Le bibliste fribourgeois, qui a enseigné le Nouveau Testament à l’Université de Fribourg avant d’être nommé directeur de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem (1999-2008), vient de publier Regards sur le Christ. (*)
D’emblée, Jean-Michel Poffet ne cache pas son admiration pour Carlo-Maria Martini, le savant professeur d’Ecritures saintes qu’il a connu à Rome – il enseigna à l’Institut biblique avant de devenir recteur de l’Université grégorienne, puis d’être nommé archevêque de Milan en 1979 et créé cardinal en 1983 – et qu’il a à nouveau rencontré à Jérusalem, où Martini s’était retiré au moment de sa retraite. Le jésuite italien lui a certainement transmis la flamme.
Dans cet ouvrage de 220 pages, découpé en sept chapitres, le dominicain, spécialiste des sciences bibliques, propose une approche où l’érudition est au service de la foi et de la spiritualité. Ce livre est le fruit de prédications lors de retraites données pendant plusieurs années en Suisse ou en France à des moines et des moniales, à des prêtres ou à des laïcs. Jean-Michel Poffet confie l’avoir écrit «parce que je crois fermement que l’humanité de Jésus est un don pour tous les hommes, une humanité vraie, fraternelle, et en même temps en accord avec Dieu».
Le bibliste relève que les Evangiles ne parlent pas seulement de Jésus, mais aussi des expériences que des personnes ont faites avec lui, en le côtoyant. «Ce sont des rayons de lumière! L’Evangile allume la lumière dans les yeux de ceux qui les approchent, que ce soient des gens simples ou des universitaires». Certes, souligne le Père Poffet, en méditant les Ecritures, on mesure aussi le prix que Jésus a payé: «Il nous a donné sa vie douloureusement, pour nous faire comprendre à quel point nous étions aimés». Et s’il y a beaucoup de tendresse et d’humanité, il y a aussi de la colère: il ne faut pas oublier l’épisode où Jésus chasse les marchands du Temple, ou dans l’Apocalypse, la colère de l’Agneau…
Dès le premier chapitre, le Père Poffet, en ouvrant ces méditations, rappelle que le Christ est plein de tendresse et qu’il promet de nous soulager dans nos tourments: «Il veut notre bien, il veut pour nous la vie, et la vie en abondance» (Jean 10,10). Mais pour le religieux fribourgeois, il y a urgence: «La crise morale que nous traversons n’est pas simplement due à la fragilité des conduites humaines. Elle est largement la conséquence d’une perte de la foi, en particulier en Occident. Certes, beaucoup continuent de se dire croyants, mais d’une manière si molle et si vague que cette soi-disant confession de foi n’en est pas une et n’est pas plus dérangeante que son contraire». Pour le religieux dominicain, il nous faut retrouver une foi vive.
«Croire en Jésus, en Celui qui a accepté de mourir sous les coups de ses bourreaux plutôt que d’en donner, n’incite pas à la violence et à l’intolérance, même si cela a existé, y compris de la part de chrétiens. Mais on ne peut pas dire que c’était par une fidélité vécue à l’Evangile», écrit-il. Et de relever qu’alors que certains sombrent dans la violence en criant le nom de Dieu, l’Eglise du Christ désire présenter au monde le visage d’un Dieu ami des hommes.
«Il est important que les chrétiens soient davantage conscients que Dieu a parlé aux hommes: les cieux se sont ouverts», souligne le Père Poffet. Dans les derniers siècles avant l’arrivée du Christ, les gens avaient le sentiment que le ciel était fermé, c’était une époque de paganisation et d’hellénisation: dans le Temple de Jérusalem trônait la statue de Zeus Olympien, on avait honte des signes de la foi juive. Des juifs se demandaient comment faire pour rester croyants. Une partie de l’élite intellectuelle du moment était fascinée par la culture grecque et cherchait à la concilier à tout prix avec l’héritage hébraïque.
Bien avant l’époque de Jésus, on assiste chez la minorité des juifs croyants, à forte une réaction contre l’hellénisation et les risques d’assimilation du peuple juif, d’où un repli sur soi et une volonté, pour continuer à exister dans sa singularité, de séparation des autres. Outre l’aristocratie sacerdotale des Sadducéens opposés aux Pharisiens, les Esséniens s’étaient mis en rupture totale, retirés au bord de la Mer Morte. Quant aux Zélotes, ils avaient pris les armes contre l’Empire romain. L’arrivée de Jésus, lorsqu’il commence son ministère, brise l’isolement d’Israël face aux croyants fragilisés au sein d’un monde hostile.
Certes, Jésus ne commence pas par condamner, mais il va bousculer ceux qui pensaient que le salut était du côté de la séparation. «Il a été attaqué par les Pharisiens, mais surtout par les Sadducéens, l’élite sacerdotale et sociale du moment. S’il y a un aspect subversif dans l’Evangile, ce n’est pas une révolution qui laisse derrière elle beaucoup de destructions: il ne s’agit pas d’agir par la violence! C’est un désir de communion, et celui qui l’illustre bien aujourd’hui, c’est le pape François, qui montre, en particulier dans l’exhortation apostolique sur l’amour dans la famille Amoris laetitia combien l’Amour de Dieu veut rejoindre chacune et chacun, quitte à bousculer bien des habitudes et des conforts intellectuels ou spirituels». JB
Jean-Michel Poffet, dominicain, docteur en théologie et licencié en sciences bibliques, a enseigné le Nouveau Testament à l’Université de Fribourg, avant d’être élu directeur de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem (1999-2008). Ses publications, cours et conférences abordent surtout le lien entre exégèse et théologie ainsi que l’histoire de l’exégèse. L’autorité de l’Ecriture, «Lectio divina«, Cerf, Paris, 2002, La Patience de Dieu. Essai sur la miséricorde, Desclée 1992, Paul de Tarse, Nouvelle Cité 1998, Heureux l’homme. La sagesse chrétienne à l’école du Ps 1, Cerf 2003, Les chrétiens et la Bible. Les Anciens et les Modernes, Cerf 1998.
Originaire de Fribourg, Jean-Michel Poffet est entré chez les dominicains et a tout de suite manifesté un grand intérêt pour l’exégèse et la science biblique. Il s’est tout naturellement dirigé vers un cursus d’étude à l’Institut biblique de Rome puis une thèse en histoire de l’exégèse après son ordination sacerdotale et quelques années de ministère pastoral à Genève. Il est alors devenu maitre-assistant à l’Université de Fribourg. Rentré en Suisse après son séjour de près de dix ans à Jérusalem, il donne de nombreuses conférences dans lesquelles, tout en attaquant les lectures fondamentalistes de la Bible, il recommande une approche où l’érudition est au service de la foi et de la spiritualité: l’étude du texte biblique pour mieux prier. Ses livres reflètent cette préoccupation. La France a honoré son travail de la Légion d’honneur. (cath.ch/be)
(*) Regards sur le Christ, ouvrage de 220 pages paru aux Editions Parole et Silence (2017, Paris et Les Plans-sur-Bex/CH)
Jacques Berset
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