Contrairement à Noël, Pâques, l’Ascension ou la Pentecôte, la Fête-Dieu, ou fête du corps et du sang du Christ, ne fait référence directe à aucun événement de la vie de Jésus. Instaurée d’abord dans la province de Liège, au XIIIe siècle, elle rejoue de manière solennelle et publique l’institution de l’eucharistie le Jeudi-Saint.
La Fête-Dieu est encore célébrée en grandes pompes dans de nombreux pays ou régions catholiques. Elle est aussi souvent l’occasion de manifester le lien entre autorité civile et autorité religieuse. Comme cette fête n’est pas fériée en Italie, elle est reportée au dimanche 18 juin où le pape François conduira la procession entre les basiliques du Latran et de Sainte-Marie-Majeure.
C’est en grande partie à une femme, Julienne de Cornillon, dans la principauté de Liège, dans l’actuelle Belgique, que l’on doit la Fête-Dieu. A partir de 1209, cette religieuse augustinienne eut de fréquentes visions mystiques. Elle voit une lune échancrée, rayonnante de lumière, mais incomplète, une bande noire la divisant en deux parties égales. La signification de cette vision lui fut révélée ainsi: la lune signifie l’Eglise de son temps, et l’échancrure, l’absence d’une fête particulière au Saint Sacrement, qui donnerait au peuple chrétien l’occasion de manifester sa foi dans un hommage public. Julienne se lance alors dans une longue démarche de deux décennies pour obtenir l’instauration de cette fête.
En 1222, Julienne est élue Mère prieure du Mont-Cornillon et demande conseil à d’éminentes personnalités de l’époque, dont l’archidiacre Jacques Pantaléon qui deviendra le pape Urbain IV. En 1246, Robert de Torote, prince-évêque de Liège, établit que chaque année, le jeudi après le dimanche de la Trinité, toutes les églises de son diocèse célébreront désormais une fête solennelle en l’honneur du mystère eucharistique. Mais la Fête-Dieu, à peine instituée, est en but à de nombreuses oppositions. Les bourgeois de Liège s’opposent à la fête qui signifie un jour chômé supplémentaire, les religieux considèrent qu’une telle fête ne mérite pas pareil budget. Face à ce mouvement, Julienne est même obligée de quitter son couvent passant de monastère en monastère. Elle meurt le 5 avril 1258.
La Fête-Dieu est relancée grâce à un miracle qui a lieu à Bolsena, en Italie, en 1263. L’histoire raconte qu’un prêtre a de grands doutes sur la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Alors qu’il célèbre la messe, à la consécration, l’hostie prend une couleur rouge et des gouttes de sang tombent sur le corporal et le pavement. Le prêtre interrompt la messe pour porter à la sacristie les saintes espèces. Le pape Urbain IV, ancien confesseur de Julienne de Cornillon, vient constater lui-même les faits. Le 8 septembre 1264, il institue alors la fête du Corpus Domini. L’institution de cette célébration correspond aussi à la lutte de l’Eglise catholique contre les hérésies cathare et de Pierre Valdo.
A Savièse, la fête est organisée tour à tour par chaque village de la commune sur la base d’un tournus de cinq ans. Le défilé se met en marche, augmenté des «tsanbrides» (groupes d’enfants), et se rend à l’église, où est célébrée la grand-messe. La procession est le point culminant de la journée. Les grenadiers rythment le pas. Autour du corps du Christ, présenté dans l’ostensoir par le curé, les fidèles participent à un événement religieux, traditionnel et culturel.
Dans la partie alémanique du canton de Fribourg, en Singine, des autels temporaires sont aménagés sur le parcours de la procession de la Fête-Dieu, appelée en allemand ‘Herrgottstag’ en . Dans diverses paroisses, le port du costume folklorique souligne l’aspect festif de la procession. C’est principalement pour la Fête-Dieu que des groupes de filles portent le costume avec la coiffe appelé «Kränzlitracht».
Le Landeron est la seule commune catholique du canton à majorité réformée de Neuchâtel où la procession sillonne les rues du village. Un décret cantonal déclare que le jeudi de la Fête-Dieu est un jour férié sur le territoire communal.
En Appenzell Rhodes Intérieures a lieu une procession baroque très colorée. L’ostensoir est porté par un prêtre qui défile à l’abri d’un dais tenu par des ecclésiastiques et sous l’escorte des «Grenadiers de Dieu». Le défilé est formé de tour ce que le canton compte de groupes traditionnels. Le groupe des femmes en costumes est particulièrement impressionnant tout comme celui des quinze «Täfelimeedle», vêtues du costume noir et blanc des jeunes femmes non mariées, qui portent chacune une table de bois peinte représentant les quinze mystères du rosaire.
