Al-Azhar, l’institution millénaire qui, depuis le Caire, donne le ton dans l’univers sunnite, accueille dans ses murs le pape François, ce vendredi 28 avril. Le souverain pontife y rencontre Ahmad Al-Tayeb, le grand imam d’Al-Azhar, président du Conseil des sages musulmans, qu’il avait reçu au Vatican l’an dernier.
Rappelant la geste de saint François d’Assise, qui avait rencontré en 1219 le sultan Malik al-Kamil dans le port égyptien de Damiette, le pape y a apporté, comme prévu, un message de paix et de dialogue entre les hommes de toutes les religions.
La main tendue, de façon franche et sincère, est la bonne approche, mais qu’en est-il du côté d’Al-Azhar ? Le président Al-Sissi a réclamé à plusieurs reprises un renouveau du discours religieux, afin de faire disparaître les enseignements et les écrits qui ont eu cours dans l’islam durant des siècles, mais qui sont désormais une source d’anxiété pour le monde entier.
Depuis des mois, l’institution sunnite est dans le collimateur de journalistes, d’intellectuels et de députés égyptiens qui réclament un «aggiornamento idéologique» de l’institution, accusée d’être un ferment de l’extrémisme. Les critiques ont encore été ravivées par les attentats sanglants du 9 avril dernier contre les églises coptes de Tanta et d’Alexandrie.
Cette nouvelle tragédie visant les chrétiens a relancé le débat sur la responsabilité intellectuelle d’Al-Azhar dans la montée de l’extrémisme en Egypte. A tel point que des voix critiques ont réclamé la tête du grand imam. L’écrivaine et journaliste égyptienne Fatima Naout, qui fut inculpée pour «mépris de l’islam» pour un message sur Facebook, reproche à Al-Azhar de ne pas avoir éliminé des cours les matières qui fomentent la violence, et de répandre des «idées toxiques qui empoisonnent les esprits de la jeunesse».
Ibrahim Eissa, également écrivain et éditorialiste, accuse l’institution d’épouser les idées de Daech, le soi-disant «Etat islamique», tandis qu’Amr Adib, autre figure médiatique égyptienne, tient Al-Azhar pour responsable du déclin du discours religieux modéré et de la dissémination de l’extrémisme.
Le parlementaire Mohamed Abu Hamed déplore que les instances désignées pour renouveler le discours religieux soient réticentes, exigeant qu’Al-Azhar condamne les idées extrémistes et promeuve une ouverture aux autres «en accord avec les vrais enseignements de l’islam et du Coran».
C’est un fait que l’an dernier, l’institution sunnite s’était attiré les foudres des musulmans modérés en publiant une déclaration qui refusait de qualifier Daech d’organisation musulmane «hérétique». Il y a deux ans, le grand imam d’Al-Azhar avait pourtant lancé un appel pour en finir avec les «hordes barbares» et «impies» de l’Etat islamique. D’autres personnalités religieuses, comme l’ancien secrétaire général du Conseil suprême des affaires islamiques Mohamed Al-Shahat Al-Guindi, affirment qu’il est injuste de rendre seulement Al-Azhar responsable du fait que des individus adoptent des idées extrémistes et mènent des attaques terroristes. D’autres institutions sont aussi en cause: écoles, collèges, familles, médias et organisations économiques… «Il faut donner une chance à Al-Azhar, assure-t-il, car cela prend du temps pour réorienter les esprits vers une compréhension correcte de la foi».
L’islam a sa place parmi les grandes religions mondiales, mais il doit nettoyer son arrière-boutique. C’est aussi le pari du pape François.
Jacques Berset | 28 avril 2017
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