APIC – Reportage
«L’amour qui sauve»
Maurice Page, Agence APIC
Choëx, 7février(APIC) L’adoption ne consiste pas à donner un enfant à une
famille mais à donner une famille à un enfant. Charles et Mireille Udriot
ont largement mis en pratique cette maxime. Outre leurs trois enfants biologiques ils accueillent dans leur chalet de Choëx, sur les hauteurs de
Monthey, pas moins de neuf autres enfants tous handicapés physiques ou mentaux. Portrait d’une famille vraiment pas comme les autres, placée sous
l’enseigne de «l’amour qui sauve».
Elyssa, fillette trisomique de trois ans s’agite vigoureusement sur sa
chaise, impatiente d’avoir sa portion de lasagnes que «papa» Charles
distribue souverainement à chaque enfant à tour de rôle. Un bon verre de
jus de carotte remplace avantageusement l’huile de foie de morue de nos
grands-parents. Tout le monde, hormis trois des enfants (deux sont à Lausanne et un à St-Maurice), est réuni pour le repas de midi autour de la
grande table de bois brut placée dans la véranda construite en 1992. «Nous
avons été bienheureux d’avoir un peu plus d’espace pour nos douze enfants»,
commente Mireille, la maman. Le chalet construit par le couple en 1979 devait uniquement servir à abriter les quatre enfants que Mireille souhaitait
avoir. Dieu leur a désigné un autre chemin.
Après le repas, en un instant la table est rangée. Gabrielle ramasse les
assiettes, Romain les met dans la machine à laver la vaisselle, Aurore est
à la plonge. Joseph se chicane avec Mathieu pour ranger les pots dans le
vaisselier. Chez les Udriot pas de hiérarchie, mais une bonne organisation,
chacun participe à la mesure de son handicap. On vit concrètement la complémentarité du paralytique et de l’aveugle… et tout le monde obéit.
Après leur mariage en 1977, Charles et Mireille qui travaillent tous les
deux à l’hôpital de Monthey rêvent de partir en pays de mission. Le couple
met cependant un premier enfant en route, Fabien, puis une seconde, Gabrielle, et se lance dans la construction d’un chalet sur les pentes de
Choëx. A la lecture d’un livre, Mireille s’enthousiasme à l’idée d’une
adoption. Charles est contre, on en parle plus. Les enfants eux insistent
pour avoir un petit frère ou une petite soeur. Un an plus tard, le couple
s’adresse à une assistante sociale de la région qui les décourage… cela
couteraît 15 à 20’000 francs.
Mireille est alors à nouveau enceinte, mais fait une fausse couche après
trois mois. Cette fois plus de doute, c’est un signe, d’autant qu’il coïncide avec le passage en Valais de Jean et Lucette Alingrin, fondateurs de
«L’Emmanuel», en France, oeuvre pour l’adoption d’enfants handicapés physiques et mentaux. «Ils furent nos prophètes», témoigne, aujourd’hui Charles.
En 1983 un nouvel enfant arrive dans le foyer, c’est Romain, un garçon de
13 mois, handicapé d’un bras, en provenance du Liban. «La religieuse directrice de l’orphelinat hésitait à nous le confier. Elle ne comprenait pas
quelle était la motivation d’un couple qui n’était pas stérile.» En 1984
avec la naissance de Mathieu, le troisième enfant «fait-maison», la famille
semble désormais ’complète’. Mireille et Charles acceptent de particper à
la constitution de l’oeuvre «Emmanuel» en Suisse sous forme d’une association dont ils sont le «couple pilier».
Quelques mois plus tard: un SOS arrive à l’oeuvre Emmanuel. Il faut
trouver à placer Joseph, un enfant trisomique de cinq ans, de Beyrouth. Sinon c’est pour lui l’asile psychiatrique, probablement à vie. Après un
pèlerinage, décision est prise d’adopter Joseph. Malgré l’opposition de
l’Office cantonal des mineurs. «Une expérience ’d’amour-décapage’», explique Mireille. «Ce n’est qu’après six mois dans notre famille que Joseph
nous donna sa première larme.»
