu chercher un hébergement ailleurs, ce qui avait retardé la procédure. Sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix avait alors bon espoir de prochainement venir en Suisse. Le carmel gruérien possède d’ailleurs une lettre dans laquelle elle remercie l’institution de l’accueillir.
Edith Stein se trouvait alors dans un couvent d’Echt, au Pays-Bas. «Elle n’avait pas réellement le désir de fuir, mais on lui avait conseillé de partir en Suisse pour sa sécurité», note Sœur Elisabeth. Elle ne verra cependant jamais la chambre qui lui avait été préparée.
En été 1942, les évêques néerlandais produisent en effet une lettre ouverte appelant les fidèles à s’opposer au nazisme. En représailles, les catholiques d’origine juive sont arrêtés et déportés à l’est, vers les camps d’extermination. Edith et Rosa en sont victimes. Toutes deux mourront dans les chambres à gaz d’Auschwitz, peu de temps après. Lorsque les soldats allemands sont venus les prendre, Edith a dit à sa sœur: «Allons pour notre peuple». «Car elle n’avait jamais renié ses racines juives», commente la religieuse du Pâquier. Elle explique que la carmélite s’est occupée jusqu’au bout des personnes qui l’accompagnaient vers la mort, principalement des enfants, avec compassion et humanité.
Sœur Elisabeth estime que le témoignage de Thérèse-Bénédicte de la Croix est plus que jamais d’actualité. «A l’heure où le sens fait défaut, elle a su donner un sens au mal». Dans une situation de souffrance et d’angoisse inouïe, elle a «fait confiance à Dieu jusqu’au bout», souligne la carmélite. «Edith Stein a rappelé que Dieu est finalement vainqueur du mal». D’ailleurs, une de ses citations les plus connues dit: «Le monde est fait de contradictions… Mais la finale ne sera pas faite de ces contradictions. Il ne restera que le grand amour». RZ
Carmélite, scientifique et militante
Edith Stein vient au monde dans une famille juive, le 12 octobre 1891, à Breslau, en Prusse, actuellement Wroclaw, à l’ouest de la Pologne . Malgré une éducation marquée par le judaïsme, elle s’éloigne résolument à l’âge de l’adolescence de toute croyance religieuse en même temps qu’elle quitte librement l’école pour un temps. Sa vive intelligence l’engage à rechercher la vérité avec les moyens nécessaires, note le Carmel de France sur son site internet. Elle reprend donc le lycée et va s’inscrire à l’université pour suivre les cours qui l’intéressent en psychologie et philosophie.
Edith Stein est l’une des rares femmes de son époque à fréquenter l’université. Elle sera la première d’Allemagne à recevoir un doctorat en philosophie avec sa thèse sur l’empathie. Elle devient élève puis assistante du philosophe Edmund Husserl, dont les travaux en phénoménologie la rendent attentive au phénomène religieux.
Quand la foi et la raison s’allient
La question de la foi en Dieu s’impose progressivement à elle quand elle voit une femme prier seule dans une église ou quand une de ses amies veuve traverse le deuil en puisant sa force dans sa foi. En 1921, la lecture de l’autobiographie de la carmélite Thérèse d’Avila la décide à demander le baptême dans l’Eglise catholique. Unissant ses compétences philosophiques à la lumière que lui donne la foi, Edith Stein se consacre pendant une dizaine d’années à l’enseignement. Son principal souci est de mettre en valeur une vision chrétienne de la personne humaine. Cet aspect de sa personnalité mérite également d’être rappelé, note Sœur Elisabeth du Pâquier. «Son travail, qui a conjugué philosophie et théologie, a montré que la science ne s’oppose pas à la foi».
Durant la période où elle enseigne, elle donne des conférences dans de nombreux pays, notamment en Suisse. Elle y défend entre autres les droits des femmes et l’importance de la famille. Elle milite aussi à cette époque au niveau politique, étant notamment membre de l’Association prussienne pour le vote des femmes.
Co-patronne de l’Europe
Pleinement lucide sur la signification de la montée du nazisme et interdite d’enseignement en raison de sa foi juive, elle entre au Carmel de Cologne en 1933 et y prend le nom de Thérèse Bénédicte de la Croix. Nouvelle rupture avec sa famille et surtout avec sa mère qui ne comprend pas son choix. Mais Edith poursuit son combat contre le mal qui se déchaîne dans le monde.
Incitée à quitter l’Allemagne, elle part pour le Carmel d’Echt en Hollande en 1938. Suite à une dénonciation des exactions nazies par les évêques hollandais, le pouvoir national-socialiste décide de déporter tous les chrétiens d’origine juive. Le 9 août 1942, Edith Stein meurt dans les chambres à gaz d’Auschwitz, à la fois victime de la Shoah et témoin du Christ.
Elle est canonisée par le pape Jean-Paul II le 11 octobre 1998 et proclamée co-patronne de l’Europe. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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