La veille et le jour de la Fête-Dieu, les canonniers tirent de nombreuses salves d’honneur et coups de canon depuis le Gütsch, en dessus de la ville de Lucerne. Ils manifestent ainsi leur déférence au Saint-Sacrement. Pendant la procession des fidèles dans la vieille ville, les coups de canon marquent chaque phase et élément du rituel.
A Fribourg, les artilleurs sont à pied d’œuvre dès 6 h du matin pour tirer une série de coups de canon, donnant ainsi aux trois corps de musique officiels l’ordre de départ pour animer les rues de la ville. Au terme de la célébration de 9 h, en plein air, une longue procession rassemblant derrière le Saint-Sacrement les premiers communiants, les fanfares, les groupes traditionnels, les associations d’étudiants ainsi que les autorités ecclésiales, politiques et judiciaires se rend depuis la cour du Collège St-Michel jusqu’à la Cathédrale St-Nicolas. La participation des autorités politiques, législatives et judiciaires reste une tradition bien ancrée.
Outre sa Somme théologique, Thomas d’Aquin, théologien et philosophe du XIIIe siècle est l’auteur de l’Office du Saint-Sacrement que l’Église catholique a inclus dans sa liturgie. Son hymne Pange lingua est encore très régulièrement chantée, notamment à la Fête-Dieu.
Selon un usage alors répandu, le premier vers de cette pièce reprend celui de l’hymne de Fortunat (VIe siècle) L’hymne du Pange lingua a ceci de particulier qu’elle contient une véritable catéchèse, tout en étant un cantique de vénération. Le texte atteste de la croyance très ancienne en la présence réelle du corps et du sang du Christ dans les espèces consacrées.
Le Tantum ergo sacramentum, qui forme comme une seconde partie du Pange lingua, a la forme d’une action de grâces. Il insiste sur le caractère nouveau du sacrement, qui abolit le modèle ancien, c’est-à-dire l’ancienne alliance et son sacrifice sanglant. Il termine sur une louange à la Trinité, reprenant le vocabulaire du Credo de Nicée.
Le développement de ces miracles, plus particulièrement à partir du XIIIe siècle, est lié à la pratique de ce sacrement, le culte et l’adoration eucharistique étant assumés et favorisés par l’Église, notamment par l’instauration de la Fête-Dieu. Ces miracles seront un instrument puissant de défense de la foi catholique contre les hérétiques qui voient dans l’eucharistie uniquement un mémorial symbolique.
Les miracles peuvent prendre des formes assez diverses. Parfois le prêtre ou les assistants voient apparaître le visage du Christ sur l’hostie. Il peut aussi s’agir d’une apparition de l’enfant Jésus couché sur l’autel pendant la messe. Dans d’autres cas l’hostie lévite pendant un moment au-dessus de l’autel ou prend une teinte rouge ou rosé. Dans les cas les plus spectaculaires, l’hostie devient rouge et saigne. Parfois elle se transforme en chair humaine.
Parmi les miracles eucharistiques répertoriés au travers des siècles, certains ont fait l’objet d’une documentation importante ou d’études scientifiques récentes. Dans plusieurs cas, ces phénomènes ont reçu une explication physique. Des hosties ont ainsi pu être rougies par l’apparition de moisissures typiques des céréales. Pour les lévitations, il a pu s’agir d’effets optiques dus par exemple à la réfraction sur une patène ou un calice dorés. Il n’en reste pas moins que d’autres miracles attendent toujours une explication scientifique.
Un des cas les plus récents a été reconnu par l’évêque de Legnica, à l’ouest de la Pologne, en avril 2016. Le jour de Noël 2013, une hostie consacrée est tombée au sol. Elle a été ramassée et placée dans un récipient avec de l’eau dans laquelle elle aurait dû se dissoudre. Peu après, les taches rouges sont apparues sur l’hostie. L’évêque a alors créé une commission pour surveiller le phénomène. En février 2014, un fragment a été prélevé et transmis pour analyse à un laboratoire.
Selon les résultats de l’institut de médecine légale, le fragment contient des fibres croisées d’un muscle très sembable au cœur. Les tests ont également démontré qu’il s’agissait bien d’un tissu humain portant des traces de blessures.
Devant ces éléments caractéristiques d’un miracle eucharistique, l’évêque a présenté la question à la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), à Rome en janvier 2016. En avril, conformément aux recommandations romaines, il a demandé de préparer un endroit approprié pour la vénération de cette relique. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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