Puis tout s’enchaîne. Arrivent sucessivement Adrienne 12 ans, qui mourra
deux ans plus tard en 1988 d’un problème cardiaque, Jenny, Aurore et Florine, Jean-Pascal, Elyssa et Marielle. Avec chaque fois pour tous de nouvelles remises en cause, de nouveaux départs. Aujourd’hui la famille regroupe
12 enfants: 3 biologiques, 6 adoptés et 3 en placement, venus du Liban,
d’Inde, de Colombie, du Chili et de Suisse. En 1988 Charles abandonne son
travail à l’hôpital pour se consacrer à plein temps à sa famille…la caisse de l’association Emmanuel contient alors juste de quoi payer un mois et
demi de salaire au couple. On tire des sonnettes dans la région. La solidarité s’organise. Le salaire d’une femme de ménage est assuré par un groupe
de couples de la paroisse, et Christelle, une jeune fille, est engagée en
1991 pour donner le coup de main nécesaire durant la semaine. Quant à
Véronique, elle s’occupe à mi-temps du secrétariat et seconde Mireille pour
le travail de bureau. Charles a abandonné le jardin mais a gardé les moutons qui tondent le pré planté d’abres fruitiers derrière la maison. L’Association gère l’ensemble des finances et salarie le couple Udriot.
Dans le coin jeu, Jenny, affairé à un puzzle – «il a 200 pièces!»chasse d’une voix ferme la chienne Loti en mal de caresses. Mathieu
m’entraîne au sous-sol faire la connaissance des lapins, cobayes, perruches
et autres volatiles dont il s’occupe surtout avec Fabien. Puis vient
l’heure de l’école, tout le monde s’embarque, à pied, en bus ou en taxi
selon les horaires et les destinations.
Les regards extérieurs sont parfois cruels. Une personne dit un jour devant Jenny, dont le visage a été ravagé par de graves brûlures: «Il faudrait piquer cette enfant, ne pas la laisser vivre. Ce n’est pas juste». Ou
encore «Vous ne devez pas la sortir! Quand on a une telle enfant on l’a
tient cachée!» La pitié n’est pas forcément plus constructive. La même Jenny, privée physiquement d’une partie de son identité, sait faire preuve
d’un sacré caractère, elle s’impose dans les jeux, fait la loi sur son passage. Tous les enfants, sauf Jean-Pascal (sourd) et Florine (aveugle) qui
fréquentent des institus spécialisés, vont à l’école à Choëx ou à Monthey.
«L’accueil et l’intégration se passent plutôt bien si on soigne l’information», note Charles. «Nous avons suscité des réunions de parents pour leur
expliquer la situation.» Chaque enfant qui en a besoin bénéficie aussi de
l’assistance d’un médecin, d’un psychologue ou d’un pédo-psychiatre. L’AI
et les assurances sociales assument les frais particuliers.
Pour Mireille, le handicap affectif causé parfois par des années de
souffrance et d’abandon est de loin le plus lourd. «Nous savons que nous ne
pourrons pas le combler tout à fait.» La vie familiale qui enracine la relation dans la durée reste encore le meilleur remède. La famille a été actrice et témoin de vrais miracles en permettant à chacun de libérer son potentiel.
Pour les Udriot, il s’agit bien de miracles au sens propre du terme,
c’est-à-dire de signes de la présence de Dieu dans leurs vies. «Notre oui
pour nos enfants handicapés a d’abord été et restera toujours un oui à la
volonté de Dieu, à son plan d’amour qu’il a sur chacun et chacune d’entre
nous.» Face à la révolte devant l’injustice du handicap mental ou physique
«Dieu est là à côté du berceau, présence toute humble, patiente, compatissante». «Mais il veut respecter notre liberté, qui nous permet d’ouvrir ou
de fermer nos coeurs», témoignent-ils. Sans ostentation inutile, la prière
a sa place en couple et en famille devant le coin prière «où nous puisons
notre force en Dieu». «Anawim», le nom du chalet signifie en hébreu ’Les
pauvres de Yavhé’.
