En dix ans d’épiscopat, les sujets de discorde entre l’évêque diocésain et l’aile progressiste de l’Eglise n’ont pas manqué: accueil des divorcés remariés; homosexualité; célébrations des sacrements; prédication par des théologiens laïcs; nominations contestées; rapport avec les corporations ecclésiastiques de droit public. La presse profane suisse, voire internationale, a très régulièrement fait les échos de ces polémiques.
Les fantômes de ‘l’affaire Haas’, des années 1990, ont constamment plané sur le diocèse de Suisse centrale et orientale. Après des années de vives contestations, Mgr Wolfgang Haas avait finalement été écarté du diocèse, en 1997, par le biais d’une nomination sur le siège de Vaduz, au Liechtenstein voisin, créé pour la circonstance. Pour voir le départ de Mgr Huonder, ses adversaires auront dû attendre qu’il atteigne l’âge de la retraite des évêques, soit 75 ans.
Après l’épiscopat pacificateur de Mgr Amédée Grab entre 1998 et 2007, le chapitre cathédral de Coire avait élu Mgr Vitus Huonder pour lui succéder. Au grand dam des adversaires de Mgr Haas qui voyaient monter sur le siège épiscopal un des ses plus proches collaborateurs dont la réputation de conservateur n’était plus à faire.
«Transmettre le trésor de notre foi»
«Si conservateur signifie porter le souci de notre foi, je n’ai aucun problème à ce propos», expliquait lui-même Mgr Huonder après sa nomination. Par contre, si l’on prétend par là que je ne suis pas ouvert aux problèmes de notre temps, alors je me défends. Je réfléchis toujours à la façon dont je peux transmettre aujourd’hui le trésor de notre foi.» Avant même son ordination épiscopale, les catholiques «fidèles à Rome» lançaient un tract pour le soutenir et dénoncer l’état désolant de l’Eglise en Suisse devenue un ‘club de bien-être’.
Une première pomme de discorde surgit déjà à fin 2007, lorsque Mgr Huonder rappelle que selon le droit canonique, la prédication lors de la messe dominicale est réservée au prêtre. L’évêque de Coire souhaite donc que toutes les paroisses adoptent graduellement cette règle et n’autorisent plus les théologiens laïcs à prêcher. Le «Manifeste de Lucerne» se dit «consterné» par cette décision et exige qu’elle soit revue. Il réclame que l’égalité entre hommes et femmes, devienne également réalité dans l’Eglise catholique.
En avril 2008, dans une lettre ouverte à l’évêque, l’association grisonne ‘pour une Eglise crédible’ exprime sa préoccupation sur l’avenir du diocèse. Elle considère que les nominations dans les organes dirigeants de l’Eglise sont toutes proches des milieux conservateurs et rétrogrades, et craint ainsi une nouvelle scission. L’association affirme que l’évêque tente manifestement de revenir à l’époque préconciliaire. En interdisant les cérémonies pénitentielles collectives et la prédication par des laïcs, Mgr Huonder voudrait plaire à Rome et ne prendrait pas en considération les intérêts des fidèles du diocèse.
En 2008 toujours, la tension se cristallise autour du vicariat épiscopal de Zurich où une série de départs et de nominations donne lieu à des contestations. Surtout quand il est question de la nomination d’un évêque auxiliaire qui ne serait pas agréé par les Zurichois.
«Nous sommes ni soutenus, ni appréciés»
L’attitude de l’évêque de Coire à l’égard des organes de droit ecclésiastique, qui tiennent en main les finances de l’Eglise, préoccupe aussi certains catholiques. Les membres de la Conférence de Biberbrugg, qui rassemble les diverses Eglises cantonales, se sentent uniquement tolérés, mais ni soutenus, ni appréciés. Pour l’évêque, ces instances ont pris trop de pouvoir et n’ont pas a s’immiscer dans les questions pastorales ou les nominations d’agents pastoraux.
En 2009, la nomination comme évêque auxiliaire de Mgr Marian Eleganti, un religieux bénédictin peu connu dans le diocèse, surprend. Là encore, les diverses instances se plaignent d’une initiative unilatérale de Mgr Huonder, prise sans concertation. Celle de Martin Grichting, comme vicaire général à la fin de l’année n’arrange pas les choses. Le spécialiste du droit de l’Eglise est connu comme l’un des critiques les plus sévères des corporations ecclésiastiques.
