Bien avant les plébiscites du XXe siècle, l’abbaye puis la prévôté de Moutier-Grandval a été au cœur des disputes territoriales entre les seigneureries du nord du Jura, notamment l’évêché de Bâle et l’Alsace, et les régions méridionales des cantons confédérés de Berne et Soleure. La persistance de ces frontières a duré jusqu’à l’époque contemporaine.
Selon la tradition, c’est en 640 que les moines bénédictins, venus de Luxeuil en Franche-Comté, s’établissent dans la haute-vallée de la Birse au passage de la cluse qui ouvre vers le nord des montagnes du Jura. A l’époque déjà, il s’agit d’un des plus importants points de passage et de commerce entre le nord et le sud de l’Europe. De cette époque, on retient les noms du premier abbé saint Germain et de saint Randoald, assassinés en 675 par les hommes du duc d’Alsace. Les reliques des deux saints sont toujours conservées à l’église de Delémont. L’abbaye connaît un grand rayonnement et devient, avec St-Gall et St-Maurice, l’un des plus importants centres du monachisme médiéval sur le territoire suisse. C’est de cette époque que date la fameuse Bible de Moutier-Grandval, un des plus prestigieux manuscrits conservés aujourd’hui à la British Library de Londres. L’abbaye est alors sous la protection des comtes du Sundgau (Alsace).
Pendant longtemps, on a cru les traces de cette abbaye totalement disparues. Mais en 2008, des fouilles au centre-ville de Moutier ont mis au jour des vestiges importants des bâtiments conventuels.
En 999, l’abbaye de Moutier-Gandval est remise en donation à l’évêque de Bâle, Adalbéron II. Pour les historiens, cet événement lie pour plusieurs siècles le destin du Jura avec celui de l’évêché de Bâle. Quelques dizaines d’années plus tard, l’abbaye est transformée en chapitre de chanoines avec à sa tête un prévôt qui règne sur le territoire que l’on appelle, aujourd’hui encore, la prévôté de Moutier. L’institution reste de taille modeste et ne semble jamais avoir compté plus de douze chanoines mais elle jouera un rôle politique non négligeable.
Un bourg s’établit autour de la collégiale saints Germain et Randoald édifiée au XII siècle. Un hôpital est mentionné en 1148, une école en 1178. En 1181, la localité est désignée comme ‘apud Monasterium’ (près du monastère), ou ‘Münster’ en allemand,que l’usage simplifia ensuite en Moutier. Au bas Moyen-Age, les liens personnels avec le chapitre cathédral de Bâle se firent plus étroits. Plusieurs des chanoines de Bâle furent prévôts de Moutier avant d’accéder au siège épiscopal. Le chapitre de Moutier signe des traités de combourgeoisie avec Soleure en 1404 puis avec Bâle en 1407. En 1486, cinq candidats se disputent la charge de prévôt. Berne saisit l’occasion pour intervenir. Elle occupe la Prévôté avant de la rendre à l’évêque sur pression de la diète, mais non sans imposer le choix son protégé pour le siège de prévôt. Un traité de combourgeoisie est conclu avec Berne.
Ce rapprochement avec Berne explique qu’au moment de la Réforme quatre cinquièmes des gens de la Prévôté embrassèrent la nouvelle foi prônée par les Bernois. Seule une partie du territoire, appelée Prévôté sous-les-Roches conserva la foi catholique. Cette partie du val Terbi (paroisses de Courrendlin, Corban et Courchapoix) rejoindra à la fin du XXe siècle le nouveau canton du Jura.
La collégiale fut pillée et fermée par les Bernois en 1531. Incendiée en 1571, elle tomba ensuite en ruines. Elle ne fut reconstruite qu’en 1860-1863 et retrouva son style roman d’origine en 1957-61.
Le chapitre de Moutier se réfugia en 1534 à Delémont, en emportant avec lui son trésor dont les reliques et la crosse de saint Germain ou encore sa fameuse Bible. En 1588, il céda les droits seigneuriaux qu’il possédait encore à l’évêque de Bâle. En 1706 et 1711, deux accords réglèrent les différends entre Berne et le prince-évêque de Bâle. Ce qui entraîna une séparation complète des catholiques, Sur-les-Roches au nord, et des protestants, Sous-les Roches au sud.
Le chapitre de Moutier-Grandval est supprimé de fait par l’invasion française du nord du Jura en 1797. Il est formellement aboli en 1801 par le concordat entre Bonaparte et le pape Pie VII. Le territoire de la prévôté fut intégré au département français du Mont-Terrible en 1797 puis du Haut-Rhin, avant de revenir dans le giron helvétique en 1816, d’abord comme bailliage du canton de Berne, puis district de Moutier en 1831.
La Bible manuscrite réalisée au scriptorium de Saint-Martin de Tours en 835 est sans conteste la plus précieuse pièce du trésor de l’abbaye de Moutier-Grandval. Cet ouvrage enluminé de grande taille a connu pas mal de vicissitudes avant d’être acquis par la British Library de Londres en 1836. Elle y est toujours conservée.
Chassés par l’invasion française de 1797, les chanoines de Moutier-Grandval oublient la Bible dans leur maison capitulaire de Délemont. En 1821-22, le gros volume est découvert par des enfants qui jouent dans le galetas de la maison. Ils en informent les propriétaires, les demoiselles Verdat qui, en ignorant sa valeur, remettent l’ouvrage contre une modique somme à Alexis Bennot, ancien maire de la ville. Le curé Hennet souhaite placer le précieux manuscrit dans le trésor de l’église de Delémont, mais le prix qu’il propose est jugé trop bas par Bennot. Le notable se rend alors à Bâle où il vend la Bible pour 480 francs à l’antiquaire Speyr-Passavant.
Conscient de l’extrême valeur patrimoniale de l’objet, l’antiquaire publie un opuscule d’une centaine de pages dans lequel il attribue la Bible au savant et théologien Alcuin qui l’aurait offerte à l’empereur Charlemagne pour son couronnement, à la Noël de l’an 800. Speyr-Passavant parcourt la Suisse, l’Allemagne et la France pour y présenter son manuscrit aux savants et aux hommes d’Etat. Ne parvenant pas à trouver d’acquéreur en France, il se rend à Londres et cède l’ouvrage en 1836 à La British Library pour la somme de 750 livres (18’000 francs)
La Bible de MoutierGrandval est un manuscrit sur parchemin de grand format (50 X 37,5 cm). Elle compte 449 folios, soit 898 pages. Chaque page contient deux colonnes de cinquante lignes. Ouvrage de grande qualité, elle présente des enluminures en tête de chaque chapitre et quatre illustrations en pleine page. Ecrite en minuscule caroline avec des formes rondes et régulières, elle est facile à lire, même pour des yeux du XXIe siècle. Très bien conservée, elle est un des plus beaux manuscrits de l’époque carolingienne.
La Bible a été réalisée spécialement pour l’abbaye de Moutier-Grandval vers 835 au scriptorium de Saint-Martin de Tours, un des plus importants et des plus réputés de l’époque. Elle contient la version de la Vulgate révisée par Alcuin ainsi que quelques commentaires notamment de saint Jérôme. Aujourd’hui entièrement digitalisée, elle est consultable sur le site de la British Library. (cath-ch/mp)
Maurice Page
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