Encadré
L’oeuvre Emmanuel, l’amour qui sauve
Fondée par Jean et Lucette Alingrin, l’oeuvre Emmanuel est reconnue en
France depuis 1975. Elle a très rapidement dépassé les frontières puisqu’elle existe actuellement également en Belgique, au Canada au Luxembourg, en Hollande, en Argentine et en Suisse depuis 1984. Emmanuel a renversé le sens de l’adoption: il ne s’agit pas de donner un enfant à un couple, mais une famille se donne à un enfant et l’accepte tel qu’il est, même
atteint dans son corps ou son intelligence.
En France plus de 1’000 enfants handicapés dont 200 trisomiques ont
trouvé la chaleur d’une famille. En Suisse, on compte à ce jour une trentaine d’enfants adoptés venus de Suisse ou de pays lointains comme le Liban, l’Inde ou la Colombie. Depuis 1992, l’oeuvre Emmanuel, structurée sous
la forme d’une association en 1984, est reconnue au niveau fédéral comme
organe officiel d’adoption. Elle ne reçoit cependant aucun subside officiel
et ne vit que des dons. L’oeuvre est surtout implantée en Valais où 14 des
20 familles d’adoption ont leur domicile, mais elle cherche à étendre son
rayon d’action à toute la Suisse. D’autant qu’une trentaine d’enfants sont
en attente d’adoption.
Les familles Emmanuel sont des foyers comme les autres, sans plus de
moyens et qui souvent ont déjà plusieurs enfants. Elles ne sont pas spécialisées dans l’adoption. La plupart basent leur engagement sur leur foi
chrétienne, mais ce n’est pas une condition.
L’oeuvre assure le suivi logisitique, en préparant notamment les dossiers médicaux et juridiques. Elle acompagne les familles d’adoption au
plan psychologique, matériel et juridique, et leur donne une formation particulière en fonction de chaque enfant. Un bulletin donne régulièrement les
nouvelles de l’oeuvre. Sur le plan national et international, l’Association
collabore avec tous les services et oeuvres d’adoption.
La collecte de l’Association doit servir cette année à financer l’agrandissement du chalet «Anawim» dont les Udriot s’apprêtent à faire donation à
l’oeuvre. Le projet devisé à 450’000 francs doit permettre d’aménager un
bureau (actuellement installé dans un ’conteneur’ derrière la maison), une
salle polyvalente pour l’accueil, deux chambres pour les grands enfants et
un atelier-garage. (apic/mp)
Encadré
Les difficultés ne sont pas toujours celles que l’on imagine
L’arrivée d’un enfant dans une famille, a fortiori handicapé, provoque toujours un grand bouleversement. Marielle, la septième enfant adoptée par les
Udriot en juillet 1992 à l’âge de 6 ans, a montré une fois de plus que
l’adoption est un chemin unique.
Marielle est née en Colombie avec un grave handicap congénital lui paralysant les membres inférieurs et perturbant ses fonctions urinaires et intestinales. La décision de l’adoption fut très difficile à prendre et nécessita plusieurs mois de réflexions et de discussions. Placée en Colombie
dans un foyer pour handicapés soutenu par des Suisses, Marielle fut encadrée avec beaucoup d’amour mais avec une sur-protection de tout le personnel. Tout était fait pour éviter tout effort à la «pauvre petite», pour
s’habiller, pour manger, pour l’hygiène. Une vie subie dans une dépendance
totale.
Ce qui ne manqua pas, à la longue, de générer un sur-handicap par manque
de stimulation physique. A quoi s’ajoutait encore un comportement difficile
et capricieux. Lui apprendre les gestes quotidiens, dans lesquels son handicap ne joue aucun rôle, comme ceux de manger, ou de s’habiller fut un
problème déconcertant et une rude bataille, explique Mireille. Avec d’inlassables recommencements. Combat couronné d’une grande émotion lorsque Marielle quitte la chaise roulante qui fut sa carapace de protection durant
six ans. Aujourd’hui Marielle, devenue actrice de sa propre vie, se déplace
debout. «Même si ce n’est pas notre enfant de sang, un cordon ombilical
très fort s’est créé entre nous. Les difficultés nous ont fait grandir»,
conclut Mireille. (apic/mp)
Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’agence APIC
Pour un geste de soutien Association «Emmanuel», 1950 Sion, CCP 19-12780-7
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