Plus anecdotique, l’opposition de l’évêque à la tenue d’une ‘messe des bouffons’ lors du carnaval de Schwytz avec la participation de «Guggenmusik» suscite railleries et commentaires. De même lorsqu’il interdit aux prêtres de participer à une cérémonie œcuménique célébrée en marge de la «Gay Pride» de Zurich.
En 2010, la nomination de Giuseppe Gracia, comme porte-parole du diocèse, ne fait qu’attiser les polémiques. Avec un art consommé de la controverse, ce laïc, spécialiste de la communication, souffle sur les braises, ne craignant jamais d’utiliser les canaux de la presse profane pour dénoncer les dérives des adversaires de l’évêque.
En 2011, c’est à l’interne que les dissensions se font jour. Le supérieur du séminaire diocésain quitte sa charge en raison de divergences avec l’évêque quant au recrutement des futurs prêtres. L’évêque auxiliaire Eleganti reprendra cette charge, avant de démissionner à son tour en 2014, pour les mêmes raisons. Puis c’est au tour du chanoine Andreas Rellstab, vicaire général pour les Grisons de démissionner. Il dénonce un climat de crainte et de méfiance à l’évêché de Coire.
Au sein de la Conférence des évêques (CES), l’ambiance n’est pas bonne non plus. Mgr Huonder et son auxiliaire s’opposent au fait que la CES s’exprime sur des sujets de société, par exemple sur la migration, ou sur le remboursement de l’avortement, sans avoir reçu leur accord formel.
Malgré les nombreuses tentatives de dialogue avec les instances ecclésiales locales, les corporations ecclésiastiques, les groupes de fidèles l’ambiance ne s’améliore guère dans le diocèse. Chaque prise de parole de l’évêque suscite son lot de polémiques, comme en 2011 sur l’éducation sexuelle à l’école. Dans sa revue des personnalités alémaniques, le quotidien genevois Le Temps qualifie Mgr Huonder «d’apôtre de la discorde». Plusieurs paroisses refusent que Mgr Huonder viennent célébrer la confirmation chez elles.
Nouvelle polémique en 2012 lorsque l’évêque réitère fortement dans sa lettre pastorale de carême l’interdiction faite aux divorcés remariés d’accéder à la communion eucharistique. Des paroisses refusent de la faire lire en chaire. La conférence des évêques se garde bien d’intervenir.
A fin 2012, l’évêque rappelle à l’ordre ses prêtres sur les célébrations. Lors d’un service liturgique, les croyants ne doivent pas être induits en erreur, déstabilisés ou fâchés par des déclarations contre l’enseignement de l’Eglise et de la hiérarchie. Pour Mgr Huonder, l’espace liturgique est un espace sacré, réservé au service divin.
En 2014, une alliance d’organisations catholiques, sous le slogan «Ca suffit!» (Es reicht), lancée à l’impulsion de la Ligue suisse des femmes catholiques (SKF), demande la démission de l’évêque de Coire. L’alliance en a assez de voir de quelle façon Mgr Huonder «couvre l’Eglise catholique de ridicule». Elle demande à la Conférence des évêques suisses (CES) d’intervenir.
«Mgr Huonder comble l’Eglise de ridicule»
En 2015, c’est autour de l’homosexualité, et en particulier au sujet de la bénédiction d’un couple de lesbiennes par un prêtre, que le brasier s’enflamme à nouveau. Face aux réactions, Mgr Huonder est contraint de renoncer à renvoyer le prêtre, mais obtient une rétractation de sa part.
Quelque mois plus tard c’est à une bronca mondiale des milieux homosexuels que s’expose l’évêque de Coire après avoir cité dans un discours, à Fulda, en Allemagne, le verset 13 du chapitre 20 du Lévitique: «Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable; ils seront punis de mort: leur sang retombera sur eux». Les plaintes pour incitation à la haine seront finalement classées. Auparavant, Mgr Huonder s’était excusé envers «toutes les personnes qui se sont senties offensées par ces déclarations, en particulier les personnes homosexuelles.»
