La TdL, qui vise une libération intégrale de l’homme, semblait s’être depuis longtemps étiolée, mais cet ouvrage la remet sous les projecteurs. Ce nouveau Dictionnaire montre que l’évolution de la TdL est toujours en cours. Développée à ses débuts par le prêtre et théologien péruvien Gustavo Gutiérrez, à qui l’on attribue la paternité de cette approche théologique élaborée au contact des plus pauvres et avec leur participation, la TdL s’est entretemps largement diversifiée.
Une bonne centaine de spécialistes de 28 nationalités ont collaboré à l’élaboration de ce dictionnaire qui comporte 280 entrées. Ces entrées sont les thèmes phares, les pays et les personnes, que ce soient les théologiens qui ont théorisé la TdL et les acteurs qui s’en sont inspirés et l’ont mise en pratique. Pour les auteurs de l’ouvrage, la TdL est une des rares théologies qui a toujours voulu agir sur l’histoire des peuples.
Un large panorama de la TdL, des origines à nos jours, clôture l’ouvrage, rédigé sous la direction de Maurice Cheza, spécialiste des théologies du tiers-monde, Luis Martínez Saavedra, spécialiste de la TdL en Amérique latine, et Pierre Sauvage, spécialiste de la TdL en Amérique latine et de sa réception dans le monde occidental. Ils ont notamment bénéficié de l’assistance d’Alzirinha Rocha de Souza, spécialiste de la TdL au Brésil, et de Caroline Sappia, spécialiste de la TdL en Amérique du Sud et de sa réception dans le monde francophone.
On découvre au fil des pages que la TdL aborde depuis des décennies, toujours à partir de l’option préférentielle pour les pauvres, des problématiques longtemps laissées dans l’ombre. Elle traite de l’émancipation de la femme, des populations noires et indigènes, et de la question de la sauvegarde de la création, à savoir l’écologie, en abordant de ce fait de nombreux angles de vue.
Avec le Père Gustavo Gutiérrez, reçu dans l’ordre dominicain en 2004, le franciscain brésilien Leonardo Boff est considéré comme l’un des représentants les plus marquants de la théologie de la libération latino-américaine. Mais l’ouvrage permet de découvrir de nombreux autres protagonistes moins connus sous nos latitudes et issus de contextes socio-culturels très diversifiés.
Le lecteur sera peut-être surpris de trouver des entrées sur l’Amérique du Nord (Canada et Etats-Unis) et l’Europe (Belgique, Espagne, France, Suisse). En fait, ces pays ont formé en Amérique latine un grand nombre de théologiens et d’acteurs pastoraux proches de la TdL. Beaucoup de leurs formateurs se sont rendus dans les pays du Sud, surtout en Amérique latine, certains y restèrent, notamment en tant que prêtres Fidei Donum. Ceux qui sont revenus se sont inspirés de ce qu’ils avaient découvert, tentant de former en Europe ou en Amérique du Nord des communautés ecclésiales de base (CEB), ou des groupes du même style.
La présence du pape François sur le siège de Pierre a fait, dès le départ, souffler un vent nouveau dans l’Eglise. Le pontife argentin s’est voulu d’emblée pasteur parmi les pasteurs «pénétrés de l’odeur de leurs brebis». Il les incite, dès sa première messe chrismale au Vatican le 28 mars 2013, à se mettre au service des pauvres et des opprimés. Depuis un certain temps déjà, la TdL ne suscitait plus la même défiance romaine, et la nouvelle génération de théologiens défriche de nouveaux champs de réflexion et d’action.
Il est loin, en effet, le temps de l’instruction «sur quelques aspects de la théologie de la libération», rédigée en 1984 par le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Le futur pape Benoît XVI dénonçait alors «des courants de pensée qui, sous le nom de ‘théologie de la libération’, proposent du contenu de la foi et de l’existence chrétienne une interprétation novatrice qui s’écarte gravement de la foi de l’Eglise, bien plus, qui en constitue la négation pratique». Des propos qui furent très bien accueillis et surtout utilisés par les puissants tenants du statu quo, tant dans les pays du Nord que dans ceux du Sud.
Pour le Vatican, dans une époque qui n’était pas sortie de la guerre froide, il s’agissait de mettre en garde contre les déviations dues à l’introduction dans la lecture de la réalité sociale d’éléments du marxisme. Il critiquait aussi des lectures ‘rationalisantes’ de la Bible tendant à réduire l’histoire du Christ à celle d’un libérateur social et politique.
Le même cardinal Ratzinger allait, en 1986, publier une nouvelle instruction «sur la liberté chrétienne et la libération», qui, bien que n’annulant pas la première, la complétait et la nuançait. Rome y relisait la TdL de manière positive en y introduisant la dimension spirituelle d’une théologie de la liberté. L’intervention de certaines figures de proue de l’épiscopat brésilien d’alors, soutenant les protagonistes les plus en vue de la TdL, n’était pas restée sans effet! La même année, Jean Paul II dira même dans une lettre adressée à l’épiscopat brésilien, que «la théologie de la libération est non seulement opportune, mais utile et nécessaire!»
Ce Dictionnaire est destiné à ceux qui sont passionnés par l’histoire et la théologie, à ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées ainsi qu’à celle de ces femmes et de ces hommes engagés dans la transformation d’une société foncièrement injuste, parfois au péril de leur vie. Le grand public dispose ici d’un instrument pratique pour accéder aux éléments essentiels de la théologie de la libération, qui s’est beaucoup diversifiée et affinée dans un contexte en perpétuel changement.
L’ouvrage met en avant ces générations montantes qui travaillent à de nouvelles problématiques et qui bénéficient désormais d’une certaine reconnaissance de la part du Vatican. Il suffit de rappeler le rôle fondamental joué par le pape François dans l’avancée du processus de canonisation de Mgr Oscar Romero, l’archevêque de San Salvador assassiné par les Escadrons de la mort d’extrême-droite le 24 mars 1980. Le prélat, tué «en haine de foi», selon la formule définissant le martyre, a été béatifié le 23 mai 2015 à San Salvador, grâce notamment à l’engagement personnel du pape François… et malgré les réserves voire les réticences (*) de certains milieux ecclésiastiques, tant au Salvador qu’au Vatican. (cath.ch/be)
(*) «Ils étaient nombreux à Rome, y compris certains cardinaux, qui ne voulaient pas le voir béatifié. Ils disaient qu’il avait été tué pour des motifs politiques et non religieux». Mgr Vincenzo Paglia, président de l’Académie pontificale pour la vie et postulateur de la cause de l’ex-archevêque de San Salvador, dans la revue jésuite America du 17 avril 2017.
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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