Le but des terroristes: diviser musulmans et chrétiens, affirme Mgr Emmanuel Bishay

«Il ne faut pas confondre l’ensemble de la population musulmane d’Egypte, avec qui nous avons de bons rapports, et les terroristes islamistes qui ont d’autres buts que la religion», confie à cath.ch Mgr Emmanuel Ayad Bishay, évêque copte-catholique de Louxor.

Les djihadistes s’attaquent aux coptes en espérant déclencher une guerre civile et briser l’unité du pays pour y installer un califat, analyse Mgr Bishay. L’évêque de l’antique cité égyptienne de Thèbes, dans la vallée du Nil, à quelque 700 km au sud du Caire, était dimanche de Pentecôte 2017 l’invité d’honneur de la 16e édition du Pèlerinage aux saints d’Afrique, à Saint-Maurice, en Valais.

Un fanatisme qui instrumentalise la religion

L’Egypte connaît depuis quelques années un fort développement du fanatisme qui instrumentalise la religion. L’attaque de Daech qui a coûté la vie à une trentaine de pèlerins coptes en route pour le monastère Saint-Samuel, dans la province de Minya, le 26 mai dernier, est le quatrième attentat revendiqué par l’organisation djihadiste depuis décembre 2016.

«Les terroristes, qui ne sont pas tous Egyptiens, sont utilisés par des puissances extérieures pour déstabiliser le pays. Les cibles sont les policiers, les militaires et les chrétiens coptes. Daech aimerait faire croire que les chrétiens d’Egypte sont l’objet d’une persécution religieuse, pour briser l’unité entre chrétiens et musulmans. Mais quand les coptes sont attaqués, tout le pays est blessé. Nos voisins musulmans sont atterrés par cette violence. Ils viennent nous apporter leurs condoléances quand il y a des attaques de ce genre. Les évêques, les prêtres, les religieux et les religieuses sont respectés par la population. Je marche toujours dans la rue en habits religieux, avec ma croix pectorale, sans rencontrer de problèmes. On ne peut pas parler de persécution des chrétiens en Egypte».

Le but des terroristes est politique et idéologique

Pour Mgr Emmanuel Ayad Bishay, le but des terroristes est avant tout politique et idéologique, pas religieux. «Les armes comme les terroristes passent les frontières, qui sont difficiles à sécuriser, surtout du côté de la Libye». Dans la péninsule du Sinaï, la situation sécuritaire est précaire: de nombreux tunnels permettent à des djihadistes de s’infiltrer en Egypte depuis le territoire palestinien de Gaza, avec le soutien de certains secteurs du Hamas liés aux Frères musulmans.

«L’argent vient du Qatar et de la Turquie, qui soutiennent les Frères musulmans», déclarait-il à cath.ch à la veille de la rupture des relations diplomatiques et de toutes les liaisons terrestres, aériennes et maritimes entre l’Arabie saoudite et le Qatar, mesure suivie par les alliés du royaume wahhabite. L’émirat est accusé de soutenir le terrorisme. L’Egypte a aussitôt emboîté le pas de l’Arabie saoudite, avec laquelle elle est alliée depuis la destitution du président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013. La situation n’en est pas moins ambiguë, car les Saoudiens promeuvent l’idéologie salafiste, qui n’est pas moins dangereuse pour les chrétiens que celle des Frères musulmans.

Influencés par le wahhabisme

«De nombreux Egyptiens qui sont allés travailler en Arabie saoudite ont été influencés par le wahhabisme. Ils ont développé une attitude antichrétienne, notamment suite à l’intervention militaire des Occidentaux au Moyen et au Proche-Orient, notamment en Irak et en Libye, et à l’hostilité occidentale face à l’Iran. Pour la mentalité des islamistes, mais également de la majorité des musulmans, Occident veut dire ‘chrétien’. Il n’y a pas chez eux de distinction entre religion et politique. De ce fait, la haine contre les chrétiens a beaucoup augmenté».

Les salafistes, soutenus par l’Arabie saoudite, sont certes du côté du gouvernement, mais ils sont très intolérants envers ceux qui ne partagent pas leur vision littéraliste et rigoriste de l’islam. «Leur attitude est inacceptable, non seulement pour les chrétiens, mais également pour le gouvernement et la majorité des musulmans du pays. Le salafisme n’a pas de racines en Egypte, c’est une influence ramenée des pays du Golfe par les travailleurs qui y ont émigré pour trouver du travail».

