Du vivant de Nicolas de Flüe, on commença déjà à recueillir des témoignages de sa sainteté. En 1469, l’évêque coadjuteur de Constance Thomas Weldner examina le jeûne et le mode de vie de Nicolas de Flüe. Il consacra la chapelle supérieure du Ranft et décida que Frère Nicolas, le moment venu, serait inhumé dans l’église paroissiale de Sachseln. C’était déjà une première reconnaissance de la vie exemplaire de Frère Nicolas, déjà en odeur de sainteté peu après le début de son existence d’anachorète.
«En 1474, Frère Nicolas est décrit comme un saint vivant»
Dans son premier rapport sur Nicolas de Flüe établi le 26 mai 1474, l’Allemand Hans von Waldheim dépeint Frère Nicolas comme un «saint vivant». Cette réputation ne cessa de se renforcer jusqu’à son décès le 21 mars 1487. Ayant fait sonner le glas à la collégiale (Hofkirche) et à la chapelle Saint-Pierre, Lucerne envoya une délégation à Obwald, ce que firent également d’autres villes catholiques. On continua par la suite, en bien des endroits, de marquer le jour du décès de Frère Nicolas et on le vénéra comme un saint, même si cette vénération n’était pas encore admise par l’Église.
En 1488, le registre paroissial de Sachseln fait mention de sa vie admirable et de 23 miracles attribués à son intercession. La même année, un différend éclatait déjà au sujet des dons et offrandes pour la tombe de Frère Nicolas, qui auraient dû être plus opulents. Toujours en 1488, fut montée, au clocher de l’église de Sachseln, une horloge dont le cadran représentait le bienheureux Nicolas. En 1507, l’empereur Maximilien Ier promit de soutenir la cause de canonisation de Nicolas de Flüe et, en 1513, une statue de Frère Nicolas fut érigée au tabernacle de l’église paroissiale de Sachseln. En 1516, les habitants de Sachseln firent monter une figurine de Frère Nicolas dans le magnifique ostensoir de l’église. En 1518, les ossements du bienheureux furent exhumés et transférés dans un sarcophage de pierre et, en 1519, Nicolas était déjà compté au nombre des saints du diocèse de Constance. Dès 1540, les Nidwaldiens firent chaque année un pèlerinage à la chapelle, de même que les Obwaldiens à partir de 1558. En 1570, le cardinal Charles Borromée, archevêque de Milan, visita le tombeau de Frère Nicolas, ce qui fut interprété comme une reconnaissance, en termes de droit coutumier, de la vénération de Nicolas de Flüe, bien que celle-ci ne fût pas encore approuvée par l’Église.
Sans l’approbation de l’Église, Nicolas de Flüe fut l’objet d’une intense dévotion au cours des cent premières années. Après la première canonisation par décision pontificale, celle d’Ulrich d’Augsbourg en 993, les papes s’approprièrent de plus en plus la compétence en matière de canonisation. Au XIIe siècle, les enquêtes relatives à la vie, aux vertus et aux miracles étaient conçues de manière assez précise. Mais concernant Nicolas de Flüe, ces exigences ne furent pas encore appliquées, même après 1487. L’élément finalement déterminant fut, en 1588, l’institution de la Congrégation des rites, qui eut depuis lors la haute main sur les procès de béatification et de canonisation, jusqu’à la réforme de la Curie en 1969.
Le premier procès de béatification de Frère Nicolas eut lieu de 1587 à 1591. Il n’aboutit toutefois à aucun résultat car, d’une part, une grave discorde était survenue avec le nonce en exercice à Lucerne pour cause de soldes impayées et, d’autre part, quatre papes décédèrent en l’espace de 14 mois. De plus, les Suisses étaient réticents face au coût élevé d’une béatification.
C’est en 1618 seulement que les efforts se poursuivirent en la forme d’un nouveau procès canonique à des fins d’information, qui fut suivi en 1621 d’un procès spécial. En 1625 eut lieu une nouvelle procédure, mais Rome n’acheva pas l’examen des actes. Entre 1625 et 1631, le pape Urbain VIII édicta de nouvelles dispositions contraignantes, notamment celle interdisant toute dévotion liturgique avant décision de béatification. Or la vénération de Nicolas de Flüe pratiquée jusque-là contrevenait à cette prescription.
En 1647, on inspecta la tombe de Frère Nicolas, et de nouveaux actes canoniques furent établis l’année suivante. En 1648, la Congrégation des rites déclara qu’il se pratiquait depuis plus d’un siècle une dévotion à Nicolas de Flüe, ce qui constituait un cas d’exception. Le pape Innocent X confirma cette dévotion en 1649. L’acte en question ne correspondait pas à proprement parler à une béatification formelle, mais était plutôt une béatification équipollente, c’est-à-dire que la validité du culte de vénération était reconnue par l’Église sans qu’ait été formellement établie auparavant l’héroïcité des vertus du bienheureux ou que des miracles aient été constatés à son actif. Admise en 1671, cette dévotion fut étendue à toute la Suisse.
Après l’approbation, en 1672, d’un formulaire de messe votive pour Frère Nicolas, le procès de canonisation resta finalement en attente pendant près de 200 ans. Les tentatives de le relancer ne reprirent qu’en 1865 à l’initiative de Mgr Eugène Lachat, évêque de Bâle, et du Piusverein de Suisse. En 1872, Pie IX proclama l’héroïcité des vertus de Nicolas de Flüe, c’est-à-dire sa sainteté de vie, ce qui marquait une étape qui, normalement, avait lieu avant la béatification.
«La Première Guerre mondiale fut un catalyseur de la dévotion à Nicolas de Flüe»
La Première Guerre mondiale fut, en Suisse, un catalyseur de la dévotion à Nicolas de Flüe. Il manquait encore trois miracles requis, à l’époque, pour une canonisation. Les guérisons miraculeuses de deux femmes soleuroises – Bertha Schürmann, guérie le 18 mai 1939 d’une paralysie cérébrale, et Ida Jeker, guérie le 26 juin 1937 de l’épilepsie et d’une plaie purulente – furent reconnues en 1944. Le pape Pie XII accorda une dispense pour le troisième miracle requis. Le 15 mai 1947 eut lieu à Rome le rite solennel de canonisation de Nicolas de Flüe. Bien qu’un tel acte ne soit malheureusement pas possible pour son épouse Dorothée, le pape Jean-Paul II, en visite en Suisse en 1984, la qualifia de «quasi-sainte» (heiligmäßigen), ce qui équivaut en quelque sorte à une béatification équipollente. (cath.ch/ufw/mp)
Maurice Page
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