Les adversaires du gouverneur chrétien de Djakarta attisent les tensions religieuses

Le 19 avril 2017, les Indonésiens retournent aux urnes pour le deuxième tour des élections locales. L’attention est concentrée sur la ville de Djakarta, où le gouverneur chrétien «Ahok», qui se représente à son poste, fait face à des attaques répétées sur son appartenance religieuse.

Selon bon nombre d’analystes locaux, ces élections, qui se jouent sur le terrain politico-religieux, viennent tester l’identité plurielle et démocratique de l’Indonésie post-Suharto, rapporte le 31 mars 2017 Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris.

Le gouverneur sortant, Basuki Tjahaja Purnama, plus connu sous le nom d'»Ahok», est sorti en tête du premier tour, avec 42,9% des suffrages et une faible avance sur son rival immédiat, Anies Rasyid Baswedan, qui a réuni 39,9 % des voix. D’origine chinoise et de religion chrétienne, Ahok est sous le coup d’une procédure judiciaire pour «insulte à la religion». Un chef d’inculpation qui peut lui valoir jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Après une déclaration en septembre dernier sur l’utilisation du Coran à des fins politiques, le gouverneur de Djakarta avait été attaqué en justice par le Front des défenseurs de l’islam. L’organisation est connue pour sa volonté d’imposer une lecture rigoriste de l’islam dans le pays.

Musulman mais «infidèle», car allié à Ahok le chrétien

Tandis que la justice suit son cours (on ne s’attend pas à un verdict avant plusieurs semaines), la campagne électorale bat son plein. Les partisans d’Anies Baswedan n’hésitent pas à user de la carte religieuse pour signifier aux musulmans l’impossibilité de voter pour un non-musulman, note EdA. Le 11 mars dernier, des musulmans ont ainsi barré le passage à Djarot Saiful Hidayat, le co-listier d’Ahok. Musulman. Ce dernier voulait se rendre dans une mosquée de Djakarta-Est pour y prier. Il s’est vu refuser l’accès au lieu de culte au prétexte qu’il était un «infidèle», du fait de son association politique avec Ahok.

Sur les réseaux sociaux, devenus ces dernières années le principal moyen d’information des Indonésiens, des appels circulent pour que les imams interdisent de cérémonie funéraire les musulmans «qui votent pour un dirigeant infidèle ou blasphémateur». Des messages sont également répandus qui prétendent que ceux qui votent pour un non-musulman n’auront pas accès au paradis.

La répétition de ce genre de messages semble faire son effet. Gouverneur populaire pour s’être attaqué de front à nombre de maux qui étouffent la capitale indonésienne (déficit de logements, insuffisance des infrastructures, corruption endémique, lutte contre les islamistes), Ahok est désormais en deuxième position dans les sondages. Selon un institut de sondage local, le gouverneur sortant n’est plus crédité que de 40% des intentions de vote. Son adversaire Anies Baswedan en recueillerait 49%. Un autre sondage donne Ahok à 39,7 % et Baswedan à 46,3 %.

Instrumentalisation électoraliste de la religion

Selon Bonar Tigor Naipospos, du Setara Institute for Democracy and Peace, ONG qui milite pour les droits de l’homme et la liberté religieuse en Indonésie, la chute d’Ahok dans les sondages indique que la politisation de la religion a pris racine dans l’électorat musulman. «Instrumentaliser la religion est la seule manière qu’ont les rivaux d’Ahok de le battre. Car le bilan du gouverneur [élu depuis 2014] l’a rendu populaire auprès d’une majorité des habitants de la capitale», explique-t-il. Bien que 65% des habitants de la métropole se déclarent satisfaits de son action, ils disent aussi ne pas vouloir de lui pour un deuxième mandat, du seul fait qu’il n’est pas musulman.

Pour Usep Ahyar, analyste politique au Populi Center, un think-tank local, il est clair que de nombreux électeurs sont en train de perdre leur liberté de choix. La peur les domine et ils ne savent pas comment contrer la tactique mise en œuvre par des religieux et les groupes qui combattent Ahok. Pour autant, l’influence des religieux sur le vote ne doit pas être surestimée, explique-t-il, ajoutant que tout se jouera dans le secret de l’isoloir. (cath.ch/eda/rz)

 

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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