Le fantôme de Daech plane sur le village chrétien de Batnaya, dans la plaine de Ninive

Occupé pendant deux ans et demi par les djihadistes de l’Etat islamique, le village chrétien de Batnaya, au cœur de la plaine agricole de Ninive, au nord de l’Irak, n’est plus qu’un champ de ruines. Un silence de mort et de désolation règne sur la localité libérée le 20 octobre 2016, mais toujours désertée par ses habitants. L’heure est partagée entre résignation totale et timide espoir.

Seule l’église de Mar Kyriakos est restée debout au milieu des gravats. A l’occasion de Pâques, elle a été déblayée et nettoyée. Pour la première fois depuis trois ans, les catholiques chaldéens y ont célébré la fête au pied de l’autel brisé dans le chœur marqué par les impacts de balles. La messe a été dite en araméen, la langue du Christ que l’on parle encore dans cette région.

«L’heure est partagé entre résignation et timide espoir»

Mais depuis la libération du village par les peshmergas kurdes le 20 octobre 2016, personne n’a osé s’y établir à nouveau. Les anciens habitants ne s’y sont aventurés que pour constater les dégâts et récupérer les maigres biens qui avaient échappé au pillage. La proximité du front, les mines et les tunnels creusés par les djihadistes qui menacent la stabilité des bâtiments, empêchent tout retour. Le village est encore en zone militaire et il faut montrer patte blanche pour y entrer. Quelques soldats autour de deux véhicules blindés couleur sable montent la garde.

Une centaine de combattants islamistes s’étaient retranchés à Batnaya. Lors de l’assaut final par les troupes kurdes en octobre dernier, une soixantaine de djihadistes auraient été tués. Les Kurdes laissant huit hommes sur le terrain et dénombrant une cinquantaine de blessés.

Plus de 1’000 familles de réfugiés

Quelques kilomètres plus loin, une large tranchée et son remblai découpent les champs de céréales et marquent l’extension maximale du territoire contrôlé par l’Etat islamique. Sur cette plaine, aucun obstacle naturel pour empêcher ou freiner la poussée des djihadistes en été 2014 face à la débandade de l’armée irakienne. Pour les quelque 5’000 villageois, la seule issue a été une fuite immédiate vers Alqosh et la montagne, ou vers la capitale du Kurdistan, Erbil à 140 kilomètres à l’est. «Nous avons accueilli plus de 1’000 familles en quelques jours», témoigne le Père Ghazwan Baho, vicaire général du diocèse chaldéen d’Alqosh. Adossé à la montagne, le bourg d’Alqosh est le seul de la région à n’avoir pas été envahi par les djihadistes. «Le 6 août 2014, les combattants de Daech n’étaient plus qu’à 2,5 kilomètres. Tous les habitants ont fui dans la montagne, mais après une semaine, nous avons pu y revenir et le front s’est figé quelques kilomètres plus au sud. Les jeunes chrétiens du village s’étaient formés en milice et auraient été prêts à défendre leur localité. Mais, heureusement, ils n’ont pas eu à combattre.» Il faut dire aussi que l’axe principal qui relie le Kurdistan d’Irak à la Turquie passe au pied d’Alqosh. Les djihadistes ne sont jamais parvenus à s’emparer de cette route stratégique vitale pour l’approvisionnement du pays.

«Ou vous partez, ou nous vous tuerons»

Dans le village fantôme, la propagande de l’Etat islamique s’étale sur les murs dans de nombreux tags qui côtoient les symboles chrétiens jetés à terre. Ici un drapeau de Daech griffonné à la hâte. Là, à côté de la croix d’un portail, une inscription en jaune indique «Allahou Akbar». Dans la chapelle de Saint Addai, un tag rédigé en allemand atteste de la présence de combattants occidentaux. «O vous les esclaves de la croix. Vous n’avez pas de place dans un Etat islamique. Ou vous partez, ou nous vous tuerons.» Le message est explicite.

Dans les cours des maisons, au milieu des décombres, les combattants de l’Etat islamique ont abandonné les supports de leurs mortiers. Sur un mur, une inscription indique les axes et les distances de tir. Nulle trace de vie au milieu des décombres. Le village ancien tassé autour de l’église, dont certaines maisons remontaient au XVIe siècle, n’est plus qu’un amas de gravats. Ca et là, un fragment de voûte, un linteau de porte ou de fenêtre. On devine les entrées des fameux tunnels qui permettaient aux combattants de se protéger des bombardements et de se déplacer d’une position à l’autre. 95% des maisons du village ont été détruites ou sévèrement endommagées.

Une antique région chrétienne

Avant la guerre, la plaine de Ninive était la seule région d’Irak majoritairement peuplée de chrétiens. On en dénombrait environ 125’000 entre Mossoul, Qaraqosh et une dizaine de villages. On y parlait encore l’araméen, la langue du Christ. Dans les autres villages, un peu moins détruits, un lent mouvement de retour s’est opéré et quelques habitants y ont repris la vie, notamment à Telleskef, à une dizaine de kilomètres au nord de Batnaya. Pour les chrétiens de la plaine de Ninive, entre désespoir et espoir, la ligne de crête est très étroite. (cath.ch/mp)

Maurice Page

Portail catholique suisse

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