La recherche d’une solution par la division du grand diocèse de Coire en deux ou trois nouveaux diocèses tombe à l’eau face aux résistances historiques, à la crainte de la perte d’anciens privilèges et aux questions financières.
L’arrivée d’un nouveau nonce en Suisse en 2015, Mgr Thomas Gullickson, un Américain plutôt droit dans ses bottes, suscite de nouvelles angoisses chez les opposants à Mgr Huonder. Ils craignent plus que tout qu’il impose à nouveau à Coire un évêque conservateur. D’où l’idée de réclamer la désignation d’un administrateur apostolique, afin de pacifier le diocèse avant la nomination d’un nouvel évêque. Tous les événements ecclésiaux suisses sont analysés et débattus à l’aune de la succession de Mgr Huonder.
Une chose est sûre, le nouvel évêque qu’il soit progressiste ou conservateur aura fort à faire pour ramener la paix et la sérénité dans le diocèse de Coire. (cath.ch/mp)
Vitus Huonder est né le 21 avril 1942 à Trun, dans les Grisons. Après des études de philosophie et de théologie à Einsiedeln, Rome et Fribourg, il a été ordonné prêtre en 1971 pour le diocèse de Coire.
De 1975 à 1976 il a enseigné l’Ancien Testament et une introduction au judaïsme. De 1976 à 1987, il occupe divers postes en paroisse. En 1989, il a obtenu une habilitation en liturgie à Fribourg, avant d’être appelé à Coire.
En 1990, il a été nommé chanoine de la cathédrale et vicaire général. Depuis 1995, il est vicaire épiscopal pour les questions liturgiques et linguistiques régionales. Les membres du Chapitre cathédral de Coire l’élisent en 2007 parmi trois candidats soumis par le nonce apostolique en Suisse. Il est ordonné évêque le 8 septembre 2007, pour succéder à Mgr Amédée Grab. (cath.ch/mp)
Le diocèse de Coire est l’un des six diocèses de l’Église catholique en Suisse. Érigé au Ve siècle, il est le diocèse historique de l’actuel canton suisse des Grisons. Depuis 1818, après la dislocation du diocèse transfrontalier de Constance, il couvre aussi les cantons de Uri, Schwytz, Glaris, Obwald, Nidwald et Zurich. Il regroupe quelque 700’000 catholiques répartis en 280 paroisses dans sept cantons. Il compte près de 350 prêtres et 125 assistants pastoraux laïcs, hommes et femmes ainsi que 52 diacres permanents. Très majoritairement de langue allemande, il englobe aussi les régions rhéto-romanches et italiennes des Grisons.
Le Vatican est seul compétent pour établir la liste des trois candidats (terna) soumise au vote des chanoines. Le nonce apostolique est chargé de mener une consultation auprès de personnes, prêtres et laïcs, du diocèse pour dénicher les candidats idoines et établir une liste de noms. La Congrégation pour les évêques à Rome n’est cependant pas tenue de se limiter à cette liste. Elle peut soit biffer des noms soit en rajouter. Il n’est pas prévu en outre de délai pour soumettre cette liste aux chanoines. Dans un délai de trois mois après réception de la liste, les chanoines doivent alors se réunir pour élire le nouvel évêque parmi les noms figurant sur la terna. Cette élection doit ensuite être validée par Rome.
Pas d’évêque avant 2018?
Le nonce apostolique en Suisse Mgr Thomas Gullickson, a indiqué vouloir s’en tenir strictement à la procédure. Il n’est pas entré en matière sur la possible nomination d’un administrateur apostolique. Il a précisé en outre ne pas vouloir organiser une consultation élargie à un grand nombre de personnes. Cette procédure doit en effet rester en principe confidentielle. Les noms des candidats ne sont pas publiés et le vote du chapitre est secret. Etant donné la complexité de la procédure et les délais de consultations, il semble peu probable que l’élection du nouvel évêque de Coire survienne encore en 2017. Il apparaît dès lors vraisemblable que Mgr Huonder reste encore quelques mois administrateur du diocèse. Comme l’avait été Mgr Grab avant lui.
Selon certains observateurs, le rôle du cardinal Kurt Koch, ancien évêque de Bâle, et membre de la Congrégation pour le clergé à Rome, devrait être déterminant dans cette élection. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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