Avant tout changer les mentalités

Pour l’évêque de Louxor, le problème vient des mentalités, formatées par un certain discours religieux. «Il faut revoir l’éducation, réviser le curriculum d’études dans les écoles, retirer tout ce qui incite à la haine et à la discrimination. Le gouvernement du président Abdel-Fattah Al-Sissi réclame ce nettoyage. Le président soutient les chrétiens. Le gouvernement, musulman, n’est pas antichrétien. Des intellectuels musulmans, des journalistes, des penseurs, des artistes, se solidarisent avec les chrétiens».

L’Eglise copte défend par conséquent la politique actuelle du gouvernement, qui cherche une égalité entre les citoyens. «C’est différent de l’époque du président Hosni Moubarak, où les terroristes qui ont tué une vingtaine de chrétiens coptes dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2011 devant l’église de Tous les Saints (Al-Kiddissine) d’Alexandrie n’ont jamais été identifiés. Par contre, on sait qui a commis les attentats récents. Aujourd’hui, on se sent soutenus, ce qui n’était pas le cas sous Moubarak».

Sous Morsi, les chrétiens traités en ‘dhimmis’

«Dès l’arrivée au pouvoir du président Morsi, sous le régime des Frères musulmans, nous avons senti que le pays n’était plus le nôtre. Très rapidement, les réactions envers les chrétiens ont été très négatives, avec des restrictions pour les églises et les monastères. C’était évident, nous étions devenus des ‘dhimmis’, des citoyens de seconde classe. Sous Morsi, les gens avaient perdu l’espérance que demain pouvait être meilleur, ils étaient découragés. Aujourd’hui, malgré les difficultés, nous avons retrouvé l’espoir!»

L’évêque de Louxor est confiant: «la communauté copte égyptienne, qui compte 10 à 12 millions de fidèles, vit dans une grande sérénité». Contrairement aux chrétiens de Syrie et d’Irak, qui ont abandonné leur pays en raison de la guerre et des attaques qui les visaient, les coptes restent au pays. «Souvent, ils refusent de renier leur foi et préfèrent mourir que d’abjurer. Même après les attentats, les gens n’ont pas peur, les églises sont pleines et cela donne du courage à chacun. Nous disons à nos fidèles, à l’instar de ce que proclamait saint Maurice et ses compagnons avant d’être exécutés: ‘n’ayez pas peur de ceux qui tuent les corps, craignez plutôt ceux qui tuent les âmes!'»

La visite du pape a redonné du courage aux chrétiens

La visite du pape François au Caire le 28 avril 2017, moins de trois semaines après les attentats contre les églises de Mar Girgis à Tanta et de Saint-Marc, à Alexandrie, qui ont fait plus de 40 morts, a donné du courage aux coptes. «C’est une visite historique particulièrement importante pour toute l’Egypte. Elle est également symbolique, étant donné la place que l’Egypte occupe dans le monde arabo-musulman», souligne celui qui en fut l’un des principaux organisateurs.

«Ce voyage à la fois pastoral, œcuménique et interreligieux coïncide avec le 70e anniversaire du début des relations diplomatiques entre l’Egypte et le Vatican. Il représente un message pour tout le monde musulman: le pape a voulu exprimer son respect à son égard et sa disponibilité à collaborer avec l’islam. Il veut construire des ponts de dialogue entre les religions, pour montrer qu’elles ne sont pas le problème, mais bien une partie de la solution, et que donner la mort au nom de Dieu est un blasphème!».

«On embrasse l’ami, le frère!»

Et l’évêque copte-catholique de Louxor de relever que l’accolade du pape au grand imam d’Al-Azhar revêt une grande importance symbolique pour la population: «on embrasse l’ami, le frère!» Ainsi le pape a gagné l’estime de tous, poursuit-il, «il a réussi à entrer dans le cœur du peuple égyptien, il est très aimé dans toutes les couches de la société, à l’exception, évidemment, de la minorité fanatique et extrémiste…» (cath.ch/be)

 

 

 

 

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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