Les chanoines qui y vivent les ont utilisés durant plus de trois siècles pour assurer la sécurité du passage du col qui fait frontière entre le Valais et le Val d’Aoste, qui se déploie sur le versant italien.
Les saints-bernards, dont la taille peut atteindre 90 cm et le poids jusqu’à 100 kilos, ont marqué l’histoire de cet Hospice fondé en l’an 1045 par saint Bernard de Menthon, à 2473 m d’altitude, dans un environnement particulièrement hostile, où la neige est présente la majeure partie de l’année. Les chanoines y exercent toujours leur légendaire hospitalité envers les touristes et les pèlerins de la Via Francigena (*).
L’Hospice du Grand-Saint-Bernard se mire dans le lac qui s’étale à ses pieds (Photo: Jacques Berset)
Les grands chiens de montagne sont habituellement présents à l’Hospice de juin à octobre, période de l’ouverture du col. Première attraction des touristes qui s’y arrêtent, ils reviendront cette année le 14 juillet prochain repeupler le chenil de l’Hospice, en train d’être entièrement remis à neuf. Les saints-bernards ne sont cependant plus la propriété des chanoines: ils ont été vendus en 2005 à la Fondation Barry, à Martigny.
La Fondation porte le nom d’un héroïque chien de l’Hospice, du nom de Barry, qui aurait sauvé, entre 1800 et 1812, une quarantaine de voyageurs perdus dans la neige, dans le brouillard et le froid. Mais il faut d’emblée oublier l’image d’Epinal, celle du tonnelet de schnaps accroché au cou du chien sauveteur: c’est une légende romantique datant du XIXe siècle!
Quand il emprunte la route de 45 km qui monte au col, depuis Martigny, en passant par Orsières, Vichères-Liddes et Bourg-St-Pierre, le voyageur aperçoit à de nombreuses reprises l’image de Barry, «chien national suisse» depuis 1887, abondamment utilisée dans le «Pays du St-Bernard». Emblème de la région, le saint-bernard a son portrait sur les bus, sur les panneaux le long de la route, sur les hôtels, les maisons, sur les chocolats, les tisanes…
«Il y a un lien historique entre les chanoines et les saints-bernards, qui ont été élevés ici pendant plus de trois siècles, jusqu’à qu’ils soient repris par la Fondation Barry. L’élevage originel a vu le jour à l’Hospice, mais les chiens n’étaient déjà plus utilisés depuis des années pour l’accompagnement des voyageurs et le sauvetage en montagne, qui utilise des hélicoptères et des chiens plus légers», confie Jean-Michel Lonfat, prieur de l’Hospice depuis octobre dernier.
«L’élevage des chiens était devenu une charge trop lourde pour les chanoines, mais le lien avec le lieu d’origine du chien a été maintenu, avec la présence des chiens au col durant l’été».
Le chanoine Bernard Rausis, prieur de 1965 à 1977, était guide de montagne. Il fut le dernier de la congrégation à dresser les saints-bernards comme chiens d’avalanche. Malgré son attachement pour les chiens de l’Hospice, il avait fini par travailler avec un berger belge, plus léger et mieux adapté pour le sauvetage avec l’hélicoptère. Le chanoine Louis Lamon a été le dernier à superviser l’élevage des chiens au Grand-Saint-Bernard.
Dernier chanoine du Grand-Saint-Bernard à être curé du secteur pastoral de Lens, Chermignon, Montana et St-Maurice de Laques, faute de relève, le chanoine Lonfat a retrouvé l’Hospice il y a quatre ans. Cet amoureux de la montagne âgé de 62 ans est membre depuis 1979 de cette congrégation vivant selon la Règle de saint Augustin. Avant sa nomination comme prieur, il y exerçait la fonction de clavendier, gardien des clés.
Trois chanoines vivent dans la communauté – deux prêtres et un diacre – et une religieuse oblate, entourés par une équipe de laïcs. Tous consacrent leurs journées au travail, à la prière et à l’accueil des voyageurs venus de tous horizons.
«Notre communauté, qui possède le chenil et en paie la transformation pour le mettre aux normes actuelles de la protection des animaux, ne s’occupe plus des chiens. Ils sont soignés par les professionnels de la Fondation Barry. On les voit passer, mais ils ne nous appartiennent plus. Mais c’est sûr: on ne pourrait pas imaginer un été à l’Hospice sans les chiens!».
Le prieur, qui nous guide dans dédales de l’exposition «Barry & Cie – Chiens de l’hospice», ouverte depuis le 10 juin 2017, rappelle que, durant 650 ans, l’Hospice a exercé son activité hospitalière sans l’aide d’aucun chien. Ils n’apparaissent dans les archives qu’au début du XVIIIe siècle. Pierre Rouyer, qui a mis sur pied l’exposition estivale 2017, explique que dès lors que les chiens font irruption dans l’histoire, ils ne tardent pas à devenir de précieux auxiliaires, surtout en hiver, pour ouvrir chaque jour le chemin dans la neige.
Les chiens ont longtemps aidé à secourir voyageurs, soldats, marchands ou contrebandiers. Car les périls – avalanches, tempêtes, brigands – étaient nombreux sur cette dangereuse route de montagne fréquentée depuis la plus haute Antiquité. Avant la construction de l’Hospice, le chemin du col se déroulait sur 25 km sans lieu d’hébergement, entre Bourg-Saint-Pierre et Saint-Rhémy, sur le versant valdotain du Mont-Joux (Mont Jupiter), premier nom du Grand-Saint-Bernard. Les 40’000 soldats et les 5’000 chevaux du Premier consul Napoléon Bonaparte passant le col en mai 1800, en route pour la bataille de Marengo, ont éprouvé la difficulté du passage!
«Il y a un lien entre l’homme et l’animal, cela se sent ici, même si l’élevage des chiens à l’Hospice a pris fin, note le prieur. Il reste quelques confrères plus âgés qui ont eu un contact privilégiés avec les chiens. Mais la communauté actuelle n’a pas connu ce rapport intime avec les chiens».
La présence des animaux ne se résume pas aux chiens, présents que l’été, poursuit le chanoine Lonfat. «La montagne nous aide à entrer en relation avec la Création, et les animaux en font partie. Nous rencontrons davantage les chamois, les bouquetins, les marmottes, les renards. Ils viennent manger tout près de l’Hospice ou on les rencontre sur la route, tôt le matin, avant que n’arrive le flot des véhicules, ou le soir, quand tout redevient calme. Ils s’approchent davantage quand les chiens ne sont pas là, car ils sentent leur odeur et entendent leurs aboiements».
«L’encyclique du pape François Laudato sì nous invite à mieux prendre soin de notre maison commune, la Création. Les animaux en font partie, même s’il ne faut pas les mettre au même niveau que l’Homme!», conclut le prieur, avant de se rendre à l’office du milieu du jour. A l’entrée de l’Hospice, cette sentence rappelle la mission de ce refuge d’humanité: «Ici, le Christ est adoré et nourri». (cath.ch/be)
(*) La Via Francigena (le «Chemin des Francs») conduit de Canterbury, une cité du Kent, dans l’extrémité sud-est de l’Angleterre, à Rome, sur un parcours de 1800 kilomètres. Les pèlerins passent les Alpes durant la saison d’été pour arriver en Italie par le col du Grand-Saint-Bernard. Chaque jour, un ou deux pèlerins font halte à l’Hospice.
Jacques Berset
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