Une guerre civile sanglante oppose depuis décembre 2013 les partisans du président Salva Kiir et ceux de son ancien vice-président Riek Machar. Elle ruine le pays. Le responsable en Romandie et au Tessin d’AED était, du 1er au 12 avril 2017, en mission dans la région disputée d’Abiyé – dont le statut juridique reste indéterminé et la souveraineté convoitée tant par le Soudan que par le Soudan du Sud – et l’Etat de Twic, dans la partie septentrionale du Soudan du Sud.
Alors que le Soudan du Sud sortait de 40 ans de conflit quasiment ininterrompu avec les troupes nordistes de Khartoum, beaucoup voyaient ce nouvel Etat comme une «terre promise», notamment en raison de ses ressources pétrolières et minérales. Depuis qu’a éclaté cette «guerre des chefs» pour le contrôle du pouvoir et de ses prébendes, la désillusion est grande.
La région est un désert sanitaire qui voit les Soudanais mourir de paludisme, d’infections respiratoires ou simplement de diarrhées, des maladies dont ils pourraient guérir facilement si l’accès aux soins n’était pas si difficile en raison du manque d’infrastructures, mais également de la guerre qui ravage le pays. Le conflit a déjà coûté des dizaines de milliers de vies, avec 3,5 millions de personnes déplacées à travers tout le pays, sans compter toutes celles qui ont cherché refuge à l’étranger.
Tant le Mouvement/Armée populaire de libération du Soudan (M/APLS) loyale au président Salva Kiir que les groupes armés d’opposition, dirigés notamment par Riek Machar, réfugié en Afrique du Sud, commettent des exactions sur la population civile, des pillages, des assassinats et des viols. On assiste, selon l’ONU, à une véritable hémorragie d’agriculteurs et à une raréfaction préoccupante des récoltes, dans un pays qui souffre comme ses voisins des effets dévastateurs de la sécheresse.
Le Soudan du Sud est riche de potentialités agricoles, minérales et pétrolières, mais son développement a été constamment entravé par des conflits, depuis des décennies. Alors qu’il est indépendant depuis moins de six ans, le pays n’a quasiment pas connu la paix. La guerre civile ruine le pays malgré la présence des soldats de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS).
La lutte entre les forces gouvernementales de l’APLS et les forces de l’opposition s’est transformée en une guerre tribale
La lutte entre les forces gouvernementales de l’APLS et les forces de l’opposition s’est transformée en une guerre tribale, entre l’ethnie des Dinkas, de Salva Kiir, un catholique, et celle des Nouers, de Riek Machar, qui appartient à l’Eglise évangélique presbytérienne du Soudan du Sud.
Sur place, constate Roberto Simona, l’Eglise catholique, bien que jeune, fragile et sans grands moyens, joue un rôle humanitaire fondamental. «Les agents de l’Eglise sont là et vont rester dans les conditions les plus difficiles, c’est admirable», note le représentant d’AED, dont l’organisation apporte une aide concrète aux populations locales d’Agok, à une cinquantaine de kilomètres d’Abiyé.
Cette agglomération, largement détruite à l’époque par les bombardements de l’aviation de Khartoum, n’a plus d’églises, d’écoles ou d’hôpitaux en fonction. La région accueille une centaine de milliers de réfugiés chassés par la guerre. A Agok, la paroisse du Père Bion – un territoire équivalant au quart de la superficie de la Suisse, avec 58 lieux de culte – gère trois écoles avec plus de 2000 élèves, qui se pressent à plus de cent par classe. Les enseignants locaux et ceux venant du Kenya sont payés par l’AED, alors que la nourriture est pour le moment acheminée par le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM).
Le Père Bion est le seul prêtre actif dans cette vaste région depuis neuf ans. Le diocèse n’a pas les moyens en matériels et en personnel pour lui venir en aide, alors il doit tout faire: diriger la construction des écoles et du dispensaire, gérer la Caritas locale, assister les nécessiteux. «Si le Père Bion est relativement jeune, va-t-il encore longtemps supporter cette situation ? Un prêtre a quitté son ministère pour rejoindre l’armée, dans l’espoir de trouver quelque chose à manger, après des années à s’occuper de sa paroisse dans un village, avec un revenu mensuel de trois dollars. C’était un choix de survie…»
Il est nécessaire de surmonter une culture de la violence qui s’est installée durablement
La population locale ne désire rien d’autre qu’une vie meilleure, mais il lui faut absolument surmonter la culture de la violence qui est en train de déchirer la société.
Roberto Simona note cependant que dans la région, près de la ville d’Abiyé, de nombreux Nouers se rendent en territoire Dinka pour trouver de la nourriture, pour les baptêmes et les confirmations, et cela se passe bien. Ils se rendent également à l’hôpital à Turalei, dans l’Etat voisin de Twic. «Les Dinkas ne leur montrent aucune hostilité: c’est déjà un bon signe, car ceux qui sèment la mort dans la région ne sont qu’une minorité».
Le responsable d’AED note toutefois que l’insécurité est grande en raison de la pauvreté extrême dans laquelle se trouve la population. Le salaire maximum est de trois dollars mensuels, alors pour survivre, certains s’adonnent au vol, au kidnapping pour obtenir une rançon…
Dans la région de Turalei, 3 prêtres et six sœurs de Mère Teresa s’occupent de dizaines de milliers de personnes, dans une zone désormais surpeuplée par les personnes déplacées par le conflit. Ecoles, hôpitaux et églises sont en construction, grâce à des aides acheminées par des ONG, comme celle de Mgr Macram Max Gassis, évêque émérite d’El Obeid, au Soudan, qui bénéficie du soutien d’AED.
Mais ce sera bientôt la saison des pluies. L’avion qui achemine le matériel médical atterrit sur une simple piste de terre, qui sera alors impraticable, tout comme les routes. «Durant la saison des pluies, c’est presque impossible de se déplacer dans la région, qui est ainsi complètement isolée et abandonnée». L’Etat y est pratiquement absent, avec de temps en temps une présence des forces de l’ONU sur des postes de contrôle. La famine est bien présente. C’est l’Eglise avant tout qui assure l’éducation et les soins à la population.
L’aide apportée par le PAM est importante pour l’Eglise, mais elle ne suffit pas. «Dans ce pays, qui dispose potentiellement de tant de richesses et qui aurait les moyens de faire face, la quête de pouvoir par une soi-disant ‘élite’ qui ne se préoccupe que de ses propres intérêts conduit au drame dont nous sommes les témoins», déplore Roberto Simona. Le défi pour l’Eglise est justement de contribuer à changer ce type de mentalité: depuis des décennies, la population grandit dans la violence et a l’habitude de résoudre les problèmes par la violence.
«On rencontre de nombreuses familles détruites, des enfants abandonnés, des hommes qui délaissent femme et enfants pour fonder ailleurs une nouvelle famille… C’est une tradition dans cette région, car le sang de la tribu vaut plus que l’eau du baptême, alors que la population s’identifie au christianisme davantage dans une opposition à l’islam et aux tribus arabes que par adhésion au message du Christ ! Il n’y a pas eu d’investissement dans l’éducation et on en paie les conséquences, poursuit-il. L’Eglise a compris ces enjeux, et malgré ses faibles moyens, son apport est décisif». (cath.ch/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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